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PARTIE I : PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE

CHAPITRE 2 : DES LIMITES DU DROIT A UNE PERSPECTIVE SOCIOLOGIQUE : LE

1. Recension de travaux en sciences sociales

1.1 Le courant néo-institutionnaliste

1.1.5 Études sur les réseaux locaux d’entreprises

Les études sur les réseaux locaux d’entreprises comprennent notamment celles sur les districts industriels et celles sur les clusters industriels. Nous les avons situées dans le large courant néo-institutionnaliste, mais certains-es chercheurs-es les situent plus particulièrement dans le champ de la socio-économie. Ce champ de recherche est défini comme un champ regroupant des problématiques s’attachant aux dimensions des règles et des institutions dans l’économie tout en exprimant des préoccupations éthico-politiques (Convert, Jany-Catrice et Sobel 2008: 5).

Les études sur les réseaux locaux d’entreprises tirent leurs origines des travaux sur les regroupements territoriaux de petites et moyennes entreprises (PME) opérant dans un même secteur industriel qui ont été menées par un économiste britannique néo-classique, Alfred Marshall, aux débuts du 20ème siècle. Elles ont été relancées dans les années 1980, alors que le modèle de la grande entreprise fordiste commençait à être questionné, dans le cadre d’études sur les districts industriels du centre et du nord de l’Italie. Ces dernières ont mené à l’identification des dimensions sociales sous-jacentes à ces formes organisationnelles par des économistes, mais aussi par des sociologues, des chercheurs-eures en histoire ainsi qu’en géographie sociale. Plus récemment, des travaux ont situé les réseaux locaux d’entreprises dans le cadre de l’économie globalisée et mis en lumière l’hétérogénéité interne qui les caractérise.

Les études de Marshall (1938), tout comme les premières études sur les districts industriels italiens dans les années 1980 (Becattini 1987), ont montré comment les PME regroupées localement pouvaient bénéficier d’économies externes liées à leur spécialisation industrielle (avec la présence fréquente de PME exerçant des activités complémentaires), à l’information partagée, au bassin de main-d’œuvre qualifiée ainsi qu’à l’expertise et à la diffusion de l’innovation entre elles. Les études de Baccatini et de leurs collègues ont ajouté une autre dimension à l’explication du succès économique des districts industriels, soit la dimension sociale, et plus spécifiquement l’importance de l’environnement non-métropolitain, des valeurs partagées ainsi que de la structure sociale locale basée sur l’entreprenariat à petite échelle et la production artisanale qualifiée (Zeitlin 2008: 222).

Des études subséquentes sur les districts industriels ont identifié divers autres facteurs contextuels pour expliquer leur performance économique, ce qui a amené certains chercheurs à plutôt chercher des facteurs explicatifs dans les processus de gouvernance et de régulation ainsi que dans les politiques publiques (Zeitlin 2008 : 227-231). Le contexte de concurrence internationale accrue depuis les années 1990 et d’importantes transformations économiques et technologiques ont amené des chercheurs-es à s’intéresser à des aspects qui rejoignent notre objet de recherche, soit les disparités de pouvoir importantes qui peuvent exister au sein de ces réseaux territorialisés.

Dans son bilan critique de la littérature sur les districts industriels, Barré souligne que ceux-ci ne sont pas uniquement constitués de petites entreprises, comme la littérature les a souvent décrits à partir du début des années 1980, mais que depuis les années 1990 et 2000, leur composition est souvent hétérogène, sous l’effet des dynamiques mondiales de restructuration productive. Les districts sont organisés autour d’entreprises dominantes (ou de groupe informel ou formel de PME) et peuvent aussi comprendre des entreprises provenant de l’extérieur du district, incluant des entreprises transnationales, venues s’installer pour bénéficier d’avantages concurrentiels (Barré 2014: 8 (à paraître)).

Des travaux ont aussi montré que les PME de réseaux régionalisés peuvent être négativement affectées au plan de leur capacité d’innovation par le pouvoir d’influence des entreprises transnationales sur les politiques publiques relatives à l’accès aux ressources contribuant à cette innovation, comme par exemple les politiques relatives à la recherche universitaire et au développement des emplois qualifiés (Christopherson et Clark 2007: 1223-1224).

Même si certains mécanismes de coopération s’institutionnalisent entre les entreprises formant des réseaux locaux, tels les projets communs de design et de production ainsi que les procédures d’assurance-qualité (Zeitlin 2008: 234), les relations interentreprises ne peuvent plus être considérées d’emblée comme horizontales et arrimées à un développement endogène. C’est ce qui a amené des chercheurs à remplacer le concept de district industriel par celui de « cluster industriel » pour mieux refléter l’hétérogénéité dans ces espaces productifs ainsi que les dimensions institutionnelles locales et des processus sociaux sous-jacents à la coopération interentreprises (Barré 2014 : 18 (à paraître)).

Les travaux néo-institutionnalistes que nous venons de recenser analysent à partir de différents terrains d’études et outils conceptuels les modalités de gouvernance au sein de réseaux qui peuvent se situer sur une juridiction unique ou traverser plusieurs régions du monde. Baudry (2005; 2006) ainsi que Moati (2006) analysent la gouvernance en fonction de types de division de la production entre les entités composant les réseaux, soit un type plus vertical et un type plus horizontal; Vaillancourt et Jetté (2009) identifient pour leur part les régimes de gouvernance partenariale et concurrentielle (ou hybride) dans les services dits d’intérêt général (Vaillancourt et al. 2009). Gereffi et al. (2005), s’intéressant aux chaînes de valeur mondiales,

retiennent d’autres facteurs pour expliquer les différences au plan de la gouvernance, soit la complexité des transactions, leur codifiabilité et la capacité des fournisseurs. Enfin, les travaux sur les réseaux de production locaux, qu’il s’agisse de ceux sur les districts industriels ou de ceux sur les les clusters industriels, montrent comment les réseaux sont modelés par des contextes particuliers et par des processus institutionnels et sociaux au sein desquels le pouvoir peut être distribué de façon inégale entre les acteurs (Christopherson et Clark 2007; Zeitlin 2008). Malgré leur apport pour la compréhension des dynamiques économique et sociales propres aux réseaux de production, ces travaux traitent de la relation d’emploi de façon relativement marginale, en occultant sa centralité dans ces dynamiques économiques et sociales.

Nous proposons, dans la partie qui suit, la poursuite de la recension des travaux en sciences sociales qui portent sur notre objet de recherche en tournant notre regard du côté du courant de la sociologie des organisations, après avoir brièvement présenté les principaux postulats théoriques de ce champ disciplinaire.