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PARTIE I : PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE

CHAPITRE 2 : DES LIMITES DU DROIT A UNE PERSPECTIVE SOCIOLOGIQUE : LE

1. Recension de travaux en sciences sociales

1.4 Les courants féministe matérialiste et féministe postcolonial

1.4.2 Courant de la division sexuelle du travail

Les théoriciennes du courant de la division sexuelle du travail analysent la question du travail des femmes en se référant aux « rapports sociaux de sexe ». Pour définir ceux-ci, l’une des principales théoriciennes de ce courant, Danièle Kergoat, précise d’abord ce qu’elle entend par « rapport social » :

« Le rapport social peut être assimilé à une « tension » qui traverse la société ; cette tension se cristallise peu à peu en enjeux autour desquels, pour produire de la société, pour la reproduire ou pour « inventer de nouvelles façons de penser et d’agir », les êtres humains sont en confrontation permanente. Ce sont ces enjeux qui sont constitutifs des groupes sociaux. » (Kergoat 2010: 62, l'italique est de l'auteure)

Les « rapports sociaux de sexe » ont les mêmes caractéristiques que les rapports sociaux en général, affirme Kergoat :

« (…) les groupes sexués ne sont pas le produit de destins biologiques mais sont d’abord des construits sociaux; ces groupes se construisent par tension, opposition, antagonisme, autour d’un enjeu, celui du travail. Les rapports sociaux de sexe ont une base matérielle même s’ils ont aussi une base idéelle : tout pouvoir, comme le disait Foucault, a besoin d’un savoir, c’est ici le naturalisme qui est l’idéologie de légitimation. » (Kergoat 2010 : 63)

Pour les chercheures se situant dans le courant de la division sexuelle du travail, le travail (ce qui inclut non seulement le travail rémunéré) est l’enjeu des rapports sociaux de sexe.

L’organisation technique et sociale du travail est marquée par une division sexuelle, celle-ci comportant à la fois une dimension matérielle et une dimension idéologique : « le principe de séparation (il y a des travaux d’hommes et des travaux de femmes) et le principe hiérarchique (un travail d’homme « vaut » plus qu’un travail de femme) » (Hirata et Kergoat 2008: 200). Ces principes organisateurs (séparation/hiérarchisation) font en sorte que l’assignation prioritaire des femmes à la sphère domestique structure la place des femmes dans la sphère du travail salarié :

« La relation de service dans laquelle sont inscrites les femmes, par leur affectation au travail domestique, est également constitutive de la division capitaliste du travail. L’affectation des femmes au travail domestique détermine les formes de différenciation entre les sexes au sein de la production capitaliste, différences que l’on retrouve dans l’ensemble des modalités de mise au travail salarié. » (Kergoat 1984: 246)

En vertu de la relation de service à laquelle les femmes sont socialement assignées, « les tâches féminines salariées, ressemblent par bien des aspects aux tâches domestiques » (Kergoat 1982: 15) et, plus elles y ressemblent − par exemple, faire le ménage − plus elles sont dévalorisées et sous-payées.

La dimension idéologique de la division sexuelle du travail consiste en un « un procès spécifique de légitimation, l’idéologie naturaliste. Celle-ci rabat le genre sur le sexe biologique, réduit les pratiques sociales à des « rôles sociaux » sexués, lesquels renverraient au destin naturel de l’espèce » (Hirata et Kergoat 2007).

La division sexuelle du travail dans le cadre du travail rémunéré a été étudiée en 1982 par Kergoat à partir de la situation des ouvrières. Elle a montré que les employeurs pouvaient surexploiter les femmes dans les emplois industriels à la fois de façon directe et de façon indirecte. De façon directe, ils le font à travers une organisation sociale et technique du travail différenciée selon le sexe, notamment à travers des rythmes de travail plus élevés pour les femmes et un contrôle social plus fort sur les lieux de travail. La surexploitation indirecte des femmes se réalise pour sa part « en ne reconnaissant pas comme éléments de qualification ce qui rend précisément cette main-d’œuvre précieuse aux yeux du patronat : agilité, dextérité, rapidité… » (Kergoat 1982 : 55). La qualification sociale des femmes qui a été acquise dans la sphère familiale est assimilée à une prétendue « nature féminine ». Pourtant, cette qualification sociale, les femmes l’« ont acquise d’abord par un apprentissage (au métier de future femme quand elles étaient petites) puis par une formation continue (travaux domestiques) » (1982 : 67).

