• Aucun résultat trouvé

A partir des observations menées, nous avons pu repérer des formes d’attachement spécifiques aux élèves dans les dispositifs volontaires, peu visibles dans les cours d’EPS. Au sein de ces espaces de pratique, les deux premières formes d’engagement sont peu perceptibles et occasionnelles. Les élèves investis dans ces espaces « jouent », veulent « bien répondre » et « inventent ».  

Nous avons constaté la relation entre l’expression de certaines formes d’engagement des élèves et les étapes qui jalonnent les séances de danse et de cirque scolaire, organisées autour de la structure de l’atelier : le début d’atelier, la phase de création, la phase de composition et le temps de répétition, le temps de représentation devant les autres élèves. Ces moments particuliers imposent aux élèves – comme aux danseurs et circassiens en général – une expérience particulière et posent la question de l’engagement. Analyser ce qui se joue dans ces différentes étapes de la pratique des élèves impose de resserrer le cadre de lecture.  

En articulant les indicateurs ayant présidé à l’élaboration de notre typologie avec la temporalité de l’atelier de création, de la première consigne au passage devant un public, nous avons remarqué comment évoluent, parfois se combinent, les formes d’engagement des élèves dans les APA. Ce positionnement met en lumière certains jeux, au sens de glissements dans les caractéristiques des formes d’engagement. La typologie fonctionne alors comme point de départ à l’analyse, premier angle d’attaque, et non comme aboutissement. Considéré comme une grille de lecture et de clarification de l’activité des élèves dans les APA, cet outil est envisagé comme dynamique. L’analyse plus spécifique des différentes formes d’engagement que l’on peut voir au sein d’une même étape permet de mieux cerner la dynamique des variations qui s’opèrent chez l’élève, oscillant entre plusieurs types de rapport à sa pratique des APA. 

Pour cela, deux moments de la pratique volontaire des APA ont été privilégiés : le début d’atelier et la phase de création où les changements sont fréquents, et où les formes d’engagement fluctuent régulièrement pour un élève, au sein d’une même séance, et à fortiori d’un cycle d’activité. Nous espérons contribuer à identifier les caractéristiques des formes

 

d’engagement pour en relever la complexité, et comment elles résonnent en eux, et non pour « ranger » les élèves dans des « catégories » fermées.  

2.1. Le début de l’atelier

Cette analyse porte sur les espaces volontaires, ce qui a permis d’envisager les variations des formes d’engagement des élèves, à la fois à l’échelle d’une séance, mais aussi de périodes plus longues. 

Les élèves s’inscrivant dans des dispositifs volontaires, peuvent avoir ou non une expérience antérieure de la danse et/ou du cirque. Quel que soit leur vécu passé, chaque phase de découverte de l’atelier révèle des spécificités de l’engagement dans les APA mettant à jour des types d’attachements différents et évolutifs.  

Blocage / incompréhension : Contrairement au refus mis en évidence lors des cours d’EPS (caractéristique de la volonté de ne pas adhérer à la pratique qui leur est proposée), le blocage apparaît pour les trois types d’engagement, mais plus rarement pour les élèves « inventeurs » et plus fréquemment pour les élèves qui souhaitent « bien répondre » ou « jouer ». Cette difficulté à entrer dans l’atelier renvoie à deux motifs selon les élèves : soit une incompréhension de la demande faite, soit le sentiment d’incapacité à trouver des solutions par soi-même. Le blocage s’exprime alors à la fois dans les propos de l’élève, mais aussi par une immobilité et un repli. Dans ces cas de repli, l’élève ne va pas vers l’enseignant, et peu vers ses partenaires. Il est dans une posture que l’on pourrait qualifier d’attente, empreinte d’incompréhensions. Ce temps de fermeture peut être renforcé lorsqu’il associe, aux yeux de l’élève, une demande qu’il « ne comprend pas » et la nécessité de faire intervenir un objet ou une technique qu’il pense « ne pas maîtriser du tout » (ce qui est fréquent par exemple lors des ateliers de création sur le projet d’un solo jonglé) 

Curiosité / Persévérance : Cette forme d’attachement est plus repérable chez les élèves qui souhaitent « bien répondre ». Ils expriment des interrogations, avec leurs pairs et avec l’adulte (enseignant ou artiste intervenant). Ils paraissent déroutés par la proposition faite mais se placent en apprenants, à la recherche de solution car c’est ce que l’on semble attendre d’eux. L’intérêt et le soutien apporté par l’adulte renforce leur envie de chercher. Ils admettent ne pas

comprendre dans ce premier temps, ce qui leur est demandé, et tant que ces questions n’ont pas de réponses satisfaisantes selon eux, ils sollicitent à nouveau l’entourage et ne tentent que peu de mouvements. Cette forme d’attachement à l’activité semble se définir autour d’attentes alliant à la fois la recherche d’approbation de leurs actions et l’envie de découverte, de développement de leurs possibilités, d’un potentiel (en termes de qualités de mouvement en danse, et plus fréquemment en cirque en termes de maîtrise de leur corps considérée comme plus technique à leurs yeux et/ou de maîtrise de l’objet de jonglage ou d’équilibre par exemple). 

Plaisir / évidence : Cet attachement est repéré en début d’atelier chez les élèves qui jouent et ceux qui « inventent ». Ils s’engagent rapidement dans la recherche de geste. Le recours à l’enseignant est peu fréquent. Ils s’isolent pour, selon eux, « chercher plus facilement, plus librement », « être un peu dans une bulle ». La plupart du temps, ils disent avoir compris ce qu’on leur demande et recherchent le « plaisir » de faire et « trouver des choses originales ». La mobilisation corporelle est importante dès le début de l’atelier, et semble attester de leur « envie de faire », « envie d’essayer ».

