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Au fil de leur trajectoire résidentielle, les nouveaux arrivants élaborent des stratégies9 pour palier aux

obstacles de différents ordres qu’ils rencontrent. La stratégie la plus commune s’inscrit en réponse à l’obstacle le plus commun, c’est-à-dire l’accessibilité financière au logement. Dans le but de diminuer la part du revenu consacrée au logement, les nouveaux arrivants vivent en colocation, souvent avec des colocataires d’origines ethniques communes (Teixeira, 2008). Murdie et Teixeira (2003) affirment qu’à Toronto, les immigrants de l’Asie du Sud, de l’Asie de l’Est, de l’Amérique latine, des Caraïbes, d’Afrique de l’Est et du Vietnam vivent souvent dans des conditions de surpeuplement10

Les stratégies d’entassement et de la colocation, employées par un bon nombre de réfugiés, sont identifiées par certains chercheurs comme étant liées à l’âge de cette catégorie d’immigrants, qui n’ont souvent pas de famille et pour qui il s’agit de l a solution la plus simple. O n trouve parmi eux des ménages de 5 ou 6 per sonnes dans le même appartement, même chez des personnes qui ont acquis . Ces groupes comprennent un nombre relativement important d’immigrants récents, et ont des revenus plutôt modestes et des familles nombreuses. Ils sont également issus des minorités visibles et sont donc des cibles potentielles de la discrimination raciale.

Le surpeuplement des logements s’observe davantage parmi les familles nombreuses, dont les enfants occupent la même chambre en ne respectant pas les normes prescrites, mais les cas de surpeuplement de logement par des ménages non familiaux de nouveaux arrivants existent également. Le phénomène se mesure cependant difficilement, notamment en raison du non respect des codes des différentes instances gouvernementales, puis à cause des situations qui ne sont pas déclarées au recensement (Murdie et Teixeira, 2003). Selon Hiebert et al. (2006), Rose et al. (2006); et Rose et Ray (2001), les réfugiés sont largement les plus susceptibles de se trouver dans cette situation résidentielle.

9 Nous utilisons le terme “stratégie” au sens de la compréhension du processus décisionnel des individus et des ménages qui cherchent un logement. Crowe (1989) définit le concept de stratégie dans les sciences sociales : « In practice, usage of the concept of strategy frequently flies in the face of Wood and Kelly’s observation that it “has connotations of comprehensiveness, coherence, long-term perspectives and consciousness (1982: 84)” (...) Strategies are not exclusively the preserve of dominant groups, however. Dominated groups, too, may devise strategies, perhaps in response to those of dominant groups which impinge on them. (...) In general, dominated groups all need to make choices about the strategies to adopt to vest secure their objectives, and these choices will be better informed where the past actions of others are taken into consideration and their future actions are anticipated ».

10 Nous définissons le surpeuplement comme « la situation d’un ménage dont le logement contient plus d’une personne par pièce, à l’exclusion des salles de bain, hall d’entrée et pièces utilisées exclusivement pour le travail ». Cette définition est tirée du dictionnaire du recensement, qui détermine selon quels standards un ménage est considéré comme entassé dans son logement. Il est à noter que cette définition ne correspond pas au Standard national d’Occupation, qui tient compte de l’âge, du genre, du statut marital et parental des occupants du logement, depuis 1996 (SCHL, 2008). Il nous semble toutefois important de nuancer cette définition, puisque certains facteurs culturels entrent ici en ligne de compte. Ainsi, les standards de d’occupation et les modes de v ie varient selon les cultures, or tous n’ont pas la même perception du surpeuplement (Haan, 2010).

48 une certaine connaissance du système de logement et après quelques déménagements (Murdie, 2008; Teixeira, 2008). Les auteurs rapportent toutefois des difficultés liées à la colocation : manque d’intimité, modes de vie et cultures différents, obligation de supporter les habitudes des autres adultes qui cohabitent, situations qui entraînent souvent des conflits.