La sociologue constate aussi que les ouvrières intériorisent la dévalorisation de leur qualification et parfois celle de leur travail alors que « l’acquisition de leur savoir-faire se fait

hors des canaux institutionnels, toujours en référence à la sphère du privé, c’est-à-dire individuellement et non collectivement » (1982 : 68, l’italique est de l’auteure).

La faible qualification des emplois des femmes n’est pas inéluctable, mais elle dépend du rapport des forces avec le patronat. Même l’acquisition d’une formation professionnelle n’assure pas les travailleuses de contrer automatiquement la dévalorisation sexuée de leur travail. La chercheure rappelle la différence entre la qualification des emplois (les qualités demandées par les employeurs pour un poste de travail particulier et qui fondent les grilles de classification) et la qualification des travailleurs et travailleuses (formation et expérience mises en œuvre par l’employé-e dans le travail auxquelles réfèrent le syndicat quand il négocie les grilles de classification). La qualification des emplois dépendra donc du rapport de forces exercé :

« (…) selon le rapport de forces, des groupes entiers d’O.S. [ouvriers spécialisés] peuvent passer P1 sans que leur tâche ou niveau de formation aient changé, alors qu’inversement, des industries en perte de vitesse et où le potentiel revendicatif ouvrier est faible, sous qualifient systématiquement leur main-d’œuvre afin de moins la payer. » (Kergoat 1982 : 54)

L’étude sur les ouvrières a amené Kergoat à poser comme indivisibles le capitalisme et le patriarcat, donc les rapports de production et les rapports sociaux de sexe :

« Comme elle a été une condition nécessaire à l’établissement du mode de production capitaliste, la division sexuelle du travail l’est toujours à sa survie. Capitalisme et patriarcat ne sont pas autonomisables : le capitalisme a su changer les modalités de l’oppression des femmes pour utiliser au mieux de ses intérêts leur force de travail ; le patriarcat a donné au capitalisme la possibilité de différencier et de hiérarchiser la force de travail. » (Kergoat 1982 : 16)

Les chercheures du courant de la division sexuelle du travail ne considèrent néanmoins pas les rapports de domination entre les sexes comme figés. La référence aux rapports sociaux de sexe permet d’éviter une approche déterministe en se centrant plutôt sur l’antagonisme entre groupes sociaux qui est continuellement en voie de modification :

« C’est précisément contre cette conception figée de la structure sociale que s’inscrit en faux le raisonnement en termes de rapports sociaux (avec leur corollaire : les pratiques sociales) : rapport signifie contradiction, antagonisme, lutte pour le pouvoir, refus de considérer que les systèmes dominants (capitalisme, patriarcat) sont totalement déterminants et que les pratiques sociales ne font que refléter ces déterminations » (Kergoat 1984 : 210).

Par ailleurs, ces chercheures ont voulu articuler dans un premier temps l’imbrication des rapports sociaux de sexe avec ceux de classe, grâce au concept de « consubstantialité » des rapports sociaux développé par Kergoat dans son étude sur les ouvrières en 1982, et plus tard l’imbrication des rapports de « race » avec ceux-ci. Kergoat a ainsi expliqué que les rapports sociaux « forment un nœud qui ne peut être séquencé au niveau des pratiques sociales, sinon dans une perspective de sociologie analytique; et ils sont coextensifs : en se déployant, les rapports sociaux de classe, de genre, de « race », se reproduisent et se co-produisent mutuellement » (Kergoat 2009: 112) Il s’agit de façon générale de comprendre « comment se fait l’appropriation d’un groupe social par un autre » (2009 : 119). Ce concept de « consubstantialité » des rapports sociaux se rapproche du concept d’ « intersectionnalité » de Crenshaw (1991)33.

Voyons maintenant certains travaux que nous situons aussi de façon générale dans l’approche féministe de la division sexuelle du travail et qui ont porté plus particulièrement sur le travail rémunéré de care.