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Fonctions économiques et sociales de l’État

Traitant la théorie budgétaire, Musgrave considère que le cœur de celle-ci n’est pas de savoir si l’État doit intervenir mais plutôt comment les services publics doivent être fournis et à quel montant171.

Dans son approche de la théorie des finances publiques, Musgrave définit l’État à travers maintes fonctions : les fonctions d’allocation, de distribution et de stabilisation. Il imagine un gouvernement avec un département des affaires budgétaires composé de trois branches avec chacune remplissant une de ses trois missions. Les subdivisions du budget en plusieurs branches

169 Moudud J-K. (2002)

170 Lavoie M. (2003).

76 sont considérées comme faisant partie d’un système interdépendant ; alors que le budget consolidé émane d’un processus de compensation entre ces différentes branches172.

La branche service fait l’inventaire des besoins des ménages ; elle évalue le montant nécessaire pour les satisfaire et désigne les agents qui devront supporter ce coût (financement). Les dirigeants de ce service estiment qu’une distribution juste et le plein-emploi sont réalisables ; et que ces objectifs pourraient être satisfaits à travers les opérations accomplies par les deux autres branches. La question est de savoir si l’État devrait produire lui-même les biens ou les acheter sur le marché via ses ressources fiscales. À en croire Musgrave, une différence fondamentale subsiste entre ces deux procédés. Les biens et services produits par l’État pour satisfaire les besoins du marché public sont consommés d’une manière égalitaire par l’ensemble de la population alors que la production des biens et services à destination des besoins du marché privé peuvent être achetés individuellement à des montants différents. Ils sont également différents dans la mesure où les biens et services publics sont consommés dans la même proportion par les citoyens alors que leurs cotisations diffèrent (les écarts de prix naissent de la distribution des revenus). En revanche, concernant les biens et services privés, les individus consomment des quantités différentes pour un même prix. Le processus de détermination des prix n’est pas semblable. Dans le cadre d’un bien collectif, les agents ne révèlent pas leurs préférences car ayant conscience qu’ils ne peuvent être exclus de l’utilisation de celui-ci, contrairement aux biens privés dont les désirs sont exprimés sur le marché173. Dès lors, si le principe d’exclusion ne fonctionne pas et par conséquent le mécanisme de marché, alors la seule solution demeure le mécanisme de vote qui reflète davantage le véritable état de préférences des individus même s’il n’est pas optimal.

Le rôle alloué à cette branche service est l’allocation des ressources pour satisfaire le besoin du public. En effet, l’État se doit d’intervenir dans l’économie par l’allocation des ressources afin de favoriser une utilisation économiquement efficace de celles-ci et satisfaire les besoins des populations. Par exemple, l’État peut décider d’une taxation supplémentaire à certains biens nocifs à la santé collective. Autrement dit, l’État doit internaliser certaines externalités par « le principe du pollueur payeur » par l’intermédiaire du mécanisme de taxation ou de régulation.

172 Musgrave R. 1956, p. 353)

77 Dans la branche distribution, le mécanisme impôts-transferts du budget public constitue, selon Musgrave, l’outil efficace de redistribution. Il l’explicite en ces termes, « la question d’une distribution équitable ne doit pas être traitée comme un simple exercice de maximisation d’utilité mais comme un problème de choix social ». La fonction de cette branche est connexe à la fonction d’ajustement de la distribution spontanée de revenus. Cet objectif pourrait être atteint par le canal des systèmes de taxation et de transfert du budget qui constituent des outils efficients à l’accomplissement de cette fonction redistributive. Reste à savoir, comment déterminer justement la manière dont ces réajustements doivent être faits. Pour ce faire, Musgrave trouve que le gouvernement doit être un État providence motivé par des choix sociaux basés sur le principe d’une égale redistribution des ressources au moyen d’un système de transferts qui est économiquement et socialement efficient.

