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Étudions l’évolution du droit américain contre la discrimination en matière de preuve.

Section 3 : La charge et les moyens de preuve du lookisme, une protection améliorée

95. Étudions l’évolution du droit américain contre la discrimination en matière de preuve.

Il existe deux manières de prouver une discrimination :

La première façon est la preuve directe de discrimination qui se fait la plupart du temps soit (i) à travers l’apport d’une preuve de politique discriminatoire pre-existante, soit (ii) à travers les commentaires flagrants des managers ou recruteurs. Les commentaires peuvent être oraux, ou écrits (notes, lettres, rapports, memos, etc.. ). « Direct evidence can take the form of “proof of an existing policy which itself constitutes discrimination,” or “oral or written statements on the part of a defendant showing a discriminatory motivation »645.

644 Cass. Soc., 25 janv.ier 2011, n°09-42.766. 645

128 Or, il est extrêmement rare qu’un employeur ou manager expose expressément la raison véritable de l’acte contesté. D’où la seconde manière qui est les circumstancial evidence ou les preuves non conclusives. Les arrêts clés en la matière seront exposés ci-dessous.

§ 1: McDonnel-Douglas ou le Disparate treatment test ou discrimination directe

96. Dans l’affaire Mcdonnel Douglas646, un homme de couleur noire, activiste du mouvement

des droits civils travaillait en tant que manufacturier d’avion chez McDonnel Douglas de 1958 à 1964. Il fut licencié dans le cadre d’une réduction générale des employés et protesta contre son licenciement abusif avec d’autres membres du Congrès en se fondant sur le principe d’égalité raciale. Une année plus tard, McDonnell envisage d’employer des mécaniciens et Green postule à nouveau pour ce poste. McDonnel refuse sa candidature car il avait participé à la manifestation. Par suite, Green intente une action en justice contre son ancien employeur en alléguant que ce dernier refusait de le réembaucher en raison de sa race et de son implication dans le mouvement des droits civils en violation des paragraphes 703 (a) (1) et 704 (a) du Civil Rights Act.

Le Cour du District considère que le refus de le réembaucher était uniquement fondé sur sa participation à la manifestation et que rien dans le paragraphe 704(a) ne protégeait l’activité illégale du demandeur. Comment prouver un individual disparate treatment, c’est-à-dire une discrimination directe sous le Titre VII du Civil Rights Act quand il n’existe que des circumstancial evidence d’intention de discriminer ?

Cet arrêt célèbre est à l’origine d’une analyse tripartite du schéma de McDonnel Douglas pour prouver un individual disparate treatment avec des circumstantial evidence d’une intention discriminatoire.

La première étape revient à établir, sur la base de preponderance of evidence (ou prépondérance de la preuve), une prima facie case (ou discrimination apparente) de discrimination en raison de son appartenance à une certaine race. Une prima facie case entraine une présomption simple de discrimination.

Cela peut être effectué en apportant la preuve des éléments suivants (i) l’appartenance à une minorité raciale ; (ii) le fait d’avoir postulé et d’être qualifié pour le travail pour lequel l’employeur recherchait des candidats ; (iii) le fait d’être rejeté malgré ses qualifications ; et (iv)

646

129 le fait qu’après son rejet, la position demeure ouverte et que l’employeur poursuit sa recherche de candidats dotés des mêmes qualifications que celles du demandeur en justice.

Dans une autre affaire647, on complète ce schéma. Établir un cas de prima facie revient à démontrer que la victime: (i) est un membre d’une classe protégée ; (ii) est qualifiée pour une position ; (iii) qu’elle a souffert d’une discrimination directe, et (iv) que les circonstances provoquent une présomption de discrimination648 .

Il convient d’abord de souligner que pour évaluer ce type d’action, il faut se fonder sur le reasonable employee standard649, c'est-à-dire un standard excluant toute subjectivité inhérente. Le demandeur doit prouver qu’il a souffert matériellement de certains événements, tels que le licenciement, une réduction majeure de salaire ou une perte matérielle de certains bénéfices. Il est important de noter que le adverse effect doit être matériel et concret, c'est-à-dire non hypothétique. Cette notion exclut aussi les événements banals tels que la non-fourniture d’un ordinateur, le transfert à une autre fonction sans augmentation de salaire, une évaluation très moyenne,....

