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2. OUTILS CONCEPTUELS CHOISIS POUR CETTE ETUDE (ENGAGEMENT, CARRIERE, IDENTITE, ATTACHEMENT)

2.1. L'engagement, comme outil conceptuel de recherche :

Le terme d’engagement a été mobilisé par des chercheurs en STAPS et reconsidéré comme alternative à la notion de « sports à risque ». Routié et Soulé120, développent le concept d’engagement corporel dans leurs analyses des pratiques physiques dites à risques et en donnent la définition suivante : « l’engagement corporel désigne un type d’exposition au danger conscient et assumé dont sont porteuses certaines modalités de pratiques ». De plus, ils précisent que « parler d’engagement corporel revêt à minima un double sens : l’idée d’un jeu et d’une mise en jeu acceptée de l’intégrité corporelle (dimension pragmatique) doublée du cheminement plus personnel induit par la gageure (dimension identitaire) ». En cela, ils présentent le concept d’engagement dans un entre-deux « compris à la fois comme un comportement et comme une décision. Deux dimensions doivent être distinguées : la première met l’accent sur l’action, tandis que la seconde se concentre sur l’être. Une dimension pragmatique, l’autre identitaire »121. Ces deux sens complètent la réflexion d’Howard Becker où l’engagement mobilise différentes conceptions de l’individu. L’engagement apparait en lien

       

120 ROUTIER Guillaume, SOULE Bastien, 2012, L’engagement corporel : une alternative au concept «polythétique » de sports à risque en sciences sociales, Sciences & Motricité, Vol n° 77, ACAPS, EDP Sciences, pp. 61-71. 

121 ROUTIER Guillaume, SOULE Bastien, 2012, Op cit.  

 

avec le concept développé par le sociologue Antoine Hennion122, le goût développé par l’amateur123 pour une pratique, et particulièrement une pratique artistique. Pour cet auteur, l’amateur, par son « acte de goûter », produit un jugement et son regard transforme l’objet. Le chercheur propose d’envisager le goût comme une activité réflexive : l’objet construit l’amateur et l’amateur construit l’objet. L'engagement apparait au travers de la notion goût, développée par Antoine Hennion, et plus particulièrement le concept d’« acte de goûter », par lequel l’amateur entre dans un processus d’attachement, défini comme « la capacité à co-produire ce qui se passe » 124.

L’engagement peut être défini au travers du concept développé par François Dubet d’« expérience sociale » qui résulte de l’articulation de trois logiques de l’action : « l’intégration, la stratégie et la subjectivation »125. Au travers de l’expérience, différentes formes d’engagement sont amenées à s’exprimer et le sociologue établit un lien étroit entre engagement et identité : « nous pourrions définir l’identité du sujet comme un engagement, engagement vers des modèles culturels qui construisent la représentation de ce sujet »126. Le chercheur présente la complexité de cette relation : ces logiques peuvent s'opposer à certains égards, et entrer en conflit, mais comme l'auteur le précise, elles s'articulent fréquemment entre elles et peuvent s'influencer, en fonction des caractéristiques des acteurs concernés, pour donner à voir des formes d’engagement multiples et complémentaires. 

Enfin, la notion d'engagement est développée avec des niveaux de sens différents, à l'intérieur des sciences de l'éducation, particulièrement par Philippe Meirieu, pour qui « l’émergence d’un sujet » est au cœur des enjeux de l’Ecole d’aujourd’hui, pour tendre vers « une démocratie qui se veut authentique, c’est-à-dire où chaque citoyen soit en mesure de " faire usage de sa raison", selon la formule du philosophe Kant. Le sujet est opposé à l’objet : Quand l’objet a une " identité " figée dès sa fabrication, le sujet s’enrichit de ce qu’il apprend, se développe en métabolisant la culture dont il se nourrit, prend le temps de se demander quels

       

122 HENNION Antoine, 2004, Une sociologie des attachements : d’une sociologie de la culture à une pragmatique de l’amateur, in Sociétés, n° 85, p. 9-24. 

123 L’amateur est ici défini comme « celui (ou celle) qui manifeste un goût de prédilection pour quelque chose ou un type de choses (plus rarement de personnes) représentant une valeur » (Source : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : http://www.cnrtl.fr/definition/amateur) 

