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Certains participants ont affirmé avoir vécu des situations discriminatoires au cours de leur recherche de logement. Nous aborderons ici les motifs de la discrimination, la nature des perceptions de la discrimination vécue et nous mettrons les expériences en lien avec la littérature déjà recensée.

Les processus discriminatoires, comme nous l’avons évoqué précédemment relèvent souvent des perceptions des gens qui la vivent, car les faits demeurent souvent difficiles à prouver. Les situations discriminatoires que nous avons recensées auprès des participants à la recherche sont toutefois nombreuses et prennent diverses formes, qu’il importe d’aborder. La discrimination à l ’égard des demandeurs d’asile est perçue sur diverses bases, dont les principales sont la provenance ethnique, la source de revenu et le statut d’immigration.

Les perceptions demeurent des impressions personnelles, et elles varient d’une personne à l ’autre, selon les schèmes de r éférence de chacun. L e processus inverse, c'est-à-dire le fait de ne pas percevoir de di scrimination là où el le est perceptible par d’autres, est également possible (Murdie, 2008 : 93). Comme nous l’avons mentionné dans le chapitre 4, le focus group a pour sa part démontré que le sujet fait l’objet d’une certaine retenue. Nous considérons donc ici uniquement les propos des participants rencontrés en entretien individuel.

« Ou bien à la dernière minute quand j’arrive, ils disent je suis désolé, il y a une autre personne qui vient juste de passer (…) Il y avait même des gens qui me disaient tu peux venir à telle heure et aussitôt que je venais il n’y avait personne (…) en plus, ils ont pas de preuve que tu vas pas payer, ils ont vraiment un préjugé que tu vas pas payer » (Jessica, E-12, demandeur d’asile ayant reçu la résidence permanente). « Des fois quand j’appelle ils me demandent tu es de quelle nationalité et je dis je suis de la Guinée Conakry, d’Afrique, et ils me disent il faut rappeler après. Et quand je rappelle, ils me disent c’est déjà pris. C’est comme ça. (…) Plusieurs fois ils me demandent tu es de quelle race. J’ai dit monsieur je suis africain. Il m’a dit de lui donner mon numéro. Après il va me rappeler, je lui ai donné et il m’a pas rappelé » (Jason, E-05, demandeur d’asile).

« Il y a des propriétaires qui me donnaient rendez-vous et puis on me disait que c’était disponible, on discutait même les prix, et quand je venais, on me disait que malheureusement, c’est pas disponible. La pièce est occupée, des histoires comme ça. J’en ai parlé à la travailleuse sociale, et elle m’a dit écoutez, il faut faire attention, les gens ici sont pas toujours (…) Moi, je croyais que c’était de bonne foi. Seulement la travailleuse sociale qui avait mon dossier depuis le début, c’est elle qui m’a fait remarquer qu’il y a des gens racistes des fois. On ne peut pas généraliser, mais je sais que ça existe, quand je lui ai dit comment on me répond. C’est à ce moment-là que j’ai songé à demander de l’aide pour trouver un logement » (Jim, E-10, demandeur d’asile ayant reçu la résidence permanente).

« J’avais vu dans un journal une habitation et j’ai téléphoné. Alors je me suis dit il faut que je dise qui je suis pour ne pas perdre mon temps, alors j’ai rappelé, j’ai dit madame, je suis une africaine, j’ai deux

97 garçons, est ce que vous allez vraiment me faire louer. Parce que j’avais eu l’expérience belge, ils sont très racistes. Elle m’a dit …euh… elle m’a donné une explication comme quoi il y avait des gens qui avaient déjà téléphoné, qui prenaient la maison, que c’était pas la peine, je crois que c ’était ça [une situation discriminatoire]. J e pense… il y en a qu i n’aiment pas, alors les gens qui voulaient louer l’appartement vivaient en bas ou en haut, alors vous deviez habiter ensemble. Alors je pense que c’était un problème de discrimination » (Johanne, E-04, demandeur d’asile).

Ainsi, l’état des lieux en ce qui concerne les comportements discriminatoires dans le domaine du logement ne semble pas avoir beaucoup évolué au cours des vingt dernières années. En effet, malgré une diminution importante du nombre de plaintes pour discrimination déposées par des résidents issus des minorités visibles à la Commission des droits de la personne à M ontréal (Hachey, 2009), nous avons observé une réalité où les comportements discriminatoires persistent. L’objet de la discrimination perçue par les participants ne faisait pas uniquement référence à la couleur de leur peau ou à leur origine ethnique, alors que la diminution des plaintes répertoriées concerne seulement ce type de situation22

22 La Presse rapporte néanmoins que «Le nombre de plaintes liées à la race, à la couleur ou à l'origine ethnique des locataires québécois est passé de 36 e n 2001-2002 à 17 en 2007-2008. Pendant la même période, le taux d'inoccupation des logements est passé de 0,6% à 2,4% dans la grande région montréalaise, où se concentrent la majorité des immigrants». Il s’agit là de plaintes répertoriées officiellement à la Commission des droits de la personne, ce qui pourrait possiblement ne pas être représentatif du nombre réel de cas de discrimination.

. Il importe de signaler qu’aucun participant à notre étude ne s’en est plaint devant les instances officielles.

La discrimination se manifeste aujourd’hui, selon nos observations, de façon plus détournée que le décrit l’auteure du rapport rédigé pour le compte de l’organisme ROMEL, en 1990 (Bernèche, 1990). Ces formes de discrimination moins évidentes peuvent aussi faire en sorte qu’il devient difficile de fournir des preuves de l’événement, et donc d’adresser des plaintes fondées sur des faits vérifiables. C’est par exemple le cas des locateurs qui prennent les coordonnées des gens et qui ne les rappellent pas.

Dans une perspective toute autre, certains participants, particulièrement ceux qui n’ont pas dû chercher de logement, ne perçoivent aucune situation discriminatoire et peinent à i maginer que cela puisse exister dans leur société d’accueil. C e sont souvent des réfugiés sélectionnés à l’étranger qui, notamment à cause de nos critères de sé lection des participants, n’ont pas encore rencontré d’obstacles à l’intégration pour diverses raisons. Ils n’ont pas vécu très longtemps au Canada, sont souvent sélectionnés dans des pays où la réalité quotidienne est très dure, et ont été bien guidés à l’arrivée à Montréal :

« Vous a-t-on refusé l’accès à un logement pour des raisons discriminatoires, à Montréal? »

« Non, non, non, non. Je t’ai dit que tout le monde était gentil (…) » (Jeffrey, E-08, demandeur d’asile, 38 ans, [très peu scolarisé]).

« Non, non, non. Personne ne peut oser ça. Nous sommes dans un bon pays » (Joliane, E-09, réfugié sélectionné à l’étranger ayant reçu la citoyenneté canadienne, 43 ans).

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Stratégies mobilisées pour surmonter les obstacles

Les participants que nous avons rencontrés ont presque tous, nous l’avons vu, vécu des difficultés liées au prix du logement, ou à l’exigence d’une contresignature du bail. Ces obstacles particuliers ont dû être surmontés par la mobilisation de diverses stratégies telles la colocation, puis dans certains cas le surpeuplement des logements, l’appel à la communauté ethnique d’origine, la participation à la vie communautaire et l’accès au logement social et abordable.