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4. DES EPREUVES A SURMONTER

4.3. L’épreuve de la durée

4.2. L’épreuve comme jeu :

A l’image de Cécile (UNSS Danse, Arts Danse), elle aussi déstabilisée par le fait de devoir créer, certains élèves « affrontent » cette situation problématique d’une autre manière. S’attachant au regard de l’intervenant (professeur ou artiste) pour être rassurés, ils prennent confiance et envisagent cette activité de création comme une forme de jeu incertain mais attrayant, visant à « découvrir des choses », à « avancer » et peut-être à s’accomplir. Cette élève

rend compte lors de son entretien, de sa première séance de danse à l’Association Sportive du lycée. Elle était en classe de Seconde :  

J’avais la pression… Sylvie nous avait demandé d’improviser… c’était un atelier et

moi, je ne connaissais pas. J’avais peur de pas bien faire… j’avais un peu peur de pas

plaire. (Cécile, UNSS Danse, Arts Danse)

Se rappelant d’une des premières séances consacrées à la construction d’une chorégraphie collective, intitulée « Truculent », qui allait être présentée lors de différents festivals UNSS (rencontres de danse départementale, inter-lycées, académique) elle raconte :

Je me souviens quand on a commencé à faire « Truculent », il fallait trouver une

entrée et chacun essayait de trouver quelque chose et moi je ne trouvais rien ! Et

finalement, j’ai fait un truc très simple et ça a plu à Sylvie… et donc en fait, j’étais

assez fière de moi !

Lorsqu’elle aboutit à une production remarquée et valorisée, l’activité de création, qui a généré le risque et la crainte de perdre la face devant un public (notamment de pairs), devient « assumable » et même source de fierté.  

4.3. L’épreuve de la durée

La temporalité est envisagée de manière spécifique aux yeux des élèves pratiquant la danse et le cirque, particulièrement au sein des dispositifs volontaires. Le rapport au temps dans les APA peut-il être considéré, à certains égards, en « décalage » avec la temporalité scolaire ? Que transforme chez l’élève ce rapport au temps, où la durée est, sur les terrains observés, explicitement privilégiée par rapport à une temporalité par ailleurs découpée et inscrite dans une logique de mesure d’une performance (il s’agit de bien faire dans un temps imparti) ? Que se passe-t-il dans ces temps de recherches, d’errances, de blocages voire de refus parfois ?

L’analyse de « l’atelier » comme élément structurant des séances de danse et de cirque scolaires, met en lumière la complexité que revêt la question du rapport au temps dans ces activités et son écho potentiel sur la construction de la singularité de l’élève. 

Un atelier de création s’articule autour de trois phases : une première phase exploratoire où le pratiquant, à partir de consignes et de contraintes (orientés par les objectifs de travail), explore un maximum de possibilités. Le second temps consiste à effectuer des choix et à n’en retenir que quelques-uns, en fonction de ses envies, couplées à des contraintes. Enfin, la troisième phase se caractérise par la répétition et la mémorisation des choix effectués pour donner à voir la production créée.

Au cours d’une séance de début d’année que nous avons menée avec le groupe UNSS Cirque dont nous assurons l’encadrement, les élèves ont eu à explorer une importante quantité d’actions possibles à réaliser avec une seule balle. Les contraintes données par l’enseignante s’appuyèrent sur des verbes d’action et les différents fondamentaux du mouvement afin de guider l’activité de l’élève. Les consignes pour commencer furent : « Sur place, trouver un

maximum de lancers possibles », puis « toujours sur place, et en cherchant différents lancers

possibles, utiliser différentes parties du corps pour lancer et rattraper la balle » puis par

exemple « ne plus utiliser les mains », etc. Les consignes suivantes furent : « varier l’amplitude

des lancers : faire petit, faire grand, très grand, très petit… ». Ensuite, nous avons introduit,

dans le contenu de nos consignes la notion de déplacement : « vous pouvez marcher, et effectuer des lancers, soit pendant la marche, soit à l’occasion d’un arrêt ». Nous avons ensuite choisi

de faire reposer la suite des consignes et contraintes données aux élèves sur la notion de rythme, introduisant des changements de vitesse, des accélérations, des arrêts possibles… Les trois fondamentaux du mouvement311 essentiellement utilisés furent le corps, l’espace et le temps.  

Au cours de cette première phase, les élèves ont tout d’abord été étonnés en début de situation et semblaient plutôt perplexes. Basile a lancé à plusieurs reprises :

Moi, ça ne me parle pas. Je sais jongler à trois balles, à quatre balles et

avec une, j’ai aucune idée !