Enfin, la branche stabilisation a pour objectif (en conjonction avec la politique monétaire et celle de la dette) de maintenir un niveau approprié de demande agrégée. En d’autres termes, la tâche de la branche stabilisation est de déterminer l’écart inflationniste et déflationniste en l’absence d’une action de stabilisation et de décider quels niveaux d’imposition et/ou de transfert (ses composantes) sont nécessaires pour dissiper cet écart. Le budget de cette branche de l’État est presque toujours déséquilibré et peut être utilisé pour résorber les problèmes d’inégalités soit par les dépenses publiques (transferts) soit par les taxes. Ces prélèvements ou transferts seront redistribués égalitairement suivant les préconisations de la branche distribution. Ils seront proportionnels aux revenus après ajustement de la branche distribution mais avant les prélèvements effectués par la branche service174.

Le niveau de consommation privée et les dépenses d’investissement peuvent être affectés par l’ajustement de divers types d’impôts et des dépenses publiques inclus dans le budget global. Sous certaines conditions, les dépenses publiques peuvent fournir un surplus de revenus même en l’absence de déficit et d’augmentation des dépenses privées. C’est pourquoi, ajuster le niveau des dépenses publiques par rapport aux impôts n’est qu’une approche parmi tant d’autres. Si la politique budgétaire doit fournir, pour un dollar donné, un surplus au revenu national, cela peut s’accomplir à travers une panoplie de formes budgétaires : en faisant varier les impôts, les dépenses, le déficit total ou encore les structures de dépenses et de revenus.

174 Musgrave M. (1956, p. 337).

78 D’autres économistes discutent la fonction de l’État en tant qu’institution (l’approche institutionnaliste175). Ils voient l’État comme une institution importante qui peut agir pour contrer d’autres forces minant les dépenses et conduisant au chômage. Il peut également aider en créant des structures institutionnelles qui tendent à stabiliser l’économie, à protéger les droits de propriété, une Banque Centrale qui opère en tant que prêteur en dernier ressort176.

L’État peut ainsi remplir ces fonctions institutionnelles suivant divers mécanismes. Tout d’abord, l’État peut aider à convertir l’incertitude et la discontinuité en risque calculable en donnant confiance aux acteurs économiques via une visibilité sur l’avenir. L’État établit des lois nécessaires à la mise en place d’une production capitaliste mais assure également la régulation, la sécurité et la stabilité. Cette dernière comprend la stabilité monétaire, la stabilité du taux de change, les avantages de « welfare », les retraites et les garanties de dépôt. Les garanties des dépôts, combinées aux opérations de la Banque Centrale en tant que prêteur en dernier ressort, réduisent la probabilité de faillites bancaires et d’effondrements financiers. Les programmes de dépenses universelles (telles que les allocations familiales) et un système d’impôt progressif fondent le développement des classes moyennes dans les pays développés177.

Les politiques d’État qui promeuvent le plein-emploi et qui fournissent des filets de sécurité durant les périodes difficiles donnent confiance aux citoyens pour dépenser, car ils savent qu’ils ne mourront pas de faim en cas de chômage. Les systèmes d’État « welfare » (État providence) sont des institutions qui reconnaissent que le marché, le réseau familial et social ne sont pas parfois suffisants pour assurer la sécurité de l’individu. Les agents peuvent ne pas dépenser s’ils ont peur des conséquences personnelles de devenir chômeur. Un filet de sécurité viable réduirait cette préoccupation178.

Deuxièmement, l’État fournit également une ancre de sécurité pour prendre des décisions dans le secteur privé. Les entreprises peuvent avoir plus confiance dans leur propre décision d’investissement quand elles savent que le gouvernement aidera à maintenir l’investissement

175 Ces principaux fondateurs sont Veblen T., Commons J. et Mitchell W (voir Rutherford M., 2001).

176 Skidelsky R. (1989).

177 Pressman S. (2007).

79 total et le plein-emploi. Cette grande confiance générera à son tour plus d’investissements privés179.

Cet effet positif de l’intervention publique via divers mécanismes sur le marché est également évoqué à travers le développement de la périphérie par les structuralistes puis les néo-structuralistes.