Le standard pour l’évaluation de la adverse employment action est celui du salarié raisonnable, excluant par suite toute perception inhérente et subjective de la notion-même de discrimination ou les sentiments d’avoir droit à une protection.

Revenons au schéma Mcdonnel Douglas. Un faisceau d’indices rapporté par les candidats malchanceux est suffisant pour présumer une discrimination en violation du Titre VII et de contraindre l’employeur à se justifier.

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Traitement inégal en matière de droit du travail . «To prove that one has suffered an adverse employment action, an individual must prove that he materially suffered from certain experiences; mere disruption stemming from the inconvenience of job alteration will not suffice. “[a] materially adverse change might be indicated by a termination of employment, a demotion evidenced by a decrease in wage or salary, a less distinguished title, a material loss of benefits, [or] significantly diminished material responsibilities», voir Galabya v. N.Y. City Bd. of Educ., 202 F.3d 636, 640 (2d Circuit 2000) (quoting Crady Crady v. Liberty Nat’l Bank % Trust Co. of Ind., 993 F. 2d,132,136 (7th Circuit 1993).

648

Weinstock v. Columbia Univ., 224 F.3d 33, 42 (2nd Circuit 2000). 649

Lore v. City of Syracuse, 583 F. Supp. 2d 345, 361 (New York 2008).

« [A]n adverse employment action will be considered material if it is ‘of such quality or quantity that a reasonable employee would find the conditions of her employment altered for the worse ».

130 La seconde étape consiste en la charge de production de preuve, qui est transférée à l’employeur défendeur afin d’articuler une justification légitime et non discriminatoire650

. Cette étape est similaire à celle appliquée en droit français.

La troisième étape est la suivante : Après que le défendeur ait avancé ou tenté d’avancer une raison apparemment légitime, objective et dénuée de toute intention de discriminer, la charge de production de preuve est à nouveau transférée au demandeur qui doit démontrer par une preponderance of evidence que la raison avancée par le défendeur n’est en réalité qu’un simple prétexte et artifice651 servant à camoufler une raison purement discriminatoire. Comment prouver cela ? En prouvant que (i) la raison alléguée est incorrecte dans les faits, (ii) la raison alléguée est insuffisante pour avoir motivé la décision contestée, (iii) la raison alléguée est tellement erronée que l’employeur n’aurait pu en aucun cas se fonder dessus, (iv) l’apparence physique a eu un poids supérieur dans la motivation de la décision que la raison avancée, ou (v) la preuve directe ou circumstancial evidence652 apportées en premier lieu sont plus convaincantes.

Voila ce qu’on appelle la burden-shifting analysis.

Ce schéma extrêmement intéressant fut l’exemple suivi très fréquemment dans tous genres de discriminations aux États-Unis, jusqu’à aujourd’hui653, notamment en matière de discrimination fondée sur l’âge. En effet, dans l’affaire Hertz v. Gap, Inc.654

, une femme de 61 ans intente une action contre le groupe Gap, Inc., la marque internationale de vêtements pour femmes, hommes et enfants. Elle soutient qu’à son arrivée à l’entretien, son employeur découvre son âge et ne passe qu’un entretien très bref avec elle. Pour les recruteurs, sa candidature n’a pas été retenue à cause de son manque de disponibilité aux heures d’ouverture du magasin. Dans cette affaire, ce qui est intéressant c’est que le juge décide que la demanderesse avait apporté suffisamment de preuve pour démontrer une prima facie case. (Elle faisait partie d’un groupe déterminé, elle postule à un poste pour lequel elle était qualifiée, mais fut rejetée par l’employeur sous couvert de circonstances pouvant mener à une présomption de discrimination illégale fondée sur l’âge).

650

Lore v. City of Syracuse, 583 F. Supp. 2d 345, 361 (New York 2008).

651

Weinstock v. Columbia Univ., 224 F.3d 33, 42 (2d Circuit 2000).

