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Défaillance de l’action politique : Intérêt individuel et groupes de pression

Contrairement à certains libéraux qui se focalisent principalement sur le fonctionnement du marché, d’autres auteurs de cette famille (Public Choice Theory) trouvent comme substance principale de recherche, l’étude des actions politiques des citoyens (politiciens, bureaucrates, électeurs, groupes de pression) dont l’objectif n’est pas l’intérêt général mais l’intérêt personnel (réélection, profiter de subventions). Toutefois, cette nouvelle économie politique se base sur les principes fondamentaux de la théorie néo-classique pour étudier le comportement des citoyens61.

Downs (1957, p. 143) à travers le modèle Hotteling-Downs étudie les stratégies adoptées par les élus (partis politiques) pour maximiser leur chance de gagner les élections et par conséquent accéder aux pouvoirs de décision. Pour attirer les électeurs (ayant tendance à choisir d’une manière idéologique en raison d’un manque d’informations et d’un souhait d’amoindrir les coûts liés au choix d’un candidat), les partis politiques inventent une idéologie pour attirer le vote des citoyens dubitatifs. Toutefois, ce raisonnement ne saurait dire que le parti en question

36 change d’idéologie mais se déguise tout simplement afin d’attirer les récalcitrants tout en évitant de paraître malhonnête et peu fiable. En fin de compte, chaque parti met en œuvre une stratégie de différenciation subtile de son offre politique dans le but d’attirer les électeurs rivaux lors du scrutin au regard des imitations adverses.

Suivant Downs, l’hypothèse de Hotteling (1929) selon laquelle dans un système démocratique à deux partis (exemple PR : Parti Républicain et PD : Parti Démocratique), ces derniers convergent inévitablement vers le centre et le gagnant sera le parti qui aura réussi à glaner plus d’électeurs sur les 50% du centre, n’est pas forcément vraie. Cette hypothèse n’est vraie que si les votants sont distribués tout au long de l’échelle (voir Graphique I.1).

Graphique I.1

PD PR

En revanche, si le parti démocratique se situe à la position 25 et le parti républicain se trouve à la position 75 dans un pays à électorat polarisé. Les deux partis se déplaceront tout au long des 50 restants (voir Graphique I.2).

Graphique I.2

PD PR

Chacun des partis peut gagner plus d’électeurs au centre qu’il peut en perdre à son extrême à cause de l’abstention. Chacun gagnerait plus de votants en se déplaçant vers sa position extrême qu’il en perdrait au centre. Cette situation est aussi valable dans système multipartite (Graphique I.3)62.

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Graphique I.3

FG PS PR FN

Chaque parti politique63 cherche à garder ses spécificités et se donne les chances d’être une alternative à ses voisins immédiats. Si un parti glisse « idéologiquement » vers sa gauche alors il gagne des voies alors qu’il en perd lorsqu’il se déplace vers sa droite (les radicaux du parti s’abstiennent) et vice versa64.

En définitif, le parti gagnant sera celui qui aura proposé un programme plus en phase avec l’aspiration du votant médian. Cela peut avoir comme conséquence un candidat élu et dont les convictions sont loin d’être en phase avec celles des personnes qui ont eu à voter pour lui. De fait, le risque d’imposture du politique et la recherche de l’intérêt personnel des partis est mis en exergue par Downs et repris par d’autres auteurs tels que Buchanan et Tullock qui sont considérés comme étant les chefs de file de l’école du Public Choice grâce à leur livre intitulé « The Calculus of Consent » de 1962.

Suivant ces auteurs, l’État était souvent considéré, dans la théorie économique, comme un « dictateur bienveillant » au pouvoir immense. Cette posture, lui donnait la légitimité de mener des politiques économiques en phase avec l’intérêt général. A l’opposé de cette conception, l’école du Public Choice suppose que l’intérêt individuel est grandement reconnu comme étant la grande force de motivation de toute activité humaine. Si l’action humaine n’est pas freinée par des contraintes éthiques ou morales, alors l’individu privilégiera sa promotion individuelle ou son intérêt personnel au détriment de la collectivité. Par analogie, les hommes politiques et les partis politiques s’investissent aux élections dans l’optique de bénéficier des positions de pouvoir ou des privilèges financiers par l’intermédiaire des budgets publics. Il est donc illogique de penser qu’un individu, qui se comporte d’une manière rationnelle et égoïste comme on l’affirme souvent à propos de la vie économique, puisse devenir désintéressé une fois qu’il

63 Exemple pris en référence au paysage politique français en 2015 (FG : Front gauche, PS : Parti Socialiste, PR : les républicains, FN : Front National).

38 accède au pouvoir. Avant tout, à l’instar des agents économiques rationnels, les hommes politiques et les fonctionnaires cherchent à maximiser leur utilité personnelle et non l’intérêt général65. De ce fait, les entreprises publiques sont souvent inefficaces en raison des jeux politiques et des groupes de pression66.