       

311 Ce qui est entendu par fondamentaux correspond aux outils pédagogiques, proposés par les théoriciens des activités chorégraphiques : l’espace, le temps, les relations, le corps et l’énergie/les états de corps.

 

Les huit élèves se sont cependant investis dans la situation proposée, assez attentifs et cherchant à répondre aux consignes données. Nous avons pu noter un changement progressif de leur engagement, pour constater un investissement personnel de plus en plus important et « producteur » de propositions gestuelles.

La phase suivante de l’atelier demandade choisir et d’enchaîner cinq lancers différents, avec comme contrainte d’« utiliser au moins trois parties du corps, effectuer deux déplacements de nature différente (dans la vitesse, l’orientation, le type de trajectoire…) et varier les

amplitudes des lancers ». A la fin de la séance, chacun d’entre eux proposa un solo aux autres,

avec application et pour certains, avec une satisfaction notable. Cécile (UNSS Cirque, Arts Danse), élève de seconde, pour qui cette séance était une des premières, me fit une remarque :  

Ben, c’est surprenant, je ne pensais pas qu’on pouvait faire tout ça avec une balle…

sans même savoir jongler ! Au début, ça ne me parlait vraiment pas… mais à force

d’essayer… j’ai vraiment trouvé des trucs sympas. C’est chouette !

Nous nous sommes attardés sur ce temps d’observation car il met en lumière, une caractéristique des activités physiques artistiques pour les élèves : la mise en création déstabilise, questionne, parfois même rebute le pratiquant, pouvant invoquer un sentiment d’étrangeté ou d’incompréhension. Consentir à ne pas comprendre dans un premier temps, et prendre le temps de chercher, de tâtonner, apparaît à leurs yeux comme des épreuves à franchir, comme l’occasion d’accepter de tenter et de trouver par soi-même. La valorisation d’un temps qui peut « s’étirer » est régulièrement convoquée dans les propos des élèves. Les projets de création collectives posés dans la durée inscrivent les élèves dans une autre identification de leur pratique dans le temps. Ainsi, Elisa, revenant sur « Sacré Sacre », un projet participatif312 encadré par Philippe Priasso et auquel elle avait eu l’occasion de participer, l’explique :  

Je n’ai pas eu l’impression que ça a pris autant de temps, là je m’en rends compte

mais quand on est dedans on ne s’en rend pas compte qu’il y a eu un week-end entier,

une classe artistique dédiée à ce travail-là. Non, on ne s’en rend pas compte.        

312 Ce projet participatif, intitulé « Sacré Sacre » fut proposé durant la saison 2016-2017, par le théâtre de l’Arsenal de Val de Reuil, en partenariat avec la Compagnie Beau Geste et mené par Philippe Priasso, associé à Marta Mella. Ceci s’inscrivait dans « Danse en Territoire », large dispositif de sensibilisation à la danse, imaginé et mis en œuvre par le théâtre de l’Arsenal depuis la saison 2017-2018.

Philippe Priasso souhaita faire redécouvrir « Le Sacre du Printemps », œuvre majeure du répertoire, à de jeunes danseurs(euses) amateur(e)s du territoire de proximité et issus de structures très diverses (établissements scolaires, conservatoire de danse…). Cette grande partition intergénérationnelle fut constituée de plusieurs groupes d'âge, de maturité ou de techniques différentes et trouva tout son sens, à la manière d'un puzzle, lors de leur présentation commune sur scène. (Source : http://theatredelarsenal.fr/fr/danse-en-territoire)

Cette création avait regroupé une centaine d’élèves de plusieurs établissements scolaires ainsi que des conservatoires et écoles de danse du département. Le groupe de Terminale Arts Danse du lycée LF y participa. Les élèves eurent un stage, de trois jours, consacré à l’impulsion de leur travail, puis un week-end complet de répétitions et de « calages » avec les autres élèves, une répétition générale la veille du spectacle, pour participer aux deux représentations de cette pièce collective, au sein du théâtre local. 

A l’occasion de l’ensemble de ces moments de répétition et de création, certains élèves ont pu faire des remarques mettant en avant les aménagements organisationnels qu’ils avaient dû faire pour s’investir dans ce projet, les présentant comme des « sacrifices » (sacrifice du temps passé avec ses amis par exemple). Et ce temps étiré dans la durée peut aussi être perçu par les élèves comme pénible car envisagé comme « interminable » :  

Là, ça fait plus d’une heure qu’on regarde le groupe C répéter… ça commence à faire un peu long quand même…non ?313

A ces remarques, les enseignants répondent par un « c’est comme ça », « y’a pas le choix si vous voulez être prêts », calmant ainsi les élèves agacés tout en leur expliquant qu’au-delà de difficultés organisationnelles, l’activité se construit dans la durée.