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4. PEDAGOGUE ET ETHNOLOGUE

4.2. Les outils utilisés

Pour reprendre les sociologues Anne Marie Arborio et Pierre Fournier, « l’observateur ne reste jamais complètement extérieur à la situation qu’il observe. (…) Choisir un mode d’observation consiste plutôt, raisonnablement, à choisir un rôle social à occuper dans la situation observée »81. Intégrée dans ce terrain en tant que professionnel, nous nous sommes appuyée sur nos différents rôles pour réaliser des observations participantes, entendu au sens défini par ces auteurs « En cela, nous avons choisi de prendre un rôle déjà existant dans la situation étudiée en même temps qu’on l’observe »82. Nous avons pratiqué des « observations incognito »83 avec les élèves du lycée LF, ainsi que les élèves du collège H, avec lequel nous étions fréquemment amené à travailler. En revanche, dans les collègues M et F, nous avons pratiqué une « observation à découvert », nous étions alors présentée comme une collègue d’EPS, venant observer leur manière de faire de la danse. 

       

78 SIZORN Magali, 2008, Expérience partagée, empathie et construction de savoirs, in Journal des anthropologues, n°114-115. 

79 SIZORN M., 2008, Op cit 

80 SIZORN M., 2008, Op cit 

81 ARBORIO Anne-Marie, FOURNIER Pierre, 2005, L’observation directe, Paris, Armand Colin. 

82 ARBORIO A.M., FOURNIER P., Op cit 

83 ARBORIO A.M., FOURNIER P., Op cit   

 

Concernant nos « observations incognito »84, nous avons effectué des prises de notes, sous différentes formes. Certaines ont été faites sur le terrain, et même durant les cours d’EPS, ou les temps d’interventions ou de stages avec les artistes pour les observations des espaces volontaires, à savoir les ateliers UNSS Danse et Cirque et l’Arts Danse. Ceci n’était pas problématique, mais a nécessité une organisation matérielle, permettant de consigner ces notes, sous différents formats, destinés à être ensuite repris pour l’analyse. Et en raison du statut d’enseignante, les élèves considéraient que nous prenions des repères sur leurs progressions. D’autres prises de notes se sont faites en différé, à l’occasion des interclasses, mais aussi plusieurs jours après, en raison de nos obligations professionnelles qui ne permettaient pas toujours d’avoir le temps de réaliser ces prises de notes dans la continuité des temps observés. 

Ceci nous a aidé à prendre de la distance, car ces prises de notes (induites par la cohabitation de nos deux statuts) ont permis une trace mémoire de ces temps de prise de recul, et construire ainsi un regard d’ethnologue, à l’intérieur de notre pratique pédagogique, relativement chronophage.  

Concernant nos « observations à découvert »85 notre posture de chercheuse a été sensiblement différente. Dans les collèges M et F, nous avons suivi plusieurs cycles de danse en EPS, ainsi que des séances d’UNSS Danse au collège F, durant l’année 2011-2012. Au cours de ces séances, nous avons choisi, en accord avec l’enseignante d’EPS, d’être en retrait de l’activité des élèves, et ponctuellement de nous déplacer parmi les élèves, leur proposant notre aide, ce qui permettait de recueillir autrement leur parole. Lors de la première séance d’observation, dans chacun des collèges, plusieurs élèves sont venus nous voir, à plusieurs reprises, et ont demandé, comment nous nous appelions, combien de temps on allait passer avec eux, pourquoi nous étions là. Ces comportements traduisent le risque « de voir les acteurs modifier le cours ordinaire de leurs actions »86 en raison de la présence de l’ethnologue. Cependant, cette phase, induite par la curiosité et l’envie des élèves de comprendre ce que nous faisions dans leur espace, a été relativement courte. Et dès la deuxième séance, les élèves venaient dire bonjour au début du cours, puis ignoraient notre présence. En tous cas, ils ne sont

       

84 ARBORIO Anne-Marie, FOURNIER Pierre, 2005, L’observation directe, Paris, Armand Colin, p.29. 

85 ARBORIO Anne-Marie, FOURNIER Pierre, 2005, Op cit, p.30 

plus venus poser de questions et ne nous regardaient que rarement. Les temps durant lesquels nous les aidions ponctuellement, a permis d’être envisagée comme une aide supplémentaire et non comme un jugement de leur activité d’élève. Dans ces séances, notre travail d’observation s’est concentré sur des prises de notes de nature variée : essentiellement des « notes descriptives » et de « réflexions personnelles »87. Nous procédions à quelques notes mais, ces observations se sont déroulées en début de notre étude et celles-ci consistaient plus à interroger nos axes de recherche, et notre posture de chercheuse.  

