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Les stratégies identitaires et adaptatives

4. Méthodologie et positionnement du chercheur

4.1 Des méthodes mixtes dans une perspective ancrée et compréhensive ancrée et compréhensive

4.1.4. Positionnement épistémologique

Nous pensons, avec Jean-Paul Narcy-Combes, que « toute réflexion épistémologique reflète nécessairement un point de vue, celui de son auteur, ce qui explique qu’elle soit biaisée » (Narcy-Combes, 2006) et que dans le cadre d’une recherche compréhensive idiographique (que l’on ne peut universaliser)342, il est important de repérer ce qui peut faire obstacle à une approche scientifique. Si l’appartenance de la chercheuse au groupe-cible peut constituer un avantage considérable : le processus de transcription des entretiens étant par exemple facilité par le fait d’être une quasi-initiée (« relative insider343»), cette appartenance soulève de nombreuses questions. En effet, le chercheur-initié a déjà une connaissance du terrain et des problématiques qui en découlent et devra, par conséquent, s’efforcer de trouver la distance nécessaire à la construction de la théorie

342 Voir Françoise Demaizière et Jean-Paul Narcy-Combes, 2007.

343 Notion explorée par Chad Witcher dans son article « Negotiating Transcription as a Relative Insider: Implications for Rigor » in International Journal of Qualitative Methods. 2010.

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en rupture avec le sens commun et la croyance344. Il devra trouver une distance adéquate, lui permettant d’être à la fois proche et distant (Hortense Powdermaker, 1966). C’est la posture de

« l’étranger sympathisant », ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. Cela rejoint le positionnement épistémologique adopté par Marie-Christine Deyrich (HDR, 2007 : 7) « entre engagement et distanciation » (Elias, 1993) : « Pour Elias (1993 : 29), la solution ne se trouve pas dans l’abandon du groupe au profit de la fonction du chercheur : les affaires sociales du groupe concernent nécessairement le chercheur » (Deyrich, 2007 : 15). Dans le domaine de la formation des enseignants (ou du développement professionnel, comme c’est le cas dans notre étude), l’engagement du chercheur peut même être considéré comme un « gage de qualité », une

« condition nécessaire pour une meilleure connaissance des problèmes soulevés » (ibid. : 16).

Dans le cadre de notre enquête doctorale, nous pouvons nous demander si la chercheuse appartient vraiment au groupe-cible. Celle-ci partage les aspects suivants avec les enquêtés : une première langue commune, une origine britannique partagée par une majorité de répondants, une trajectoire professionnelle qui commence par le CAPES d’anglais et par une expérience professionnelle de douze ans en tant qu’enseignante du second degré. Au moment de l’enquête, en revanche, le statut de la chercheuse n’est plus le même, car celle-ci est devenue formatrice d’enseignants, si bien que les enquêtés ont en face d’eux une collègue dont la réalité sociale est quelque peu différente de celle d’un enseignant du second degré. De par sa fonction professionnelle, la chercheuse n’est ni tout à fait à l’intérieur du terrain, ni tout à fait à l’extérieur de celui-ci, mais dans une sorte d’entre- deux. Le quasi-initié s’expose donc à une intimité parfois débordante et à une certaine méfiance en raison de son statut professionnel différent et de son propre choix d’étudier lui-même dans l’Autre (Griffin, 2012).

Une des difficultés pour le quasi-initié sera, par conséquent, de trouver la bonne distance à l’égard de son objet et des personnes qui ont participé à l’enquête, tout en s’autorisant à faire preuve d’empathie (Kaufmann, 2007 : 51) et à se dévoiler plus que dans un entretien non directif de type rogérien ou dans un entretien semi-directif appartenant au modèle classique mettant en relief la neutralité de l’enquêteur. Nous allons même plus loin, car nous avons souhaité encourager

344 D’après ses propres travaux (1996a : 23-50), Georges-Elia Sarfati définit le sens commun ainsi :

« (a). Le SC désigne d’abord une faculté consistant dans la détermination d’une rationalité commune, en principe accessible à tous les membres de la communauté humaine ; (b). Le SC désigne ensuite un système de croyances.

Celles-ci se conçoivent soit à l’instar de principes indubitables innés, soit à la façon de principes indubitables acquis.

Ces deux premières définitions recouvrent respectivement le champ de la réflexion philosophique et celui de la recherche anthropologique ». L’auteur ajoute une troisième définition que voici : « (c). Le SC désigne l’ensemble des normes investies par les sujets dans les pratiques, et notamment les pratiques langagières », Note sur "sens commun" : essai de caractérisation linguistique et sociodiscursive, in Langage et société, vol. 1, n° 119, 2007, p. 63-80.

DOI : 10.3917/ls.119.0063

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l’engagement des participant(e)s à la recherche dans l’esprit de la recherche féministe qui

« accueille – ou du moins ne voit pas comme négatifs – de tels liens de proximité entre, d’une part, la chercheuse et, d’autre part, les participantes ; il s’agit d’un dialogue basé sur l’intersubjectivité (Mayer et Ouellet 1991 : 225) » (Ollivier & Tremblay, 2000 : 49). Si la proximité avec les participant(e)s ne saurait être aussi grande que dans le cadre d’une recherche-action où ceux-ci peuvent participer à différentes phases de la recherche, telles l’analyse et l’interprétation des données voire la diffusion des résultats, l’engagement des participant(e)s « comme partenaires à part entière de la recherche signifie qu’elles contribuent à l’identification des problèmes, à l’élaboration de la problématique, etc. » (Ollivier & Tremblay, 2000 : 49). Cette proximité entre la chercheuse et les participantes peut avoir certains avantages, car elle contribue à créer un climat de confiance qui sera favorable aux réponses sincères. Ollivier et Tremblay soulignent les avantages de cet état d’esprit :

L’avantage le plus manifeste est probablement de favoriser un contexte de convivialité en cours d’entrevue, d’aider à l’émergence de réponses sincères, voire parfois d’explorer des dimensions ou d’arriver à une intimité dans les réponses qu’il aurait probablement été impossible d’atteindre avec une démarche objectiviste. Une retombée pour les participantes à la recherche est la capacité de parler d’elles-mêmes en toute liberté et confiance (les chercheuses assurent le plus souvent l’anonymat et la confidentialité) dans un contexte de moindre hiérarchie, voire de découvrir des dimensions de leurs expériences de vie encore inexplorées jusqu’au moment de la recherche (c’est l’aspect de la conscientisation du principe de changement social).

Nous avons conscience que les résultats de l’enquête – ancrés comme ils le sont dans un contexte spécifique – seront situés socialement et historiquement : l’identité professionnelle d’une enseignante d’origine irlandaise arrivée en France dans les années soixante-dix sans baccalauréat, ayant été certifiée après l’obtention d’une licence en France, sera forcément très différente de celle d’une jeune enseignante anglophone des années 2000, titulaire d’un master et déjà qualifiée pour enseigner dans son pays d’origine. Il importera de relativiser ces résultats et de continuer à les comparer et à les confronter à ceux d’enquêtes similaires. Nous avons conscience de l’immensité de la tâche d’analyse de données qualitatives, car « tout entretien est d’une richesse sans fond et d’une complexité infinie, dont il est strictement impensable de rendre compte totalement » (Kaufmann, 2007 : 20). Étant donné cette difficulté inhérente à toute recherche qualitative, une forme de triangulation s’est imposée comme une évidence.

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4.1.5. Vers une première triangulation des