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4. ENJEUX EDUCATIFS ET REALITES DE TERRAIN : TENSIONS ET PARADOXES

4.2. Les apports institutionnels envisagés comme outils de légitimité

Germain Thomas : si « l’éducation artistique est fréquemment affichée comme une priorité par l’administration culturelle (…) qu’en est-il de l’institution scolaire : l’accès à l’art revêt-il une telle importance et une telle urgence ? »240 Les pratiques de danse et de cirque scolaires semblent être aujourd’hui pour l’auteur,des espaces de « militantisme » où la volonté est de penser le corps, non comme moyen de hiérarchisation mais d’épanouissement. Les enseignants s’intéressant aux projets chorégraphiques s’inscrivent alors « dans une perspective plus large d’ouverture culturelle, souvent à travers des attentes sur une approche originale du corps. La possibilité de mettre en jeu le corps des élèves en dépassant certains blocages – timidité, rapport entre les sexes, stéréotypes – constituent une motivation prédominante »241 

4.2. Les apports institutionnels envisagés comme outils de légitimité

Comment les enseignants s’appuient-ils sur les apports institutionnels pour tendre vers les « essentiels » qu’ils souhaitent développer ? 

4.2.1. LES DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS COMME SOUTIENS LOGISTIQUES :

A leurs yeux, les appels à projets242 et les enseignements spécifiques, facultatifs, de spécialité ou de complément, représentent une forme de reconnaissance de la part des instances officielles et sont des aides au développement des objectifs pédagogiques, éléments plutôt « facilitateurs » de la pratique quotidienne, malgré la lourdeur contestée des démarches administratives associées. Dans leurs discours, bénéficier d’un dispositif « officiel » est un

       

240 GERMAIN THOMAS Patrick, 2016, Que fait la danse à l’école ? Enquête au cœur d’une utopie possible, Monts, Edition de l’Attribut, p.107.

241 GERMAIN THOMAS Patrick, 2016, Op cit, p.107-108.

242 Par exemples :

Dispositif CLEAC « Contrat Local d’Education Artistique et Culturelle », mettant en jeu plusieurs partenariats locaux et rectoraux pour développer l’éducation artistique et l’ouverture culturelle, à l’échelle d’une commune (qui a la responsabilité de mettre en œuvre ce dispositif). Ce dispositif permet aux enseignants, de premier et second degré de bénéficier de formations spécifiques et d’interventions d’artistes professionnels au sein de leurs établissements scolaires.

« Danse au lycée », dispositif rectoral mis en place par l’académie de R., visant à la formation des enseignants et l’impulsion d’une dynamique de développement des publics scolaires de la danse, dans les lycées de l’académie.

soutien de l’institution, qu’il convient de ne pas négliger, car ils légitiment leur investissement et celui de leurs élèves dans ces pratiques au sein des établissements scolaire. 

La réalité de terrain de l’enseignement de la danse et du cirque à l’école, est régulièrement décrite par les acteurs de terrain par le manque de moyens consacrés aux APA dans les établissements scolaires.

Ça ne coûte pas si cher que ça de voir des spectacles avec les élèves. Les théâtres font des tarifs vraiment intéressants pour les scolaires… mais il faut se déplacer… Pour nous, à chaque fois… c’est un car… 300€ à demander à l’intendant… alors quand on

sait qu’avec les Arts Danse, on sort presque une dizaine de fois dans l’année pour aller voir des spectacles… C’est pour ça que les dispositifs du rectorat qui nous

proposent des projets intéressants avec des interventions d’artistes et des frais de

transports pris en charge… faut pas les rater… Parce que pour l’Arts Danse, on a

"zéro financement" des transports, la subvention que la DRAC243 nous donne, c’est

uniquement pour les frais d’intervention des professionnels… c’est fou… mais c’est

comme ça ! Et le reste, il faut le demander au lycée… Conséquence… on va dans

moins de théâtres et on choisit les spectacles par rapport aux lieux… on marche un peu sur la tête quand même… Ces théâtres sont supers, y’a pas d’souci… nos

partenariats sont vraiment riches et leurs programmations est de grande qualité…

mais, c’est un constat… il a fallu évoluer…et moi j’aimais bien avant amener les

élèves à l’Opéra de R., par exemple… c’était autre chose…la découverte d’un autre

lieu. Mais bon, c’est comme ça, on s’adapte. Cette question des moyens, ça ne doit

pas nous arrêter… on ne va pas tirer un trait sur nos projets à cause de ça… mais ça

peut prendre la tête… parce que ça nous oblige à trouver des solutions par

nous-mêmes… » (Sylvie)

