• Aucun résultat trouvé

PARTIE I : PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE

CHAPITRE 1 : TRAVAUX EN DROIT DU TRAVAIL SUR LES RÉSEAUX ET LA

1. Postulats classiques du régime de droit du travail

Au Québec comme dans la plupart des pays industrialisés, la régulation juridique du travail a été établie selon le modèle de l’entreprise intégrée de type industriel. Cette dernière constitue une organisation économique et sociale de production caractérisée par une direction unique (Morin 2005: 8) et établie selon une logique d’intégration productive verticale (Verge, Trudeau et Vallée 2006: 76). Le travail y est intégré directement (Vallée 2005: 77) et des dispositifs de contrôle et de supervision directe permettent d’y assurer la coordination et la discipline (Bélanger, Giles et Murray 2004: 21).

En vertu de cette régulation juridique du travail au Québec (voir encadré ci-dessous pour une présentation générale de celle-ci), l’accès aux droits du travail passe par la reconnaissance du statut de salarié-e et de celui d’employeur et dépend de l’existence d’une relation d’emploi salarié puisque les statuts de salarié-e et d’employeur s’interprètent en référence à la définition du contrat de travail.

La définition du contrat de travail, à la base de l’accès aux droits du travail, se trouve dans le Code civil du Québec7et se lit comme suit: « Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur ». Le contrat de travail, qui peut être écrit ou oral et qui résulte d’un accord des volontés, est donc composé de trois éléments constitutifs : la prestation de travail, la rémunération et le lien de subordination entre les parties.

Le lien de subordination est considéré dans le droit comme « l’élément caractéristique attributif du statut de salarié et qui distingue le contrat de travail d’autres types de contrats (i.e. contrat d’entreprise, de mandat ou d’association) » (Bernier, Jobin et Vallée : 71). Comme l’indique le Code civil du Québec, dans le contrat de travail, la personne salariée effectue un travail « sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur ». L’approche retenue par les tribunaux a d’abord été établie en fonction de l’existence d’un lien de subordination fondé sur un « contrôle immédiat de l’exécution de la prestation de travail » par l’employeur, situation courante dans l’entreprise intégrée. Cette approche est appelée l’approche de la « subordination juridique au sens strict ou classique » (Tremblay et Vallée 2010 : 15).

Présentation générale de la régulation juridique du travail au Québec

Au Québec, comme dans le reste de l’Amérique du Nord, les droits issus des régimes des rapports collectifs sont négociés par les syndicats essentiellement au niveau de l’entreprise, sauf dans certains secteurs d’activités tel le secteur public et parapublic et celui de la construction qui bénéficient de régimes spécifiques. Comme dans les autres provinces canadiennes ainsi qu’au niveau du gouvernement fédéral, qui régit certains secteurs d’activités particuliers, le régime général de rapports collectifs québécois s’inscrit dans le modèle américain du Wagner Act. Ce dernier, adopté aux États-Unis en 1935, a institutionnalisé le droit à la négociation collective. Il s’agit d’un régime fortement décentralisé dans lequel le syndicat qui obtient l’appui d’une majorité d’un groupe donné de salariés-es (une unité de négociation) se voit attribuer un monopole de représentation et de négociation collective pour l’ensemble de ces salariés-es, à la suite d’une procédure publique d’accréditation. Ce groupe peut être constitué de tous les salariés-es d’un même employeur ou, le plus souvent, des salariés-es œuvrant dans un seul établissement de cet employeur. L’accréditation multipatronale n’est pas possible au plan légal au Québec.

Les travailleurs-euses non syndiqués et non couverts par une convention collective applicable à un secteur d’activités bénéficiant d’un régime spécifique constituaient 60,5 % de l’ensemble des travailleurs-euses québécois en 2011 (Labrosse 2012: 6). Pour ces personnes, l’accès aux droits du travail dépend essentiellement des lois d’ordre public et de la jurisprudence qui en découle.

Les transformations de l’organisation de la production et du travail ont cependant conduit au développement d’une autre approche que celle de la subordination juridique au sens strict ou classique, celle de la « subordination juridique au sens large ». Voici comment Tremblay et Vallée expliquent l’impact de ces transformations sur les modalités de contrôle de la prestation de travail par l’employeur :

« Toutefois, en raison des transformations des modes d’organisation et de gestion du travail ainsi que de la professionnalisation du travail, l’exercice du pouvoir de direction et de contrôle de la prestation de travail par l’employeur a emprunté des formes nouvelles. Dans certains cas, l’employeur ne possède tout simplement pas les connaissances requises pour contrôler étroitement l’exécution de la prestation de travail, celle-ci requérant un haut niveau

d’aptitude, de spécialisation ou de savoir. Dans d’autres cas, la supervision hiérarchique de l’exécution du travail a été remplacée par une organisation privilégiant des structures hiérarchiques « aplaties », voire le travail en équipe, conférant ainsi une plus grande autonomie aux salariés dans l’exécution de leur travail. » (Tremblay et Vallée 2010: 16)

L’approche dite de la subordination juridique au sens large retenue par les tribunaux repose donc sur une nouvelle façon de concevoir juridiquement le pouvoir de l’employeur :

« La prévalence du concept de subordination juridique élargie fait que ce pouvoir se reconnaît non seulement à la faculté de donner des ordres concernant le travail à effectuer et la façon de l’exécuter mais aussi à celle, plus diffuse, de surveiller et de contrôler son accomplissement et d’en vérifier les résultats. Contrôle et direction, d’une part, autonomie et latitude, d’autre part, sont donc d’un degré variable et largement tributaires de la nature du travail en cause dans chaque cas. » (Jobin 2009: 8/28)

Le lien de subordination dans le cadre de cette approche se révèle par des indices témoignant de « l’existence d’un pouvoir d’encadrement ou d’organisation du travail appartenant à l’employeur », pouvoir qui peut se manifester de diverses façons :

« Ce pouvoir peut se manifester, à titre d’exemple, par des directives concernant l’horaire de travail, l’obligation de présence sur un lieu de travail, l’assignation périodique du travail par l’employeur ou ses représentants, l’obligation d’assister à des réunions, celle de respecter un code vestimentaire ou des règles de conduite ou de comportement, l’obligation de rendre des comptes ou de compléter des rapports d’activité, la définition d’un territoire à couvrir, le contrôle de la quantité et de la qualité de la prestation, etc. Le pouvoir de direction et de contrôle du travail caractéristique du contrat de travail ne porte plus uniquement sur la manière d’exécuter le travail, mais plutôt sur la régularité et la qualité de son exécution. » (Tremblay et Vallée 2010 : 17)

L’approche de la subordination juridique au sens large, lorsqu’elle sert à distinguer l’entrepreneur du salarié, peut aussi intégrer des critères économiques provenant d’une analyse issue du droit fiscal canadien utilisée dans plusieurs provinces canadiennes. Cette analyse dite du fourfold test repose sur les critères suivants :

(…) outre le contrôle de la façon de travailler, qui continue d’être l’élément le plus significatif de cette analyse, celle-ci considère aussi que les critères économiques tenant à la propriété de l’outillage, à l’espérance d’un profit ou aux risques de pertes peuvent être pertinents pour distinguer l’entrepreneur du salarié. Aucun de ces critères économiques n’est déterminant en soi, mais tous les indices sont pertinents. » (Vallée et Tremblay 2010 : 17)

Comme nous venons de le constater, la conception utilisée en droit du travail pour reconnaître l’existence de la relation de subordination dans le cadre d’un contrat de travail, et conséquemment les statuts de salarié et d’employeur donnant accès aux régimes de droits du