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Politiques économiques et phénomène d’anticipations

Les effets de l’intervention publique sur l’activité économique sont également abordés sous l’angle du concept d’anticipations adaptatives (les monétaristes) et du principe d’anticipations rationnelles (nouvelle macroéconomie classique).

Les monétaristes arguent que l’État, par les règles qu’il impose sur les différents marchés et par le non-respect de la discipline monétaire75, trouble le fonctionnement parfait du système économique. Toute intervention conjoncturelle des pouvoirs politiques n’engendrera qu’une accentuation des perturbations économiques à travers l’effet d’éviction (voir encadré, ci-dessous.) plutôt que de les atténuer. Pour Friedman, « la liberté est essentielle pour le bon fonctionnement des relations entre les individus, et pour la sauvegarder, il est nécessaire de restreindre le rôle du gouvernement et accorder une importance primordiale à la propriété

75 Friedman M. (1968)

43 privée, ou au libre marché76 ». Dès lors, l’intervention étatique est improductive pour deux principales raisons :

Premièrement, en raison des retards dans l’identification d’un problème conjoncturel, toute politique économique sera confrontée à des incertitudes. Les données, même temporaires, demandent un certain délai pour être à la disposition des autorités publiques, elles sont sujettes à des révisions permanentes et les informations disponibles sont souvent divergentes. Les autorités publiques sont souvent confrontées à une grande indétermination quand elles doivent effectuer un diagnostic sur la conjoncture. En raison des retards probables, l’efficacité d’une politique de relance commence à se faire sentir qu’à la fin du cycle de ralentissement, et le résultat risque d’être des tensions inflationnistes lors de la reprise de l’économie. Inversement, en situation de tensions inflationnistes, une politique restrictive ne commence à prendre effet qu’au moment du retournement cyclique, ce qui accentue l’importance d’une récession naissante (créer un chômage cyclique inutile).

Par exemple une baisse des demandeurs de travail sur un mois signifie-t-elle impérativement une reprise de l’activité économique ou d’une variation transitoire susceptible de changer le mois suivant ? Difficile d’y répondre au moment de l’estimation. Il faudrait du temps pour appréhender les raisons de cette évolution avant que l’État puisse passer à l’action.

Les retards sont problématiques vu que les experts économiques des États ne peuvent réaliser des prévisions précises. Les décideurs politiques courent, de ce fait, le risque de mener de mauvaises politiques face à une situation conjoncturelle donnée. La situation est d’autant plus périlleuse que l’État connaît à peine avec exactitude la valeur des prévisions passées. Pour Friedman, les retards liés au délai d’application d’une politique économique sont longs et variables, ce qui rend le choix d’une politique donnée aventureuse.

Deuxièmement, à l’approche des élections, les autorités publiques s’attellent à rendre l’économie en bonne santé. Ils sont ainsi tenter d’augmenter les dépenses publiques pour stimuler l’activité, ce qui met l’économie dans une situation de surchauffe pendant les périodes électorales. Le résultat serait des gains en matière d’embauche, cependant les coûts en termes d’inflation pourraient être importants après les élections. Dès lors pour les monétaristes, l’inflation émane des pouvoirs politiques.

76 Friedman M. (1976)

44 Les politiques keynésiennes, selon Friedman, peuvent améliorer la situation de l’emploi à court terme, mais elles sont inefficaces dans le long terme et même néfastes puisqu’elles n’améliorent pas la situation du chômage en abaissant celui-ci au-dessous de son niveau naturel et au prix d’une hausse de l’inflation. Il préconise des politiques économiques basées sur des règles simples plutôt que sur des interventions discrétionnaires de l’État77.

