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Section 2 : Les tempéraments au principe de non-discrimination ou les motifs légitimes ou faits justificatifs

B) Les préférences de la clientèle Existe-t-il un lien avec la productivité ?

1- Les préférences de la clientèle

120. Dans l’optique du groupe LVMH, les clients ne sont pas des top models. Par conséquent, ils ne s’attendent pas à ce que les vendeurs soient beaux. Ils désirent qu’ils soient intelligents, chaleureux, professionnels, engagés et qu’ils traitent les clients avec amabilité et courtoisie 829. Or, est-ce toujours le cas ?

Tout comme l’apparence physique affecte le jugement de l’employeur sur les qualifications des candidats, l’apparence affecte également la perception que les clients ont de l’entreprise ainsi que

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STARR M., HEFT A., « Appearance bias », The National Law Journal Employment Law, vol. 27, n° 41, 20 juin 2005.

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« Seen merely as a pretty girl who wore sexy outfits, low-cut blouses and tight pants ».Voir SOLOVAY S., Tipping the scales of justice, Amherst, New York, Prometheus Books, 2000, p.33.

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Goodwin v. Pres.& Fellows of Harvard Coll., n° 03-11797JLT (D. Mass. Oct. 31, 2003). BALDAS T., « Appearance-based discrimination suits are on the rise », National Law Journal, 20 avril 2005, http://www.law.com/jsp/article.jsp?id=1113901508317.

829 Entretien téléphonique avec Madame Gena Smith, Senior Vice President, Human Ressources, Sourcing & Development chez LVMH, New York, 5 août 2013.

167 de ses produits et services830. Par conséquent, les employeurs utilisent comme tactique de marketing le recrutement sur le fondement du physique. Un des exemples frappants est le choix des vendeurs d’habits au physique attirant pour attirer une plus large clientèle831.

De plus, l’utilisation de la beauté ou l’attractivité physique est justifiée par le fait que les consommateurs français affirment à 53% juger l’apparence de la vendeuse importante ou très importante lors de l’acte de l’achat832

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La notion de préférences de la clientèle est très étroitement liée à celle de l’image de l’entreprise. Souvent, les goûts et préférences des clients peuvent constituer des « pressions externes » selon l’employeur et se transformer en discrimination vis-à-vis de candidats ou d’employés. L‘employeur peut anticiper une attitude discriminante de la part de ses clients, qu’elles soient avérées ou non833. Certains supposent que les clients sont prêts à payer davantage pour cette discrimination et supportent indirectement le coût de la discrimination (à savoir la perte de potentiels bons candidats) pesant sur l’entreprise834

.

En effet, la clientèle peut se révéler capricieuse vis-à-vis de l’apparence physique de serveuses, réceptionnistes, vendeuses ou hôtesses de l’air, métier auquel nous attribuerons une attention particulière au chapitre suivant.

De plus, les collègues de travail collaborent plus volontiers et ont, comme les employeurs et les clients, une préférence marquée pour les personnes au ‘joli’ physique835.

À cette fin, les employeurs et le plus souvent les responsables de recrutement sont les mieux qualifiés à reconnaître des facteurs de productivité valides (la satisfaction personnelle des clients et celle des collègues), et sont en mesure d’anticiper des attitudes hostiles de la part des clients ou consommateurs. Ces pressions externes avérées ou non, n’ont normalement d’influence que pour les emplois en relation directe avec la clientèle, c’est-à-dire les métiers commerciaux.

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CAVICO F.J., MUFFLER S.C., MUJTABA B.G., « Appearance discrimination in employment: Legal and ethical implications of “Lookism” and “Lookphobia” », Equality, Diversity and Inclusion, 2012.

831

BELLO J., « Attractiveness as hiring criteria: Savvy business practice or racial discrimination? », Journal of Gender Race and Justice, vol. 8, 2004, p. 483, 486.

832 GARNER-MOYER H., « Apparence physique et GRH : entre choix et discrimination ». 833 GARNER-MOYER H., « Apparence physique et GRH : entre choix et discrimination ». 834 GARNER-MOYER H., « Apparence physique et GRH : entre choix et discrimination ». 835

AMADIEU, J.F., Le poids des apparences: beauté, amour et gloire, éditions Odile Jacob, 2002, p. 104. Des sociologues ont même établi que les individus séduisants bénéficiaient d’un avantage considérable du au fait que les autres personnes cherchaient leur compagnie ou leur partenariat, même si cela devait leur couter quelque chose. Voir MULFORD M., ORBELL J., SHATTO C., STOCKARD J., « Physical attractiveness, opportunity, and success in everyday exchange », American Journal of Sociology, vol. 103, n° 6, 1998, p. 1565-1592.