Outre le surpeuplement des logements, les ménages vont parfois sacrifier des éléments importants de la vie de famille, d’une vie saine, de la sécurité individuelle et de celle du ménage pour surmonter les obstacles. Ainsi, ils vont parfois accepter de s’établir dans des quartiers où règne un certain climat de violence, de la prostitution, du trafic de drogue, où les logements sont mal entretenus, et où ils ne se sentent pas en sécurité, car le marché résidentiel y est plus accessible. Ainsi, il importe de noter que l’accès aux services essentiels n’est pas tout : ces services doivent être accessibles dans un cadre sécuritaire. Dans une étude sur la construction de l’identité citoyenne et la concentration de la pauvreté immigrante dans les métropoles canadiennes, Smith et Ley (2008) mentionnent qu’à Toronto et à Vancouver, de nombreux nouveaux arrivants (la plupart des participants à l’étude) font le choix, pour plusieurs raisons, de s’installer dans des quartiers centraux. Ces quartiers sont situés à proximité des ONG qui leur fournissent des services, mais les taux de pauvreté parmi les immigrants récents y sont de plus de 30% et plus de 40% de l’ensemble des résidents y ont de faibles revenus (Smith et Ley, 2008 : 691). Les choix de localisation résidentielle des immigrants récents de Toronto et Vancouver sont en premier lieu motivés par l’accès aux ressources et par le coût de la vie, malgré les conditions de vie du quartier :

“The area I am living in now is not the place of my choice. It is the place where I live without necessity. I’m kind of forced to live there. It is a high rise building. It’s a twenty story building, but the cost is less. It’s a crowded area. Mostly low income people live there and most o them are from Asia, Africa, South America. T he building is not very famous for its security... T he people living there are not very considerate of each other...“ (Smith et Ley, 2008: 600 [Toronto]).

“The kids go to school right across the street. It’s very convenient... There are lot of wrong type of people gathering right around my building and some of them really traffic certain things that they shouldn’t be in. And when I come home at night and ring my kids from the babysitter it king of scares me” (Smith et Ley, 2008: 701 [Toronto]).

En choisissant de vivre dans des environnements résidentiels pauvres, et en obtenant l’aide financière de l’État, les réfugiés sont prêts à un grand nombre de sacrifices pour éviter l’itinérance, et ils se retrouvent souvent dans des situations de vulnérabilité extrême (logement surpeuplés, de pi ètre qualité, et mal entretenus), selon une étude menée à Vancouver (Fiedler 2006 :206).

Les sources d’insatisfaction par rapport aux logements des nouveaux arrivants à Montréal sont en premier lieu l’inaccessibilité financière, puis la taille du logement et le système de chauffage (Rose et Ray, 2001). Rappelons qu’à Montréal, l’importance de l’enjeu de la salubrité des logements a pressé la Ville d’agir, en 2005. Les demandeurs d’asile et réfugiés de Toronto ont mentionné le coût en premier lieu, puis la qualité du logement, et le manque d’entretien des logements. Certains ont même souligné qu’ils étaient mieux dans leur pays d’origine (Murdie 2008 :98).

49 Dans ces circonstances contraignantes, les conditions de logement et du v oisinage pourraient constituer une entrave à une intégration réussie puisque la perception du logement comme un chez-soi et du voisinage comme une communauté seraient compromis. Les caractéristiques du logement choisi et son environnement importent donc pour qu’un certain niveau de s atisfaction soit atteint par le ménage, et qu’il qualifie son logement de « chez-soi11

La perception du voisinage comme d’une communauté

» (Murdie, 2002). La qualité physique et sociale de l’environnement de résidence, tout comme le quartier dans lesquels il se trouve revêtissent donc une importance particulière dans l’analyse des conditions de logement des nouveaux arrivants. L e niveau de satisfaction des nouveaux arrivants en ce qui a trait au logement qu’ils occupent et la mesure dans laquelle ils sentent chez-eux dans ce logement est lié aux attentes qu’ils avaient avant d’arriver au Canada, et aux modifications qu’ils ont apportées à leurs choix résidentiels au cours de leur recherche (Murdie et al., 1999 :21).

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