Cette recherche de solutions autarciques n’est pas spécifique à cette enseignante ni à cet établissement et s’observe dans de nombreuses autres structures scolaires. Elle est une réalité avec laquelle les enseignants investis dans les APA doivent négocier régulièrement. Mais les demandes de financement ne sont pas regardées de la même manière par les chefs d’établissement, pour un dispositif officiel d’éducation artistique (CLEAC par exemple), ou pour un enseignement facultatif (Arts Danse), que pour des projets de classes ou d’ateliers UNSS (Danse ou Arts du cirque), Ces derniers visant à faire découvrir le spectacle vivant, par exemple, apparaissent comme « moins légitimes aux yeux des chefs » (Sylvie). 

       

 

4.2.2. LES DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS COMME LEVIERS DE LEGITIMITE

Si les enseignants cherchent une reconnaissance par l’obtention d’un dispositif institutionnel, pour disposer de moyens pouvant aider concrètement leur fonctionnement quotidien, le corolaire de cette légitimation est de faciliter les interactions avec les élèves, et avec leurs parents. Car la « pensée magique » et ambitieuse développée par les textes officiels se heurtent fréquemment, dans leur quotidien de pédagogues des APA, avec la méconnaissance, le désintérêt, le manque de considération, voire la remise en cause de ces activités dans les établissements scolaires, de la part des élèves, et de certaines familles, et parfois du personnel éducatif.  

Selon les enseignants, il leur faut, pour reprendre les propos de Sylvie, « régulièrement se justifier » et « justifier l’intérêt de ces activités au sein de l’EPS et de l’école en général,

alors que faire pratiquer du volley en compétition UNSS n’est pas à justifier auprès des parents,

ni des autres profs, ou de l’administration », souvent sensibles à l’idée de performance et de

résultats (sous-jacente à l’idée de qualification). Il semble qu’en raison d’une méconnaissance des activités de danse et de cirque, chez une majorité des acteurs et partenaires de l’institution scolaire, la nécessité de justifier l’intérêt de ces pratiques s’impose régulièrement aux professeurs d’EPS impliqués dans leur mise en œuvre. Cependant, cette enquête met en évidence des différences de représentations de la part des familles, de la communauté éducative. Les enseignements « Arts : domaine : danse » conduisent à une épreuve terminale du baccalauréat, ce qui représente un gage de « sérieux » et donne un sens en termes d’utilité au sein du cursus scolaire, tout particulièrement pour les parents, dont certaines remarques ont pu être relevées telles que :

C’est vraiment bien ce que vous faites… et puis, ça peut leur rapporter des points au

bac… c’est quand même un plus qui n’est pas négligeable !

Si la grande majorité des familles des élèves investis dans l’enseignement facultatif « Arts Danse » ne semblent pas le résumer à l’obtention « des points supplémentaires au bac », il apparait que cette pratique volontaire soit légitimée grâce à son inscription dans les codes scolaires. Face à ce constat, les enseignantes affirment ne pas accorder beaucoup de place à la notation et affichent, auprès des élèves, leur volonté de relativiser cet aspect évaluatif de la pratique. En début d’année de terminale, Sylvie présente sa posture concernant les modalités d’évaluation dans les APA :  

La note ne doit pas vous faire oublier tout le parcours que vous avez eu dans cet

enseignement. Je vous entends et je comprends qu’elle a un sens pour vous, mais ça

n’est pas l’essentiel… loin de là… ce sont toutes les expériences que vous avez vécues

durant vos années de danse qui sont importantes… et la note ne doit pas remettre en

question tout ce que vous avez traversé… encore moins toutes vos qualités.