2.2. Les temps de création

Trois profils d’élèves sont repérables lors des temps de création et permettent de mettre en évidence la fluctuation des types d’attachements et les glissements possibles entre les trois formes d’engagement « jouer », » « bien répondre » et « inventer ». 

« Le créateur méthodique » : L’élève fait appel à d’autres « outils » que la mobilisation du corps : feuilles de papier et crayon pour « noter ses idées pour ne pas les oublier », ou « garder la mémoire ». Cette manière de s’engager dans la création se retrouve chez les élèves qui souhaitent bien répondre, peu chez les « joueurs », mais est présente également chez les « inventeurs ». Son activité dans la création semble s’effectuer selon des étapes précises, et qui lui sont propres. Certains élèves peuvent aller jusqu’à la création de systèmes de notation du mouvement avec leur propres nomenclatures257. Les outils mobilisés par sa méthode

       

257 Cf annexe n°15 : Cette outils de notation a été développé, par Max au cours de ces trois années de lycée. Il s’agit ici du support à leur création de terminale « Arts Danse » en trio, et celle de son solo de cirque, présenté dans le cadre de son évaluation de cirque en terminale « enseignement de complément EPS ». Max expliquait la  

 

s’expriment lors des séances, mais elle peut être initiée avant ou après, sur des temps de vie personnelle de l’élève. L’élève n’aime présenter le fruit de sa recherche que s’il le considère « visible », autrement dit, « il ne faut pas que ça n’ait ni queue ni tête, il faut que ça se tienne

un minimum… sinon ça ne sert à rien de montrer quelque chose » (Max, Terminale Arts Danse,

UNSS Arts du Cirque). 

« Le créateur en doute » : L’élève ne considère pas la pénibilité de l’acte de création, mais sa difficulté liée à l’incertitude du résultat et du jugement posé potentiellement par autrui : « est-ce que je vais proposer quelque chose de bien ? ». Ceci se caractérise par une mobilisation anarchique et hachée dans le temps : il se lève, va voir l’enseignant, se rassoit, tente un mouvement, prend un stylo pour griffonner quelques notes, puis se relève, etc… La mobilisation corporelle devient plus dense (moins de retour assis au sol, par exemple) dès qu’il pense avoir une piste « correcte » à explorer. Dans ce cas, il navigue entre recherche-seul et demande de « validation » par l’enseignant, ou par ses pairs, et l’on entend fréquemment ces élèves dire : « j’aimerais te montrer... Pour voir ce que tu en penses… mais c’est pas fini, pas

du tout… mais comme ça, tu vas pouvoir peut être m’aider un peu… ». L’attachement à la

création se fait en prenant appui sur la relation à l’autre, permettant de valider, d’aider, de prendre confiance. Il est peu lié au sens que l’élève donne à la pratique de danse ou de cirque, en revanche, il est dépendant de sa capacité à prendre confiance en lui. Ainsi, les élèves « créateurs en doute » se retrouvent dans les trois types d’engagement, de manière assez homogène.  

« Le créateur intuitif » : L’élève s’engage rapidement dans la recherche de mouvement, en essayant de donner du sens à la demande qui lui est faite. Il cherche des solutions, sans vouloir, systématiquement les organiser dans un premier temps. Il crée du mouvement, et ce type d’engagement dans la création s’observe chez les élèves qui sont considérés comme ayant des facilités dans le mouvement (par l’enseignant et par ses pairs). Il dit avoir plaisir à bouger à partir d’un thème, même si pour lui « ce n’est pas toujours facile », mais il semble aborder les phases de création avec une posture que l’on pourrait qualifier d’« instinctive » et se demande

       

construction de cet outil, à partir de ce qu’il nommait « les bonhommes bâtons ». A partir de ces schémas, il expliquait à ses deux partenaires, Thomas et Jean ce qu’ils avaient à faire, dans quelles parties de la scène, à quel moment. Cette modélisation était partagée et comprise entre les trois garçons, autour de codes de langages et d’écriture commune et qu’ils avaient pris le temps d’expliciter ensemble.

« qu’est-ce que je peux faire moi avec ce thème ? ». Au fur et à mesure de cette phase de recherche, il dit « trier » ce qui lui plaît, et « assembler petit à petits des morceaux qui lui paraissent aller ensemble ». Au début de cette phase de tri, il semble trouver une réelle satisfaction dans l’agencement de petites formes, de mouvements, de jonglages, d’acrobaties… il apprécie de montrer des « ébauches » si cela lui est demandé. 

En guise de synthèse on peut avancer que la typologie proposée construit une grille de lecture visant à mieux comprendre la manière dont les élèves « goûtent » ces pratiques, pour le dire avec Antoine Hennion258. Car il s’agit bien d’un acte volontaire, s’appuyant sur des médiateurs multiples, choisis par les élèves et en résonnance avec leurs systèmes de valeurs. Au travers de l’analyse de ces cinq formes d’engagement, nous avons constaté leur caractère complexe et évolutif, donnant à voir des jeux de glissements et de négociations de points d’attaches parfois contradictoires, et avec lesquels chacun négocie pour construire sa manière de faire de la danse et du cirque. Au cours de la partie suivante, nous souhaitons comprendre non pas comment ils s’engagent, mais que représentent ces activités pour eux, et en quoi elles s’inscrivent dans un processus de construction identitaire.