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121. Monsieur Gary Becker836 avance la théorie de la « discrimination en termes de goûts »,

variable personnelle, intégrée pour la première fois à l’analyse du fonctionnement du marché du travail. Cette théorie explique la raison pour laquelle certaines catégories de personnes (femmes, jeunes, noirs, en surpoids, etc…) sont sous-représentées sur le marché du travail. L’origine est tout simplement la volonté des employeurs d’écarter les individus sur lesquels ils portent des jugements négatifs. Cette théorie obscure s’interprète par la volonté de l’employeur et des salariés de ne pas travailler avec des personnes ayant un physique différent et ne correspondant pas à la ‘norme’ des codes des apparences contemporains, probablement afin de maintenir un ‘équilibre’ envisagé au sein de l’entreprise.

D’autre part, le goût des consommateurs (ou des clients ou des usagers) joue un rôle important, les consommateurs étant le facteur clé de la viabilité d’une entreprise. Ainsi, l’employeur ou l’intermédiaire de l’emploi avance cet argument en cas de refus d’embauche ou de licenciement et trouve un certain confort à rejeter la responsabilité sur les goûts des tiers (employés ou clients), procédé d’externalisation à l’origine de la discrimination.

De plus, selon certains, si l’apparence d’un employé est une valeur appréciée par la clientèle ou les collègues, alors ce devrait être un critère légitime de qualification car il augmente la performance dans un milieu de travail837. De plus, la performance des individus est intensifiée par la bienveillance dont ils bénéficient auprès des clients et de leurs collègues de travail.

Dans une affaire, un jury décide qu’il est légitime d’imposer une coiffure propre dans un service de concierge et d’interdire à un salarié d’avoir une queue de cheval et ceci car le désir d’un client d’avoir des concierges qui ont une apparence soignée en tous temps est une raison de business suffisante pour cette régulation838.

Comment marquer la frontière entre un comportement lookiste et une réaction uniquement liée aux affaires elles-mêmes ? Si une vendeuse au physique atypique apporte des résultats non satisfaisants et que son supérieur hiérarchique la licencie, est-il lookiste? La réponse selon certains, serait négative car il rompt un contrat en raison du manque de succès de ses affaires uniquement. En effet, le succès d’une entreprise est affecté par le « embedded lookism » imprégné dans une société consommatrice elle-même lookiste, en l’occurrence des clients

836 BECKER G., The economics of discrimination, Economic Research Studies, 1971. 837

116 P.3d 1123, 1145 (California 2005).

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169 lookistes envers les vendeuses839. Qui est à blâmer dans ce cas? Le point de vue de l’employeur est-il justifiable ? Comment tempérer ce comportement ? Dans quelle mesure les préférences des clients doivent-elles être considérées comme rationnelles et prises en considération ? Devrait-on favoriser les préférences de la clientèle à avoir affaire à une personne au physique agréable840 ? L’étude des circonstances se fait au cas par cas.

Le lookisme est souvent engendré par l’envie d’embaucher des personnes qui auront une forte interaction avec les clients841, toutefois l’exception du contact avec la clientèle connaît des limites. En effet, a été jugé discriminatoire le refus par une compagnie aérienne d’une candidature masculine à un emploi de steward, et ce, dans le souci de satisfaire les préférences de la clientèle pour un personnel féminin sur le fondement du motif légitime, au sens de l’article 416-3 alinéa 3 du Code Pénal, applicable en la cause dans sa rédaction antérieure à la loi du 13 juillet 1983842.

Toutefois, cette justification connaît des limites. Il est à noter aussi que cet argument ne peut jamais être avancé en matière de discrimination raison de la race843.

Il convient d’abord de noter que selon la jurisprudence européenne, une politique discriminatoire à l’embauche fondée sur l’origine ethnique ou raciale ne peut avoir pour simple but de satisfaire la clientèle844. De plus, il a été jugé que la satisfaction du personnel n’est pas un objectif légitime permettant de justifier la mise à l’écart du processus de recrutement des personnes homosexuelles en raison de l’attitude négative du personnel hétérosexuel à leur égard845

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L’étude du peu d’arrêts en la matière démontre que les préférences des clientèles sont tolérées lorsqu’elles constituent une business necessity ou encore des exigences professionnelles essentielles. Souvent, la jurisprudence américaine a admis le critère de BFOQ, en rapport avec les préférences de la clientèle.

839

DESIR J., « Lookism: Pushing the frontier of equality by looking beyond the law », University of Illinois Law Review, vol. 629, 2010.

840

Tribunal Correctionnel, Mrlaix. 20 janvier. 1984, Gazette du Palais, 1984,1 ,121, note Doucet. 841

GREENHOUSE S., « Going for the look, but risking discrimination », New York Times, 13 juillet 2003, p. 12. 842

Tribunal Correctionnel, Mrlaix, 20 janvier. 1984, Gazette du Palais, 1984,1 ,121, note Doucet. 843

Ray v. university of Ax, 868, F. Supp., 104, 1126-27 (1994). 844

CJCE, 10 juillet 2008, affaire C-54/07. 845

170 Nous constaterons dans l’étude de la jurisprudence que l’argument des préférences de la clientèle est admis de manière très restrictive.

Nous constatons que les notions de BFOQ en terme de qualifications en relation avec l’essence ou la nature du travail et de préférences de la clientèle sont intimement liées.

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