 

D’autre part, la constitution d’une grille d’observation sous forme de thèmes relativement larges, a permis la construction d’une mise à distance avec la réalité initiale, tout en laissant de la liberté dans le travail d’observation.  

Le rapport à la temporalité est un élément de réflexion récurrent concernant la méthodologie propre à notre recherche, où l’urgence de l’improvisation quotidienne de l’enseignant-e a dû laisser la place à une temporalité plus étirée. Privilégiant plutôt « l’instant », au niveau de nos observations en tant que pédagogue, nous avons appris à nous construire en tant que chercheuse dans un rapport au temps plus long, sans nécessité urgente de conclusions, par souci d’efficacité. Cette volonté méthodologique a d’ailleurs eu une incidence paradoxale, c’est-à-dire la difficulté à choisir entre des axes plus précis de questionnements pour proposer progressivement des pistes d’interprétations, et la durée de l’expérience de l’immersion (en tant que chercheuse) toujours considérée comme insuffisante. 

D’autre part, notre rapport à l’espace lors de ce travail en immersion a favorisé la prise de distance. Nous nous sommes contrainte à un positionnement « plus éloigné », des élèves en action. Cependant le travail concernant l’espace et la recherche d’éléments signifiants, semblent influencés par le contenu pédagogique : les temps de mise en création étant, par exemple, plus propices à des phases d’observation « longue », contrairement à certains cours où l’accompagnement des élèves est plus « renforcé » et laissent, de fait, moins « d’espace-temps » pour la chercheuse. En revanche et particulièrement dans les séances type « présence renforcée », cette mise à distance s’est opérée à l’occasion de la retranscription des informations recueillies, à postériori. 

       

 

La nécessité d’observer d’autres établissements est apparue rapidement afin d’alimenter un regard critique sur notre posture, conduisant à des tentatives de remédiations en termes de méthodologie, sous forme d’aller-retour : immersion « totale » et « partielle ». L’observation dans les autres établissements pouvait cependant être considérée comme une expérience d’immersion : 2 mois à raison d’une à deux séances par semaine entre mars et avril 2012 pour le collège M et une séance par semaine en EPS et ponctuellement des séances UNSS Danse entre mars et juin 2012 pour le collège F. En ce qui concerne le collège H, nos observations se sont étalées sur une durée beaucoup plus longue, car nous travaillons en partenariat entre le lycée LF et le collège, et nous participons à des rencontres communes, notamment les festivals UNSS, et d’autres projets autour des APA. Nos observations pour le collège H ont été « incognito » pour reprendre Anne Marie Arborio et Pierre Fournier, prenant appui sur mon rôle de collègue d’EPS partenaire, et la prise de note s’est essentiellement réalisée, à postériori. 

Notre « terrain » d’étude regroupe des espaces de proximité, où l’immersion pourrait être définie comme « totale » : le lycée où nous enseignons et ses différents espaces de pratiques danse et arts du cirque. Il est constitué d’autres établissements (collèges et lycées), où nous ne sommes pas intervenante mais considérée comme collègue d’EPS, spécialiste des pratiques artistiques en EPS. La méthodologie employée, est un mélange d’observations parfois extérieures et d’observation flottantes. Concrètement, lors de notre venue dans les collèges H et F, deux formes de recueil de données ont été employées : soit, assise dans un coin de la salle nous observions les élèves sans avoir d’interaction avec eux (mais toujours après leur avoir été présentée par l’enseignant-e en début de séance), soit nous participions à certaines phases de la séance, ce que les élèves regardaient comme un soutien à leur professeur-e. 

Cette situation nous a apporté de réels avantages. D’une part, dans la relation avec les « enquêtés-adultes », notre statut de collègue a semblé limiter la méfiance d’un œil extérieur, envisagé comme invasif. Les enseignant-e-s dont nous observions les élèves paraissaient rassurés par notre position de collègue. D’autre part, cela permit d’accéder à de nombreuses informations, tant du côté des élèves que des professeurs. Présentée aux élèves comme « une collègue curieuse de découvrir leur manière de faire de la danse ou du cirque », nous ne faisions l’objet de curiosité que peu de temps, lors de nos observations dans les autres établissements scolaires.