En somme suivant le courant monétariste, l’État est un agent exogène à l’économie dont l’intervention ne fera que perturber les lois naturelles de l’économie. Il est la cause principale des problèmes économiques tels que l’inflation, le chômage, les dilapidations des deniers publics. Aussi les politiques économiques peuvent être efficaces à court terme mais inefficaces à long terme. Cependant, cette illusion monétaire de court terme admise par Friedman est rejetée par la nouvelle école classique. La caractéristique essentielle du raisonnement de ces auteurs de la nouvelle macroéconomie classique (NMC) repose sur l’hypothèse des anticipations rationnelles. Ce qui suppose que les agents économiques ne sont nullement victimes d’une illusion monétaire. Ce faisant, l’illusion monétaire de court terme admise par Friedman et constituant la base de la courbe de Phillips78 est rejetée par les nouveaux classiques. Il n’existe pas un laps de temps pendant lequel la politique de relance réduirait le chômage. Selon ce courant, dès que les pouvoirs publics effectuent des politiques de relance de la demande, les agents s’attendent à ce que les prix flambent et revendiquent alors une hausse des salaires nominaux pour conserver leur pouvoir d’achat. L’indexation des salaires à l’inflation est supposée ici totale. Ainsi, en dépit d’une hausse de l’inflation, le coût du travail reste le même (W/P reste constant avec W le salaire nominal et P le niveau général des prix) et le taux de chômage reste toujours à son niveau naturel.

Globalement suivant ce principe des anticipations rationnelles, les politiques économiques dont les effets sont pleinement anticipés par les agents économiques sont non seulement inefficaces, mais nuisibles car elles accélèrent l’inflation sans diminuer le chômage.

Lucas (1972), Sargent et Wallace (1981) abordent dans le même sens en énonçant le principe d’invariance (ou d’inefficience). Celui-ci stipule que toute politique monétaire ou budgétaire est inefficace. Seules les variables aléatoires, donc non anticipables de la masse monétaire,

77 Barro R., Gordon D. (1983) et Rogoff K. (1985)

78 Phillips W. (1956), « The Relation between Unemployment and the Rate of Change of Money Wage Rates in the United Kingdom, 1861-1957 », Economica, New Series, Vol. 25, No. 100, pp. 283-299.

45 peuvent affecter le revenu et l’emploi, car elles seules peuvent tromper les agents économiques. Ils préconisent la mise en œuvre de politiques structurelles agissant sur l’offre et la demande de travail ainsi que sur un meilleur appariement de ces deux variables.

D’autres auteurs abordent le concept d’anticipation sous l’angle de la crédibilité des politiques annoncées. Kydland et Prescott. (1977) mettent en évidence les phénomènes d’incohérence temporelle ainsi que ses conséquences en termes de crédibilité de la politique économique. En effet, la politique économique annoncée à un moment donné, est décidée en fonction de la situation présente et des prévisions, et paraît a priori optimale. Cependant, vu les délais de mise en œuvre de cette dernière, un retournement de conjoncture peut s’opérer à tel point que cette politique précédemment décidée devienne inadaptée à la nouvelle situation, et que les autorités monétaires estiment devoir revenir sur leurs engagements. Cela affecte leur crédibilité. L’écart entre optimalité à priori et sous-optimalité à posteriori est nommé incohérence temporelle. Par exemple, si les agents doutent de la réelle volonté des autorités monétaires à lutter contre l’inflation, alors ils ne changeront pas leurs anticipations. Des écarts répétés entre objectifs annoncés et politiques menées par les autorités monétaires affectent leur crédibilité79.

Un autre exemple est le cas de la construction d’une digue de protection. Considérons qu’il n’existe pas de mesures publiques claires prohibant la construction de maisons dans la zone inondable. Les agents rationnels bien conscients du manque de volonté du gouvernement à construire des digues et barrières de protection bâtiront leurs maisons dans la zone à risque. Cela s’explique par le fait que les citoyens savent qu’une fois leurs demeures construites l’État reviendra sur sa décision et construira les digues et barrières de protection dont ils ont besoin80. Ils préconisent diverses solutions. Par exemple, le respect des règles d’inflation intangibles en phase avec les promesses pour éviter un niveau d’inflation important (les changements de politiques économiques impliquent une modification de comportement des agents rationnels). Il est préférable que les gouvernants suivent des règles préétablies (assurer la crédibilité) plutôt qu’une politique discrétionnaire (problème d’incohérence temporelle).

Globalement, l’étude de la place de l’État en termes d’anticipation conduit chez les monétaristes et les nouveaux classiques à l’inefficacité des politiques publiques dans la sphère économique.

79 Kydland F-E., Prescott E-C. (1977, p. 474)

46 En effet, les monétaristes supposent que les politiques économiques sont inefficaces dans le long terme bien qu’elles puissent l’être dans le court terme (illusion monétaire). Toutefois, la nouvelle macroéconomie classique considère qu’il n’existe aucunement un laps de temps pendant lequel la politique publique est efficace. L’intervention de l’État ne fera qu’entraver la bonne marche de l’activité d’entreprenariat. À en croire les « classiques » dans leur ensemble, l’intervention publique massive en plus de son impact négatif sur les entreprises et les citoyens via les impôts entraîne également une hausse des déficits publics et la dette publique.

