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L’anglais, l’allié du plurilinguisme ?

1.3. Le contexte local : la place de l’anglais dans le système éducatif français dans le système éducatif français

Sans être obligatoire, l’anglais est de toute évidence la première langue apprise en France, y compris à l’école primaire. Le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, y était favorable96 suite à la proposition de la commission Thélot (2004) qui mettait l’accent sur la priorité, pour les Français, de maîtriser l’anglais « de communication internationale ». La commission considère que l’anglais, tout comme les nouvelles technologies, constitue une « compétence essentielle » du XXIe siècle:

Il ne s’agit pas d’imposer l’anglais comme langue étrangère exclusive mais de considérer comme une compétence essentielle la maîtrise de l’anglais nécessaire à la communication internationale : compréhension des diverses variétés d’anglais parlées par les anglophones et les non-anglophones, expression intelligible par tous.

93 Cornelia Hülmbauer, Heike Böhringer & Barbara Seidlhofer (2008), p. 26.

94 « From this perspective, ELF does not undermine multilingual diversity but actually helps to sustain it by entering

‘into a relationship with other languages’ (House and Rehbein, 2004: 2) », Hülmbauer, Böhringer & Seidlhofer, op. cit., p. 26.

95 Voir http://www.curiosphere.tv/ressource/25336-lenseignement-des-langues-vivantes/page_url=/html/anglais-obligatoire03_role.cfm

96 Faut-il rendre l’apprentissage de l’anglais obligatoire dès le CE2 ?, article de Virginie Malingre, Le Monde.fr, 21 octobre 2004.

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Ne pas être capable de s’exprimer et d’échanger en anglais de communication internationale constitue désormais un handicap majeur, en particulier dans le cadre de la construction européenne (Rapport Thélot, 2003-2004 : 54).

La commission préconise que l’apprentissage de l’anglais sorte du cadre strict de la discipline pour acquérir un statut de « compétence transversale », ce qui augmenterait logiquement le temps de pratique de la langue97. Jacqueline Quéniart, qui a fait partie de la commission du débat national sur l'avenir de l'école, soutient cette position :

Je considère que l'anglais fait partie du bagage du citoyen du XXIe siècle. Selon moi, ne pas maitriser l'anglais de communication est handicapant. C'est la troisième langue en nombre de locuteurs, après le chinois et l'hindi, mais la seule langue internationale98.

Ces recommandations vont à contrecourant du rapport sur l’enseignement des langues étrangères en France (2003) du sénateur Jacques Legendre, un proche collaborateur du président Chirac. Ce sénateur était favorable à ce qu’une langue étrangère fasse partie du socle commun de compétences à condition que ce ne soit pas l’anglais :

[Jacques Legendre] estime qu'« il est légitime d'inclure une langue étrangère dans le socle commun de compétences. Mais pas l'anglais. Idéalement, il faudrait d'ailleurs mieux commencer par apprendre une autre langue, car toute une série de facteurs poussent de toute façon à l'apprentissage de l'anglais »99.

La journaliste rappelle la position de Claude Hagège, qui souhaitait que l’apprentissage de l’anglais ne soit pas possible à l’école primaire100. L’autre point sensible dans le débat sur la place de l’anglais à l’école est le flou entourant la notion d’anglais de communication internationale, notion peu compatible avec une approche à forte entrée culturelle qui est caractéristique de l’enseignement des langues dans le système éducatif français. Il semblerait qu’il y ait, en France, un tiraillement permanent entre, d’une part, la nécessité d’accompagner les élèves français vers une plus grande maîtrise de la langue anglaise et, d’autre part, le maintien, à l’intérieur du pays comme sur la scène européenne et internationale, d’une politique linguistique de défense du plurilinguisme qui va de pair avec la promotion du français dans d’autres pays. Ainsi, Francis Goullier, inspecteur général de

97 Pour que l’anglais international et la technologie de l’information et de la communication sortent effectivement du cadre strict des disciplines et acquièrent le statut de compétences transversales, on devrait veiller à ce que, aussi fréquemment que possible, les élèves soient mis en situation de les utiliser, y compris dans d’autres domaines (à l’image de ce qui se fait dans les sections européennes), rapport Thélot, p. 54.

98 http://www.curiosphere.tv/ressource/25336-lenseignement-des-langues-vivantes/page_url=/html/anglais-obligatoire03_place-dominante.cfm

99 Article de Virginie Malingre du 21 octobre 2004.

100 Idem.

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l’Éducation nationale, souligne-t-il la diversité de langues offertes dans le second degré en France par rapport à d’autres pays européens :

Même s’il est habituel d’en souligner les limites et d’en dénoncer les aspects contraignants, la France présente la caractéristique remarquable d’être, avec l’Allemagne, le pays en Europe où l’offre de langues étrangères enseignées au titre de l’enseignement obligatoire est la plus large (13 langues auxquelles viennent s’ajouter 10 langues régionales)101.

