• Aucun résultat trouvé

L’alternance codique est un phénomène linguistique lié au contact entre les langues et à la mobilité des personnes. Pour Lorenza Mondada, elle pose la « question de l’articulation entre langue, société, culture et contexte » (2007 : 170). Dans un entretien, le participant bi/plurilingue, tout comme l’enquêteur, est libre – et parfois obligé – de jouer avec les différents codes à sa disposition, dans la mesure où ceux-ci sont à la portée de l’enquêteur. Il s’agit là d’un acte d’identité dans le cadre d’une interaction endolingue : « Language crossing enables speakers to change footing within the same conversation… By crossing languages, speakers perform cultural acts of identity »;

« Language crossing can be used also for more complex stances by speakers who wish to display multiple cultural memberships and play off one against the other » (Kramsch, 1998 : 70-71).

L’alternance codique, selon Peter Auer, peut être fonctionnelle sans avoir une dimension sémantique, bien que souvent le choix du code aura une signification (Auer, 1984 : 105). Pavlenko et Blackledge (2004) reviennent sur l’analyse de l’alternance codique faite par Myers-Scotton qui considère qu’un locuteur choisit le code en fonction des droits et des obligations que celui-ci cherche à négocier au sein de l’interaction. L’alternance codique peut ainsi réduire la distance sociale entre deux individus ou, au contraire, l’agrandir (Pavlenko et Blackledge, 2004 : 8).

L’alternance codique est la norme dans des communautés bilingues ou plurilingues370 (Luisa Duran, 1994) et, dans ce cas, les interlocuteurs y ont recours de façon fluide et non marquée.

L’alternance n’interrompt pas le cours de l’interaction qui a toutes les caractéristiques d’une conversation monolingue (Gumperz, 1982), car les interlocuteurs tiennent compte des contraintes grammaticales des deux langues (Duran, 1994). Aujourd’hui, l’on considère que l’alternance codique est moins une interférence (Weinreich, 1953) ou le « symptôme » d’un manque de compétence qu’une stratégie de communication (Gumperz, 1982) (cf. notions d’alternance situationnelle et d’alternance métaphorique). Louise Dabène et Danièle Moore (1995) soulignent le

370 Luisa Duran, « Toward a better understanding of code-switching » in The Journal of Educational Issues of Language Minority Students, vol. 14, hiver 1994, p. 69-88.

171

fait que des « déviations » peuvent arriver pour des raisons stylistiques (Dabène et Moore, 1995 : 127).

L’alternance codique est donc une « ressource pour la parole-en-interaction » (Lorenza Mondada, 2007). Pour cette linguiste, l’alternance codique est une « ressource mobilisée par les participants de manière contingente, localement située, sensible à l’organisation séquentielle de l’interaction en cours » (Mondada, 2007 : 168). L’auteur explique que l’alternance codique (elle conserve le terme anglais de code-switching, ou CS) peut avoir diverses fonctions et être inter- ou intra-phrastique371 :

« Nous avons affaire ici à un ensemble mouvant de ressources bricolées en temps réel par les locuteurs. Cela invite à concevoir la grammaire moins comme un système que comme une pratique sociale » (Mondada, 2007 : 169). Selon Mondada, il est plus pertinent d’analyser des alternances codiques à partir d’un modèle séquentiel plutôt qu’à partir d’une liste de fonctions si l’on veut comprendre comment les interlocuteurs « organisent et rendent sensé le CS de manière contingente et occasionnée au fil de l’interaction372 ».

En général, l’alternance se fait dans le respect de la syntaxe des langues-en-contact : c’est ce que Poplack (1980) appelle equivalence constraint373. Voici l’explication de Mondada :

Ce modèle s’articule au Markedness Model qui rend compte des motivations sociales du CS : étant donnée une situation où se déroule un certain type d’interaction, les locuteurs traitent un certain code comme normativement et conventionnellement attendu (non-marqué) dans ce contexte, en tant qu’indexant un ensemble de droits et obligations : en utilisant le code non-marqué, ils adhèrent aux normes en question et maintiennent un statu quo des positions. Autrement dit, « all speakers have mental representations of a matching between code choices and rights and obligations sets » (Myers-Scotton, 1988: 152). (…) Lorsque le choix est marqué, le locuteur entend renégocier sa position par rapport à celle qui était attendue (Mondada, 2007 : 172).

Ce modèle a évolué depuis et tient compte de la « dimension calculée » des choix des locuteurs bilingues (Rational Choix Model, Myers-Scotton et Bolonyai, 2001)374. Mondada liste quelques-unes des « fonctions » du code-switching, tout en expliquant les avantages et les inconvénients d’une approche fonctionnelle375. Voici une synthèse de quelques-unes de ces fonctions rappelées par Mondada :

371 Ibid., p. 169.

372 Ibid, p. 170

373 Voir Mondada, op. cit., p. 172 .

374 Ibid., p. 173.

375 Ibid, p. 173. Voici la critique que Lorenza Mondada fait des listes de fonctions : « Ces listes de fonctions présentent certes l’avantage d’être issues d’observations empiriques et d’offrir des pistes pour analyser des occurrences attestées,

172 Quelques fonctions de l’alternance

codique

Source : Lorenza Mondada, Le code-switching comme ressource pour l’organisation de la

Exprimer une fonction métacommunicative en suggérant une certaine interprétation de l’énoncé.

Accroître le potentiel référentiel du lexique.

Exploiter les spécificités d’expressions dans une langue particulière.

Gumperz introduit la notion importante de contextualisation (contextualisation cue) : le code-switching contribue à la construction du sens des énoncés et joue un rôle dans le travail d’interprétation, notamment en raison du contraste qui est créé par le changement de langue.

Mondada précise que « ce contraste reçoit une interprétation en fonction de son placement séquentiel – en réponse à la question qui soutient constamment l’activité interactionnelle des co-participants : « why that now ? » »376.

Dans le cadre de l’analyse des entretiens des PALN, il sera intéressant d’explorer les différentes facettes de l’alternance codique et, en particulier, le lien entre celle-ci et les différents positionnements identitaires à l’œuvre dans une interaction située. Gumperz (1982) a introduit les termes « we code » et « they code » : « le « we » correspond souvent à une position minoritaire dominée et le « they » à une position majoritaire dominante » (Mondada, 2007 : 180). Mondada propose de voir le « we » et le « they » non pas comme « des identités fixes associées de manière stable à des « codes » », mais comme « une manière parmi d’autres de produire localement du sens dans leur mobilisation et agencement spécifique à la séquence en cours »377, sachant qu’il peut y avoir une inversion entre le « we » et le « they » qui ne doivent pas être traités de façon binaire, car leur emploi dépend du positionnement du locuteur : « À travers des choix linguistiques (choix de lexique, de grammaire, de prononciation…), les locuteurs proclament, revendiquent, ou changent,

mais posent néanmoins plusieurs problèmes : a) elles sont ouvent ouvertes, ne pouvant prétendre à l’exhaustivité ; b) elles réunissent des fonctionnalités hétérogènes, certaines relevant des processus cognitifs, d’autres de pratiques sociales, d’autres encore de fonctions discursives – présupposant souvent des modèles très différents du CS lui-même ; c) elles confondent souvent les formes utilisées et les effets qu’elles produisent ».

376 Ibid., p. 175. Voir les travaux de P. Auer (1984, 1988, 1995, 1998b).

377 Ibid, p. 181.

173

leur identité, en s’associant ou en se distanciant des groupes de référence, identifiés à travers des matériaux linguistiques particuliers »378.