Encadré I.1

L’effet d’éviction désigne un phénomène suivant lequel l’ingérence des pouvoirs publics dans l’activité économique provoque un élargissement du secteur public au détriment du secteur privé.

L’interprétation des effets d’éviction englobe plusieurs phénomènes sans rapport direct les uns les autres.

Le processus le plus courant de l’éviction directe à court terme est celui correspondant à une conjoncture de plein-emploi. Toute tendance à la hausse des dépenses publiques dans une situation de plein-emploi des ressources ne pourra s’effectuer qu’au prix d’une baisse des dépenses privées et à l’issue d’un mécanisme inflationniste entraînant un rationnement inéluctable.

Mais, vu que cette situation de plein-emploi n’est quasiment jamais réalisée, les mouvements par un surplus de dépenses publiques ne deviennent pertinents qu’en situation de sous-emploi. Barro (1989), avec l’hypothèse d’ultra-rationalité a essayé de justifier l’effet d’éviction. Il suppose que les agents considèrent que les dépenses publiques participent au bien-être, à la même enseigne que les dépenses privées, et par conséquent, répondront à l’augmentation des dépenses de l’État par une baisse automatique et dans une même proportion de leurs dépenses : c’est le principe de l’équivalence ricardienne.

À côté de ces mécanismes directs, on peut noter des canaux indirects81 :

81 Greffe X. (1991)

47 - l’éviction par le rationnement quantitatif : toute augmentation des dépenses publiques financées par des emprunts publics se traduirait par la chute de l’offre de fonds prêtables destinés aux usages privés.

- l’éviction par le prix ou le taux d’intérêt : toute expansion du déficit public se manifesterait par une surenchère sur le taux d’intérêt, quelques projets privés ne seraient pas financés et la demande diminuera d’autant. La conséquence pourrait être, à moyen terme, une augmentation des prix et des salaires qui risquerait d’accentuer le chômage.

L’éviction à moyen terme est associée aux effets néfastes du déficit de l’équilibre extérieur. La relance via les dépenses publiques occasionnerait une dégradation du solde des échanges extérieurs en raison de la structure de l’offre des économies (nombre d’entreprises, capacité exportatrice de l’économie…). Dès lors, l’effet positif escompté de l’emploi risquerait d’être compensé ou dépassé par l’effet négatif lié à la hausse des importations et à la répartition désavantageuse entre offre intérieure et offre extérieure.

À long terme, l’éviction se matérialiserait par l’importance des échanges extérieurs. Si l’efficacité d’un pays dépend de l’importance de la population active dans le secteur productif et si l’emploi public est tenu a priori comme ne participant pas au relèvement de la capacité productive, toute hausse du ratio de dépenses publiques dans le PIB est supposée évoluer au même rythme que la capacité exportatrice du pays.

Néanmoins, on peut remarquer que toute augmentation des dépenses publiques ne se concrétise pas nécessairement par une hausse de l’emploi public ; et même s’il en est ainsi rien n’indique que l’emploi public est improductif.

Keynes et des auteurs tels que Eisner ont vigoureusement contesté cette thèse de l’effet d’éviction :

Eisner (1989), faisant référence à l’économie américaine souligne que le déficit public n’est pas synonyme de désépargne et que l’unique déficit précis est celui qui se manifeste par une augmentation de l’endettement82.

82 Eisner suppose que la mesure doit se focaliser sur le flux de revenu courant et éviter la comptabilisation économiquement absurde des ventes réelles ou financières comme des recettes et les achats d’actifs financiers comme une production. De tels ventes et achats sont essentiellement des changements de portefeuille et n’ont aucun effet de premier ordre sur la dette nette ou les capitaux propres de l’État ou le secteur privé.

48 Gramlich (1995) récuse l’équivalence ricardienne en soulignant que rien n’indique que les dépenses publiques soient responsables de la désépargne privée et par conséquent de la baisse à long terme de l’intensité capitaliste dans l’économie et du niveau de vie standard. Les consommateurs choisissent délibérément de diminuer leur épargne d’une part et de permettre à l’État, par le truchement des élections, d’augmenter ses dépenses.