M. Goullier nuance cette donnée en précisant qu’un pourcentage minime d’élèves apprennent les langues autres que l’anglais, l’allemand, l’espagnol et l’italien dans l’ensemble des collèges et des lycées, mais que la diversité de fait reste « le trait saillant d’une politique linguistique éducative permanente ». À l’heure où d’autres pays optent pour l’apprentissage obligatoire de l’anglais (l’Italie, décret d’octobre 2005 mentionné par F. Goullier), ou décident de rendre l’apprentissage d’une LE facultatif (c’est le cas de l’Angleterre où la langue étrangère fut retirée du core curriculum à partir de septembre 2004 sous le gouvernement travailliste, rendant cet apprentissage facultatif dès 14 ans), la France continue de refuser le modèle d’une seule première langue étrangère : l’anglais.

Pour M. Goullier, le choix de la diversité va de pair avec le maintien du français dans d’autres systèmes éducatifs102. Celui-ci conçoit la défense du français moins comme « une concurrence avec d’autres langues européennes », qu’une « promotion de la diversité et de la nécessité du plurilinguisme ». Mais de quelle diversité parle-t-on ?

Dans le second degré, en 2009, 94 % des élèves qui étudient une première langue vivante étudient l’anglais. L’allemand LV1 est choisi par 7 % des élèves tandis que 2 % des élèves seulement étudient une autre première langue103. 80 % des élèves étudient une deuxième langue et c’est l’espagnol qui est dominant (71 %). L’allemand est stable à 14,8 % en 2009. 7% des élèves du lycée général et technologique choisissent une troisième langue :

Le bilan de l’apprentissage des langues vivantes dans le second degré montre que, quelle que soit la place qu’elles occupent dans le choix des élèves (première, deuxième ou troisième langue), l’anglais est enseigné à près de 98 % des élèves, l’espagnol à 40 %, l’allemand à 15 %, l’italien venant loin derrière (4 %)104.

101 Francis Goullier, L’apport du système éducatif français à la dynamique européenne dans l’enseignement des langues in La revue de l’inspection générale 03, p. 43.

102 Op. cit., p. 44

103 Repères et références statistiques – édition 2010. [Les élèves du second degré]. Sources: MEN-MESR-DEPP/

Système d’information SCOLARITÉ et enquête n°16 auprès des établisements privés hors contrat.

104 P. 122.

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L’anglais a progressé de 1 % depuis 2006, l’espagnol et l’allemand sont stables. Dans le même temps, le « bilanguisme » ou « l’apprentissage à part égale de deux premières langues étrangères » a progressé de 5 % en 2004 à 12 % en 2009 et le nombre d’élèves scolarisés dans des sections européennes a progressé de 10 % (23 600 d’élèves de plus en 2009 qu’en 2008) et l’anglais y est le plus souvent la langue étrangère dominante.

Si l’anglais n’a pas encore un caractère obligatoire officiel dans le discours des acteurs politiques et des cadres de l’Éducation nationale, il est de facto la première langue étrangère étudiée par les élèves français105. Cette tension est sans doute révélatrice d’une certaine ambivalence envers cette langue, à la fois de la part des politiques et des citoyens français. Ce sentiment d’ambivalence semble avoir des racines complexes liées à l’histoire de deux peuples rivaux106, à la défense de la langue française face à la progression galopante de l’anglais107 et à l’attitude des Français eux-mêmes qui est décrite de façon caricaturale sur des sites d’organismes privés d’enseignement linguistique:

La plupart des Français reconnaissent l'utilité de parler anglais pour les affaires et les voyages. Par contre, l'anglais n'est pas un sujet (sic) très valorisé dans les écoles, et de bons résultats en mathématiques et en sciences sont un chemin plus sûr vers le succès académique que la maîtrise de l'anglais. Les français sont également timides lorsqu'il s'agit d'utiliser l'anglais, et préfèrent parler français avec les étrangers, convaincus que leur anglais est faible et leur accent incompréhensible108.