124 HENNION Antoine, op. cit 

125 DUBET François, 1994. Sociologie de l’expérience, Paris : Seuil, p. 111. 

choix il va faire et quel sens il va donner à sa vie… Ce n’est donc pas très reposant d’être un sujet ! ». « Accompagner l’émergence d’un sujet » renvoie à une acception complémentaire de la notion d’engagement de l’élève. S’engager est défini prioritairement au regard des apprentissages, et apparait comme un levier de construction du sujet, consistant en un acte volontaire, nécessitant un réel effort de la part de l’élève. Pour cet auteur, « rien ne se transmet si l’autre ne s’engage pas lui-même dans l’apprentissage » et il rajoute : « on peut comprendre que certains de nos adolescents rechignent à ce "travail de subjectivation". (…) Face à cette tentation, nous avons le devoir d’apprendre à nos élèves à " penser par eux-mêmes " pour leur permettre de devenir citoyens d’une société démocratique et fraternelle ». Aider l’élève à s’engager dans les apprentissages a pour but essentiel de lui permettre de faire de multiples expériences autour de la question des savoirs et de leur utilité, sources de « découvertes irréversibles ! Il suffit qu’un élève ait fait ces expériences, ne serait-ce qu’une fois, pour que son rapport aux savoirs en soit changé, pour qu’il ne vive plus ces savoirs comme des obstacles sur un parcours du combattant, mais comme des étapes de son émancipation »127. Cette émancipation du sujet s’articule selon l’auteur, autour de différents leviers d’action. D’un part, il semble indispensable de penser la construction d’une « professionnalité nouvelle qui, sans rien céder sur les contenus d’apprentissage, place, au cœur de la relation pédagogique, l’exigence de précision, de justesse et de vérité. Une professionnalité qui fait de l’École le lieu, par excellence, d’apprentissage de la pensée ». D’autre part, la question de la parole prend une place centrale, avec l’intention d’aider l’élève à « entrer dans la parole authentique, la parole argumentée, la parole qui respecte l’autre et l’engage à construire le monde ensemble ». Pour reprendre cet auteur, la question de la structuration des contenus proposés est elle aussi mise en avant comme condition d’émergence d’un sujet. Elle passe par la mise en œuvre de dispositifs, avec des tâches à réaliser, ainsi qu’un ensemble de contraintes et de ressources qui structurent l’engagement dans l’apprentissage, orienté par des objectifs pédagogiques clairs et ambitieux. Et le temps ne doit pas y être négligé : « sachons décélérer à l’École pour qu’on y apprenne vraiment à penser ». Enfin, l’émergence d’un sujet, citoyen et critique, ne peut être dissocié de ce que nomme Philippe Meirieu : « l’espace hors menaces » qui « permet à chacun et à chacune

       

127 MEIRIEU Philippe, Être enseignant aujourd’hui, [en ligne], Disponible sur : https://www.meirieu.com/ARTICLES/ETRE_ENSEIGNANT_AUJOURD’HUI.pdf  

 

de "se lancer" sans être paralysé par l’inquiétude ou la peur », car pour apprendre quelque chose que l’on ignore, il faut, en effet, pouvoir prendre des risques, mais sans se mettre en danger »128.  

Dans son ouvrage 129 « La pédagogie entre le dire et le faire », Philippe Meirieu démystifie le discours pédagogique et en montre les paradoxes posant de manière réflexive cette ambivalence de l’engagement militant du pédagogue.

En lien avec les enjeux de la scolarité des élèves, nous pouvons avancer que tous ces regards sur l’engagement ne s'opposent pas, mais sont à envisager dans leur articulation et leur complémentarité. Ces outils permettent en effet de définir de manière complexe, à la fois les engagements des enseignant(e)s, initiateur(trice)s des pratiques physiques artistiques dans l'institution scolaire et ceux des élèves. C’est cette mise en perspective entre ces deux versants discursifs de l'engagement (celui vécu par l’élève et celui attendu par l’enseignant) que nous questionnerons dans les pratiques de danse et cirque scolaires.  

Les activités physiques artistiques en milieu scolaire proposent différents moments d’expériences aux élèves et différentes modalités d’engagements. On pourrait écrire qu’il s’agit d’organiser la rencontre avec une pratique, avec des lieux, avec des spectateurs, des partenaires, et des intervenants, qu'ils soient professeur(e)s ou artistes. Dans ce face à face élèves/formes artistiques se mettent en jeu des formes multiples d'engagement, des forces et des fragilités, induites par les tensions et les contradictions que les élèves sont amenés à négocier, dans leurs paroles et leurs pratiques, entre l'espace des APA (danse et cirque) et l'institution scolaire notamment, mais aussi plus largement le "cercle familial" et le groupe de pairs. 

L’engagement, comme prise de risque, apparaît principalement dans les pratiques de cirque mais ce n’est pas considéré par les élèves (et les enseignants) comme un engagement uniquement corporel. On rejoint en cela la définition de Soulé et Routier qui invitent à poser l’engagement dans ses deux dimensions : « agir et être ». La prise de risque dans sa conception ontologique touche la mise en jeu de l'image de soi, de sa perception, l’exposition aux regards des autres, la découverte de sensations corporelles nouvelles qui peuvent être perçues comme déstabilisantes, des relations particulières à l'autre. 

       

128 MEIRIEU Philippe, 2018, Op cit  

2.2. L’engagement : entre actions et attachements, une approche