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4. DES EPREUVES A SURMONTER

4.1. L’épreuve du vide

Loin des objectifs institutionnels d’épanouissement personnel de l’élève, l’activité de création peut apparaître aux yeux des élèves, comme source de difficultés majeures. A noter que ces difficultés sont plus citées pour les pratiquants de cirque : plus diverses (il y est aussi question des savoir-faire techniques complexes) mais aussi non perçues par les élèves lors de l’entrée dans l’activité (ils ne venaient pas pour « chercher » ni « créer »). Tout au long de sa première année de pratique du cirque à l’Association sportive du lycée, Basile, placé en situation d’atelier de création, se sentait « bloqué » : « Créer, c’est pas mon truc, j’ai pas

d’imagination et en fait, je sais pas quoi faire ». Il répondait à ce malaise et à cette inhibition

soit par un comportement d’évitement soit par une attitude énervée. Tout est mis en œuvre par l’élève pour « ne pas perdre la face »309. De la Seconde à la Terminale, ce type de conduite a

       

308 Danilo MARTUCELLI, 2015, Les deux voies de la notion d’épreuve en sociologie, in Sociologie 2015/1 (Vol. 6), p.43-60, p.51. 

 

été repéré régulièrement sur le terrain. De manière plus ou moins ponctuelle, la mise en création peut être vécue comme déstabilisante, fragilisante. En début de pratique en cours d’EPS comme en UNSS, l’aspect technique de la discipline cirque prend une place importante dans la représentation que les élèves ont de cette activité, et le désir ludique de pratiquer peut venir se heurter à l’exigence de création : il faut parfois renoncer à l’exposition de gestes techniques, accorder plus de temps à la recherche collective. Sylvain (UNSS Arts du Cirque) revenant sur ses débuts au sein de l’atelier UNSS du lycée LF, explique d’ailleurs que l’acquisition des techniques de jonglage et d’acrobatie était pour lui prioritaire : 

Quand j’ai commencé l’UNSS Cirque, je me rappelle les sentiments que j’ai eu en

voyant les autres… en les voyant avec les massues, c’était Basile qui avait les massues dans les mains…Je me suis dit : "Ah oui… il sait faire de ça !"… J’avais envie de

savoir faire moi aussi… (…) et les premières séances, je m’entraînais aussi à faire les

saltos arrière, parce que c’est quelque chose que j’ai toujours voulu savoir faire…

Ce constat est d’ailleurs formulé par les enseignants d’EPS engagés dans l’enseignement du cirque de création qui racontent leurs difficultés à déplacer les motifs d’engagement de leurs élèves dans une activité fortement associée au faire alors qu’eux-mêmes (et les textes officiels vont aussi dans ce sens) privilégient l’expérimentation, la recherche à partir des pratiques et techniques, au détriment du seul apprentissage technique. Manon, enseignante en collège, revient sur la place importante que les élèves donnent à la « technique » dans l’activité cirque en EPS, à savoir, la manipulation d’objets, ou le travail acrobatique et sur objets d’équilibre :  

On propose tous un cycle de danse à nos sixièmes et un cycle de cirque à nos 5es., pour

qu’ils passent tous par de la création et qu’ils découvrent ces deux activités… Pour nous, c’est très important. Après, on fait des « menus » au choix en 3ème, où les élèves peuvent prendre ou non, danse ou cirque. Mais plus on avance dans le collège, plus ça devient compliqué d’imposer la danse à toute une classe… Pour nous, c’est hyper

important qu’ils fassent tous un cycle… et après on préfère leur laisser le choix…

parce que sinon, si on a beaucoup d’élèves qui n’ont pas envie de pratiquer ces

activités en 3ème, très souvent parce qu’ils nous disent qu’ils n’ont "pas envie de faire

des trucs de création"… là, on peut vraiment galérer… Et j’ai l’impression que c’est

encore plus vrai en danse… En cirque, les élèves vont souvent se raccrocher à la technique… particulièrement les garçons… et par là, même les plus réticents en danse

en 6ème, peuvent vraiment s’investir en cirque… et même être presque investis dans les

moments de création…

Les propos de Basile, illustre cette place fréquemment donnée à la « technique » dans la représentation que se font les élèves des arts du cirque en milieu scolaire :  

Je pense qu’il y’a une grosse différence entre danse et cirque, c’est que… au cirque, il y a du matériel et en danse, y’en a pas… Donc, à partir de ce point de vue-là, la danse c’est beaucoup plus de l’expression corporelle… et de la gestuelle… et aussi,

tout ce qui est "portés"… alors que le cirque, ça se rapproche plus de la

démonstration, même si y’a quand même quelque chose de construit, mais c’est quand

même des techniques dans différents domaines qui… qui peuvent être utilisées…

Lorsque la création est envisagée non comme une finalité motivante, mais comme une épreuve contraignante, plusieurs formes de réponses sont repérables. Comme Basile et Théa, certains élèves se trouvent en situation de blocage, liée à leur conception initiale de l’activité d’une part et d’autre part, à l’image qu’ils se font de l’acte de création. Au début de sa pratique Basile ne voyait « pas d’utilité » à la création. Après deux années de pratique, cette dernière

tient, selon lui, à « mettre en relation tout ce qu’on connaît et même ce que l’on ne connaît

pas ». Elle reste encore une dimension secondaire de sa pratique du cirque, bien qu’importante

pour lui car source d’ « originalité ». Son parcours de formation dans les APA l’a déplacé dans sa conception initiale de la pratique. La difficulté, la prise de risque que constituait pour lui le travail de création, est devenue valorisante dans la reconnaissance de propositions « originales». 

La confrontation régulière à ce mode d’apprentissage (l’atelier de création) est apparue comme un facteur facilitant, susceptible d’aider l’élève, au travers de la notion de durée, à apprivoiser ses difficultés à créer. Permettre aux élèves d’être régulièrement confrontés à l’acte de création peut faire évoluer le sens que prend cette épreuve à leurs yeux, et la voir évoluer vers la notion de défi, voire d’une forme de jeu convoquant des sensations décrites comme nouvelles ou peu habituelles pour eux. Les élèves disent que ces mises en situation d’exploration/création seraient l’occasion d’éprouver des émotions et pas seulement de l’appréhension. Nous entendons le terme d’émotions au sens de « sensible » proposé par Pierre SANSOT310. Le sensible est selon cet auteur « ce qui nous affecte et retentit en nous » et par là même nous conduit à évoluer dans nos pratiques en donnant un sens à nos actions, et pour le cas présent un sens d’utilité moteur de l’activité.