Les langues étrangères sont souvent présentées comme le point faible des élèves français / des Français par les médias : c’est le « talon d’Achille » (AFP du 13 octobre 2009), le « mal français » (dossier du Monde de l’Education, Langues vivantes : le mal français, 1er février 2002). Les ministres de l’Éducation successifs ont tous souhaité trouver un remède au « mal » et, notamment, en raison des performances insuffisantes des élèves français dans les tests d’anglais ayant une diffusion internationale qui fournissent des indicateurs de comparaison entre les pays. Ainsi, Nicolas Sarkozy, dans l’annonce de son « plan d’urgence pour les langues étrangères au lycée »109 a-t-il mis en relation le pourcentage du PIB que la France consacre à l’éducation (5,8 %) et le rang

105 « L’anglais est étudié par 5 128 200 élèves, soit 95 % de ceux qui étudient une première langue vivante». Source : Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche, Paris : la DEPP, 2012, p. 127.

106 Christine Geoffroy explore ces aspects historiques dans La mésentente cordiale : voyage au coeur de l’espace interculturel franco-anglais, Paris : Grasset / Le Monde (2001).

107 Cf. La loi Toubon, 1994 et ses applications; article de Bruce Crumley dans TIME - "Why France is Pushing its Students to Master English":

www.time.com/time/world/article/0,8599,1932422,00.html?arId=1932422?contType=article?chn=world

108 http://www.ef.com.fr/epi/country-profiles/france/

109 AFP, 13 octobre 2009.

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peu brillant de la France comparé au classement d’autres pays européens et du monde110. Mais des observateurs étrangers s’étonnent de l’ambition démesurée de cette annonce qui intervient quelques mois après la remise du rapport Descoings111 sur la réforme du lycée :

Earlier this month, French President Nicolas Sarkozy unveiled an "emergency plan"

for teaching foreign languages in the nation’s schools with the lofty objective that

"all our high school students must become bilingual, and some should be trilingual."

Why the panic? Because as Sarkozy noted, a nation that spends 5.8 %112 of its annual GDP on education – the fifth-highest percentage in the world – simply must do better than its current rank of 69th among 109 countries on the standardized Test of English as a Foreign Language (TOEFL)113.

D’autres recommandations du rapport Descoings sont mentionnées par Nicolas Sarkozy dans la même annonce : plus d’oral, une meilleure adéquation entre la nécessité de pratiquer la langue orale, et l’évaluation des compétences au baccalauréat qui n’évaluait que l’écrit dans la plupart des séries114, plus de voyages linguistiques, développement de l’enseignement d’une matière par l’intégration d’une langue étrangère (EMILE), la mise en place de groupes de compétences (déjà expérimentée), la valorisation de la série L qui devient la série de « l’excellence linguistique », la généralisation des accords d’échange, la multiplication des contacts avec des « natifs »115.

On se souviendra du discours ambitieux du ministre Jack Lang qui, promettant une « avancée à marche forcée », soulignait l’importance de la présence de locuteurs natifs à l’école primaire:

La présence de locuteurs natifs est essentielle, non seulement pour aider les enseignants à assumer cette nouvelle mission de l’École, mais surtout pour donner l’occasion aux élèves d’être exposés à une langue dont l’authenticité ne peut que difficilement être égalée, de rencontrer des représentants de la langue et de la culture enseignées. La compétence de ces locuteurs natifs leur permet également de mener avec les élèves des activités diverses dans la langue116.

110 Ces résultats sont bien sûr à relativiser

111 Le rapport Descoings a été remis au Président de la République le 2 juin 2009.

112 Cette donnée semble réaliste d’après la publication de l’OCDE, Regards sur l’éducation 2010.

113 Bruce Crumley, Time.com, 31 octobre 2009.

114 « Il faut enfin se résoudre à mettre davantage l'accent sur la communication et la pratique orale. Pour cela, nous allons réviser la nature et le contenu des épreuves du baccalauréat », a dit M. Sarkozy (AFP du 13 octobre 2009).

115 « Le président a souhaité que soient « multipliés » les contacts des lycéens avec des personnes dont la langue maternelle est celle enseignée: cela pourrait se faire « via le développement des visioconférences et l'augmentation du nombre d'assistants de langues dans les établissements », en faisant notamment appel aux étudiants étrangers séjournant en France » (AFP, 13 octobre 2009).