652

http://www.workplacefairness.org/generaldisc. 653

À titre d’exemple, Alam v. Reno Hilton Corp., 819 F. Supp. 905, 913 (D. Nev. 1993); Allen v. Comprehensive Health Services, 222 Mich.App. 426, 430, 564 N.W.2d 914 (1997); St. Mary's Honor Center v. Hicks, U.S. 502113 S.Ct. 2742, 25 juin 1993. Simms v. Oklahoma ex rel. Dep't of Mental Health & Substance Abuse Servs., 165 F.3d 1321, 1327 (10th Circuit 1999).

654

131 Gap apporte une preuve légitime et non discriminatoire pour l’embauche, la Cour estime qu’il n’existe pas assez de faits matériels pour savoir si l’âge était ou non le vrai facteur de la décision et par suite, rejette la demande.

Par conséquent, l’arrêt Mcdonnel Douglas met en œuvre un raisonnement à motif unique, exigeant uniquement la preuve d’un motif : la discrimination.

§ 2: Griggs v. Duke Power Company ou Disparate Impact Test ou discrimination indirecte

97. Dans l’arrêt de principe Griggs v. Duke Power Company655, la Cour Suprême des États-Unis

estime que le Titre VII du Civil Rights Act devait condamner des pratiques et des conditions de travail adoptées dans un but discriminatoire, mais également des pratiques ayant un effet discriminatoire sans pour autant dénoter d’une intention discriminatoire, et par suite cette dernière n’est plus un élément essentiel à l’établissement d’une discrimination. Ce faisant, le seul fait de maintenir sciemment une pratique ayant des effets discriminatoires sans avoir pour autant l’intention de discriminer, a été considéré comme suffisant par la Cour Suprême pour engager la responsabilité de l’employeur ou du recruteur. Nous parlons donc de discrimination indirecte. Cet arrêt devait reconnaître l’existence de deux causes d’action fondées l’une et l’autre sur le Titre VII :

Une cause d’action est fondée sur l’existence d’un disparate treatment ou traitement inégal c'est-à-dire d’une discrimination consciente, reflétant une intention de discriminer. La seconde cause est fondée sur la constatation d’un disparate impact ou effet inégal si l’effet est discriminatoire en l’absence d’intention de discriminer.

Lorsque la cause de l’action trouvait son fondement dans l’effet inégal résultant d’une pratique ou d’une condition de fait, il fallait, selon l’argumentation juridique développée dans cet arrêt, que la partie demanderesse rapporte la preuve que les faits faisaient état d’une prima facie case. En l’espèce, la preuve peut être apportée en démontrant que l’épreuve administrée à l’employé a conduit à créer un échantillon ethnique des candidats nettement différent de celui auquel la diversité de l’échantillon ethnique des candidats et employés aurait dû conduire656

. En second lieu, la partie plaignante doit démontrer que les pratiques de travail contestées excluaient un

655 Griggs v. Duke Power Company 401 US 424, 91 S. Ct. 849 (1971). 656

FOSTER M., « Le droit du travail et de l’emploi », dans FOLSOM R., LEVASSEUR A., Pratique des Affaires aux États-Unis, Dalloz, 1994, p.289.

132 nombre important de personnes appartenant au groupe des minorités alors même que ces personnes étaient parfaitement capables d’accomplir les tâches qui leur incombaient. Une fois ces étapes franchies, la charge de la preuve est transférée à l’employeur qui devait à son tour démontrer que les pratiques et conditions de travail en cause étaient objectives et job related, c’est-à-dire reliées à l’emploi et nécessaires pour la bonne marche de l’entreprise ou business necessity. Si l’employeur parvenait à justifier sa position et à rapporter la preuve attendue de lui, le demandeur à l’action pouvait encore porter plainte et même obtenir gain de cause en démontrant que les excuses et explications avancées par l’employeur n’étaient que de simples prétextes qui ne servaient aucune fin légitime. Par suite le schéma de Griggs est tout à fait identique à celui de McDonnel. La Cour Suprême tenta d’opérer un revirement de jurisprudence dans l’affaire Wardscove Packing Company v. Antonio657

, mentionné au chapitre préliminaire, sans résultat.

Il convient de mentionner que les arrêts Albemarle Paper Co. v. Moody658 et Raytheon Co. v. Hernandez659 ont réaffirmé ce principe.

§ 3: Le revirement législatif opéré par le Civil Rights Act de 1991660

98. Le Congrès américain conclut que la charge de la preuve était trop lourde et lésait le

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