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Dans le cas des entretiens de personne à personne, tant en mode individuel qu’en groupe, la position du chercheur revêt une importance particulière. Il importe d’en dire quelques mots dans le cas présent puisqu’il s’agit d’une étude qui explore une pa rt personnelle de l a vie des ménages, qui est leurs trajectoires résidentielles. Comme il s’agit de l’étude de l’opinion d’un individu par rapport à sa propre trajectoire, nous avons dû nous positionner en tant qu’individu neutre, mais compréhensif et surtout compatissant vis-à-vis des difficultés liées à un parcours résidentiel dans un nouveau pays, souvent le point d’ancrage d’une nouvelle vie.

Le chercheur qui mène l’entretien occupe un s tatut et une pl ace particulièrement importante. Les auteurs qui étudient les méthodes qualitatives ne s’accordent cependant pas sur la position à adopter, ou sur les effets de la distance, quelle qu’elle soit, entre le chercheur et le participant. Certains auteurs mentionnent l’importance de r etrouver des caractéristiques semblables entre le chercheur qui mène l’entretien et les participants. Ces caractéristiques vont de la provenance ethnique commune au sexe et à l’âge, puis au style vestimentaire qui ne doit pas intimider le participant. Ces auteurs parlent de « blending-in » (May 2001 : 128). Pour leur part, Miller et Glassner (2004 : 132) affirment au contraire que l’existence de différences sociales entre l’intervieweur et le participant ne si gnifient pas que les entretiens sont dépourvus d’information pertinente sur les sociétés. Selon ces auteurs, ces différences peuvent être mises de l’avant de façon à permettre aux participants de révéler leurs expériences de vie. En effet, l’avantage potentiel que contiennent les différences sociales entre les deux parties est la perception que le participant a de lui-même comme un expert de la question d’intérêt. Le fait de se trouver dans cette position pour quelqu’un peut certes renfermer des avantages liés à l’empowerment. Le participant a donc l’occasion de révéler des éléments de sa vie qui suscitent l’intérêt d’un chercheur, qui n’est pas spécialiste, car il n’a pas expérimenté la situation. Selon Miller et Glassner (2004), cette approche est d’autant plus applicable aux entretiens de recherche menés auprès de groupes ostracisés ou stéréotypés. Nous avons vécu ce type de si tuation, autant au co urs des entretiens individuels que lors du focus group, et particulièrement lorsque nous avons abordé les thèmes du logement dans le pays d’origine, et de la perception des quartiers comme des communautés.

65 May (2001) met toutefois en garde contre cette règle établie : le fait de posséder des caractéristiques semblables ou différentes à celles des participants n’est pas tout ce qu’il faut pour mener un entretien de recherche réussi; d’autres conditions importantes doivent être considérées afin d’assurer le succès d’un entretien. K ahn et Cannell (1983) et Moser et Kalton (1983) posent ces trois conditions : l’accessibilité, la compréhension du participant de son propre rôle et la motivation.

L’accessibilité du participant réfère à la connaissance du sujet de l’étude de la part du participant. Dans le cas d’un entretien, le participant doit être en mesure de fournir l’information que le chercheur souhaite obtenir. C’est à ce moment que le chercheur doit posséder, ou à tout le moins connaître les caractéristiques particulières du répondant qui lui permettront de l ui faire comprendre les questions dans les mêmes termes qu’il les comprend lui-même. Comme le mentionne May (2001 : 128), un manque d’information de la part du participant peut résulter de différentes situations; le participant peut avoir oublié l’information, elle peut être trop chargée émotionnellement, ou être amenée dans un cadre de référence que le participant ne connaît pas. Il importe donc pour nous de connaitre ces situations contraignantes, et d’être en mesure de s’y adapter (voir l’opérationnalisation des concepts, plus loin). La compréhension du participant de son propre rôle réfère à ce que le chercheur attend de lui en tant qu’interviewé. C omme le mentionnent plusieurs chercheurs dont May (2001), Duchesne (1996) et Miller et Glassner (2004), les entretiens ne consistent pas uniquement en des moyens d’amasser de l’information, mais sont également des rencontres sociales. Le langage est une forme d’expression qui n’est jamais totalement dépourvue de sa charge émotive. L’entretien de recherche, bien qu’il se veuille a priori une cueillette d’informations, est aussi un acte de représentation de soi. O n pense que sans une compréhension préalable de la situation sociale dans laquelle ils sont impliqués, les interviewés se sentiront moins confortables au cours de la rencontre (May 2001 :129). Comme l’affirme May (2001), « The [focused] interview is a process of building up trust and cooperation ».

Nous avons tenté de recueillir des propos provenant de l a trajectoire vécue par les participants, en démontrant une ouv erture et une co mpassion envers nos interlocuteurs. M ême si nous étions conscients du fait que les données ne sont disponibles que parce que nous sommes présents pour les recueillir, nous avons construit des relations d’entretien qui soient les plus neutres possible (Dufresne 1996 : 204), et qui nous permettent d’avoir accès à un di scours authentique et complet de la part des participants.

La motivation de l’interviewé participe généralement au succès de l’entretien de recherche. Selon Moser et Kalton (1983 : 271), pour offrir une performance appréciable, le participant doit sentir que sa contribution à la recherche est valorisée. Nous devons donc, en tant que chercheur, assurer une continuité à l ’entretien, et fournir une attention soutenue à l’interviewé afin qu’il sente que nous sommes intéressés par ses propos et que leur divulgation revêtent une certaine importance.

66 Finalement, nous avons consulté plusieurs ouvrages de référence afin de peaufiner notre technique d’entretien. Selon nous, la plupart des auteurs qui ont effectué des recherches en méthodes qualitatives, et particulièrement sur les entretiens de recherche s’accordent pour dire que les informations recueillies lors de ces rencontres sont des connaissances socialement construites. Plusieurs auteurs (Holstein et Gubrium, 2004; Miller et Glassner, 2004; Savoie-Zajc, 2008) rapportent que les entretiens sont des interactions entre des individus qui donnent mutuellement un se ns aux phénomènes sociaux étudiés. Selon Holstein et Gubrium (2004 :141),

« all knowledge is created from the actions undertaken to obtain it (…) Any interview situation relies upon interaction between participants who are constantly engaged in interpretive practice. B ecause interviewing is unavoidably collaborative, it is virtually impossible to free any interaction from those factors that could be construed as contaminants. Participants in an interview are inevitably implicated in making meaning ».

Finalement, nous avons consulté des personnes originaires d’Afrique avant le début des entretiens de recherche. Ces rencontres informelles visaient à connaître le contexte socioculturel des participants et les sujets desquels nous devions nous éloigner pour ne pas mettre en pér il l’enchaînement de l’entretien, sa validité, ou la confiance que l’on a progressivement établie avec le ou les participants.