116 Application du plan « Langues vivantes à l’école primaire ».

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L’annonce de la suppression de 1 000 postes d’intervenants en langues à la rentrée 2011 témoigne depuis du changement radical de modèle : aujourd’hui c’est le professeur des écoles qui est chargé d’enseigner la langue et les postes d’assistants et d’intervenants diminuent117. Il s’agit là d’un transfert d’expertise qui s’est réalisé de façon très progressive entre les premières expérimentations d’un enseignement d’initiation aux langues étrangères (EPLV puis EILE), en 1989 sous Lionel Jospin, et la généralisation de l’enseignement à proprement parler qui commence en 2002 avec la

« consécration des langues vivantes au nombre des disciplines obligatoires118 ». Aujourd’hui, cette généralisation est quasi-effective en cycle 3, mais l’absence de diversité de l’offre dans le primaire est source d’inquiétude pour certains (cf. rapport du Sénat). En 2010, René Macron, directeur du bureau des écoles à la DGESCO, expliquait la situation pour le dossier Hors-série : L'enseignement des langues vivantes en France. Les langues vivantes en primaire du 19 novembre 2011, publié sur le site Vousnousils, le webzine de l’éducation (créé en 2002) :

La majorité des écoles ne proposent qu'une seule langue, à savoir l'anglais. Il n'est donc pas possible de choisir : « la taille des établissements est souvent réduite, ce qui ne permet pas de proposer plusieurs langues », justifie René Macron. « Or, il est difficile d'imposer une autre langue que l'anglais à l'ensemble des élèves. » Résultat : plus de 90 %119 des écoliers apprennent l'anglais.

L’anglo-centrisme120 se retrouve donc à tous les niveaux, y compris dans la lettre de mission adressée par le ministre Luc Châtel à Mme Suzy Halimi, le 29 mars 2011, dans le cadre du « Comité stratégique des langues » chargé de mener une réflexion sur l’évolution de l’enseignement des langues vivantes « notamment l’anglais devenu nécessaire dans le domaine social, économique et professionnel ». Dans son analyse de la place de l’anglais à l’école, Gilles Forlot théorise la situation paradoxale dans laquelle on se trouve :

Le système éducatif (et par là même la plupart de ses acteurs, qu’ils soient enseignants, inspecteurs, parents…) est sans doute passablement schizolingue (cf.

Forlot, 2009a), obéissant tant bien que mal à des injonctions paradoxales (voir aussi Castellotti, 2008b) : développer le plurilinguisme et l’ouverture à la pluralité dans l’espace scolaire tout en répondant implicitement à la demande sociale très forte du

« tout anglais » et « du plus en en plus d’espagnol » (Forlot, 2010 : 109) .

117 En 2009, l’enseignement était assuré par les professeurs des écoles dans 90 % des cas. Source : enquête DGESCO 2009 (vousnousils.fr).

118 Rapport du Sénat, 2003-2004.

119 Source : Enquête 2009 de la DGESCO. 8,67% des élèves apprennent l’allemand et 1,59 % apprennent l’espagnol.

Les effectifs restants se partagent entre l’italien, le portugais, le chinois, le russe et l’arabe.

120 Terme employé par Gilles Forlot dans son article : Place de l’anglais et paradoxes des apprentissages à l’école, Les Cahiers de l’Acedle, vol. 7, n° 1, mars 2010.

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Forlot imagine différents scénarios pour l’anglais : l’apprentissage de l’anglais ferait partie des 2 ou 3 langues enseignées et serait comme un « socle à l’apprentissage linguistique diversifié » ; l’anglais deviendrait un outil de promotion de la diversité dans un scénario du plurilinguisme, une sorte de « statu quo amélioré » où le métalinguistique aurait une place importante (Forlot, 2010 : 116). Dans sa conclusion, Forlot sous-entend que la didactique plurilingue n’est pas encore une réalité en dehors des « débats scientifiques entre universitaires ».

En conclusion, l’anglais a une place dominante dans le système éducatif français en raison de la forte demande sociale et des configurations structurelles dans le premier degré, mais il peine à être associé à une image positive en termes de résultats et d’efficacité. Le développement des classes bilangues (deux langues au programme en 6e) et européennes semble traduire un intérêt réel pour les langues mais, pour l’heure, ces deux dispositifs concernent une minorité d’élèves seulement.

Une meilleure adéquation entre la pratique de l’oral au lycée et les modalités d’évaluation du baccalauréat général et technologique sera effective à la session 2013121 et cela dans toutes les séries, suite à une expérimentation en STG. On notera qu’il aura fallu quatre ans pour que les épreuves intègrent l’évaluation de l’oral préconisée par le rapport Descoings. Il faudra donc attendre les retombées des réformes récentes pour pouvoir en mesurer les effets, tout en sachant qu’apprendre une langue étrangère est un processus lent qui ne peut se faire uniquement dans le cadre scolaire, ce qui amène à nous interroger sur la faisabilité de ce métier dont le succès dépend en grande partie du désir, de la volonté et de l’implication des élèves eux-mêmes.

1.4. Enseigner (l’anglais) : un métier