Dans le lycée LF, les élèves de l’enseignement Arts Danse n’ont jamais de notes sur leurs bulletins trimestriels, de la seconde à la terminale, mais des appréciations, souvent longues. Pour les deux encadrantes, dont nous faisons partie, 

Les notes sont trop souvent stigmatisantes… ça n’aurait pas de sens de les noter… leur engagement va au-delà de la note. Alors, c’est vrai que certains élèves nous demandent pourquoi on ne veut pas les noter… et systématiquement, nous leur répondons la même chose : "que changerait la note par rapport à ton engagement ?" Et ils leur arrivent de nous dire que cela les valoriserait aux yeux des autres professeurs… peut-être… mais pour nous, une note n’aurait pas de sens par

rapport à tout ce que l’on fait en Arts Danse.

Bien que les responsables des différents enseignements facultatifs « Arts danse » de l’académie affichent la même relativisation de la note finale de leurs élèves, des tensions ont pu être repérées. Ces éléments laissent penser que des contradictions sont à gérer pour les enseignantes, entre la réalité de leur positionnement dans une approche pédagogique allant au-delà de la note finale de leurs élèves, et le poids de l’institution et des normes scolaires, où l’outil de mesure privilégié pour établir l’efficacité d’un enseignement, est actuellement la moyenne obtenue par les élèves. La fébrilité, relative, mais perçue de manière récurrente dans l’attitude des référentes des enseignements « Arts danse », à l’occasion des épreuves de fin d’année, semble confirmer le constat de cette contradiction. 

D’autre part, les familles des élèves inscrits en « Arts Danse » sont la plupart du temps en accord avec l’engagement de leurs enfants. Cependant, il est parfois difficile pour quelques élèves de participer à des temps forts, comme les « classes artistiques »244, car elles se déroulent, en partie, sur le temps scolaire et « risquent de perturber la scolarité » de leur enfant, selon certains parents. Il en est de même pour la découverte des spectacles : des absences sont parfois dues à un refus de la part des parents, considérant que : 

       

244 Stages de pratique, encadrés en collaboration avec des professionnels, durant trois jours et avec hébergement, généralement organisés du jeudi matin au samedi soir.

 

Il y a un devoir le lendemain, pas question de se coucher trop tard et de louper le contrôle à cause du spectacle de danse.

Mais l’observation de ces situations reste peu fréquente dans le cadre de l’enseignement Arts Danse. En revanche, les enseignants responsables d’ateliers UNSS Danse et Arts du Cirque, constatent, comme Manon : 

Régulièrement, malheureusement, certains de mes élèves n’obtiennent pas

l’autorisation de leurs parents de louper exceptionnellement 2h de cours pour rencontrer un artiste… Il m’est même arrivé que certains soient punis d’UNSS alors qu’on était en répétition, la semaine juste avant les rencontres académiques. Pour

eux… c’est pas vraiment important l’UNS

Mathilde, enseignante au collège F, et encadrant un atelier UNSS Danse, relatait ses difficultés à obtenir l’adhésion des familles, qui refusaient que leurs enfants partent pour deux jours de festival académique UNSS Danse (mercredi et jeudi), en donnant comme argument le refus d’une absence aux cours. 

Enfin, la mise en place de dispositifs institutionnels au sein des établissements scolaires semble apporter aux enseignants une légitimité, dans le regard porté par les élèves et plus généralement par la population scolaire, comme a pu le constater Sylvie :  

Moi, je gagne du temps maintenant… beaucoup d’élèves savent ce que je fais, en Art

danse, en Arts du spectacle… Et même si ce sont des élèves de seconde, je crois que

le fait de faire plein de projets autour de la danse dans le lycée… ça me fait gagner

du temps. Ҫa ne les empêche pas de se poser des questions, mais ils savent que je sais

de quoi je parle… Donc, il y a souvent une confiance plus rapide… et en tout cas, un

respect plus rapide qu’avant de ce que je leur propose… Mais c’est aussi parce que

je ne leur laisse pas le temps de se poser de questions.

En résumé, les textes officiels et les dispositifs institutionnels, sont considérés comme des points d’appuis pour les enseignants, leur permettant d’obtenir une légitimité quant à leur investissement au sein de leurs établissements.