Abordant ces derniers, Olson (1965) se penche sur leur comportement dans une perspective d’une théorie de choix rationnel. Dans son livre The logic of Collective Action, il récuse fondamentalement le point de vue conventionnel selon lequel, le domaine politique est un marché semblable aux autres lieux d’échange car chaque acteur cherche avant tout son intérêt personnel. Olson admet que les groupes d’intérêt organisés, tendent à évoluer et œuvrent pour obtenir des avantages en faveur du public mais leurs efforts sont souvent érodés par le phénomène du « passager clandestin ». Cette situation peut influencer négativement le fonctionnement de l’économie de marché. La capacité d’action d’un groupe d’intérêt peut être considérable dans un pays où le secteur public est très important. Dans ce cas, les décisions de production seront effectives au regard de l’activisme des groupes de pression67 et de l’inertie des contribuables et/ou de la neutralité des autres groupes d’intérêt. Ainsi, plus les groupes de pression fleurissent, et plus la croissance sera faible. De surcroît, le secteur public a d’autant plus intérêt à cette situation que ces groupes serviront de clientèles électorales. Dès lors, la démocratie tend à être un marché entre les groupes de pression et les partis politiques dénués de toute objectivité économique et la conséquence risque d’être un coût social68 énorme. Niskanen (1971) explore le sujet des groupes de pression via le problème de la maximisation du profit des bureaucrates69. Suivant son entendement, les problèmes de fourniture de services publics par la bureaucratie (c’est-à-dire la difficulté de définir le champ de la production) sont liés au fait que les objectifs des fonctionnaires ne sont pas complètement compatibles avec ceux de l’organisation collective. Dans le cas d’une compatibilité des objectifs, alors la production réelle de la collectivité sera proche de celle désirée en dépit des difficultés. Cependant, dans le

65 Buchanan J-M., Tullock G. (1962)

66 Ils comprennent les organisations patronales, ouvrières, les associations de consommateurs, de travailleurs, de fonctionnaires, de contribuables.

67 Becker G-S. (1983)

68 C’est le coût supporté par les agents qui n’ont pas participé aux transactions ou échanges donnant naissance à l’activité concernée et n’ayant pas été indemnisés à ce titre.

69 Le terme bureaucrate fait référence aux fonctionnaires et leurs relations avec leur environnement. Parfois ce mot fait référence aussi à une structure organisationnelle, à des caractéristiques comportementales d’agents publics ou à des méthodes dans la fonction publique (Niskanen W-A., 1971, p. 23).

39 cas d’une incompatibilité des objectifs, les difficultés d’informer des bureaucrates et les écueils de délimitation du champ de la production conduisent systématiquement à un écart important entre production désirée et celle effective. Dès lors, la concurrence entre les entreprises privées et structures publiques est le meilleur moyen de rendre performant des services tels que la distribution des courriers, le transport scolaire. Plus la place de la bureaucratie est importante, plus l’utilisation des ressources publiques et le risque de vouloir tirer un bénéfice privé sur les entreprises par certains fonctionnaires gagnent du terrain. Le secteur public est moins efficace que le secteur privé car le premier manque de compétitivité. En effet, le manque de compétitivité de l’administration (bureaucratie) s’explique par le caractère monopolistique de l’administration publique sur la production de certains services (demande ne pouvant être satisfaite par une offre privée) entraînant une inflation de leurs coûts de production et par conséquent une hausse des dépenses publiques.

Buchanan (1975), quant à lui, pense que la forte présence des groupes de pression peut rendre inefficace l’intervention de l’État dans l’activité économique en raison d’un probable détournement de ressources publiques vers un emploi improductif (une utilisation qui leur convient mieux en tant que votant et consommateurs). C’est pour cette raison que Buchanan préconise « un État minimum » qui respecte les règles institutionnelles qui sont en conformité avec les opinions du peuple car l’unanimité devrait être le soubassement de toute décision publique. La réélection du politique est censée dépendre de la sélection d’un programme électoral désiré par l’électorat. Les bureaucrates exercent un véritable pouvoir discrétionnaire dans la sélection et l’exécution des politiques proposées et cherchent à maximiser leur utilité. La différence de comportement entre les deux groupes est que les actions des hommes politiques peuvent être contraintes dans une certaine mesure par les menaces de défaite électorale alors que les bureaucrates n’ont pas ce problème de sanction électorale. D’autre part, l’utilisation d’un système politique à majorité annihile l’expression correcte de la démocratie et dynamise le clientélisme politique et des groupes de pression70.

Par ailleurs, Brennan et Buchanan (1980) traitent de la nature de la taxation à travers l’impact d’une forte imposition et les implications en termes de comportement du gouvernement au regard de la capacité financière en sa possession issue de cette taxation. Ils préconisent la

70 Brennan G., Buchanan J-M. (1980)

40 logique des restrictions institutionnelles suivant lesquelles les citoyens caractérisés par « le voile de l’ignorance »71 devraient décider des attributions à déléguer aux gouvernants quant à la conduite des affaires du pays et sans possibilité de déroger à des contraintes. Et ces contraintes s’articulent autour de règles budgétaires (limitation des recettes via le niveau d’imposition) et des règles non budgétaires (définition de franchise, vote de lois, pouvoir législatif et judiciaire). Cependant, ils supposent que l’assertion selon laquelle le processus électoral est suffisant pour servir de contraintes au gouvernement est extrêmement vulnérable. Il est à noter que cette conception de contraintes constitutionnelles vis-à-vis de l’État est à l’antipode de la conception hobbesienne, selon laquelle l’État a le monopole de la coercition et le gouvernement est par nature illimité et est le seul rempart contre le chaos anarchique. Globalement, les politiques et les groupes de pression sont supposés être des agents ralentissant la machine économique au regard des calculs politiques et la mise en avant le souhait des groupes de pression au détriment de l’intérêt collectif72.

Dans le même registre, divers auteurs promeuvent le lien entre actions politiques et croissance économique en considérant l’action du politique comme une variable endogène73.