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Défaillance du marché et régulation publique

Les structuralistes traitent le rôle de l’État à travers sa relation avec le marché et l’impact des deux sur le développement des nations. Cette théorie structuraliste est née en Amérique Latine dans les années 40 et 50180 et est influencée par le keynésianisme suivant diverses interrogations relatives à la place économique de l’autorité publique. Pourquoi l’intervention publique est-elle importante dans le développement ? Pourquoi les politiques appliquées dans les pays développés ne sont-elles pas souhaitables pour les pays de la périphérie ?

Les structuralistes estiment que l’intervention de l’État est incontournable au regard de la défaillance des mécanismes de marché pour corriger les inégalités entre le centre et la périphérie et la nécessité d’une concentration accrue sur le marché intérieur181. Les structuralistes de la CEPAL suggèrent une industrialisation par substitution des importations pour une moindre dépendance des pays développés avec une certaine dose d’intervention de l’État. Cette présence publique consiste entre autres à contrôler les mécanismes d’allocation des ressources entre les marchés intérieurs et les exportations, à répartir les ressources entre les secteurs et les branches, à mettre en œuvre des réformes agraires pour une meilleure répartition des revenus, à aider les petits producteurs par l’intermédiaire de programmes de développement, à prendre des mesures en faveur de l’emploi et du social (hausser les dépenses de logement, de santé et d’éducation)182. Selon ces auteurs, l’économie mondiale est caractérisée par deux pôles interconnectés et à structures productives disparates. La différence de structures entre les pays développés (centre) et les pays du sud (périphérie) influe sur le caractère des échanges commerciaux et des transferts technologiques. L’écart de productivité et de développement entre ces deux blocs se creuse en

179 Pressman S. (2007)

180 Parmi les penseurs de ce courant on peut citer la CEPAL (Commission Économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes), Prebisch R., Perroux F., Myrdal (voir Hammouda H-B., 2000).

181 Hammouda H-B. (2001)

80 raison de la rétention des résultats du progrès technique des pays avancés. De ce fait, la théorie structuraliste remarque une détérioration des termes de l’échange183en raison des déséquilibres entre les deux blocs. Elle s’oppose à la théorie des avantages comparatifs de Ricardo qui prône une spécialisation productive des nations. Pour remédier à ce processus qui maintient les pays en développement dans la pauvreté, les structuralistes proposent l’implication des pouvoirs publics dans le développement industriel afin d’améliorer les termes de l’échange et par conséquent les conditions de vie dans les pays pauvres. En effet, l’État était considéré comme l’agent qui est à même de tirer vers le haut le mécanisme endogène d’accumulation de capital et le progrès technique. L’État doit être au centre du diagnostic des problèmes structurels liés à la production et à l’emploi et à la répartition du revenu. Ainsi, l’État doit :

- favoriser l’accumulation du capital en protégeant les industries en développement face aux grandes entreprises occidentales ;

- encourager une cohérence de développement entre le secteur agricole et l’industrie afin d’améliorer la structure de production et de diluer la dépendance vis-à-vis de l’extérieur ; - inciter le développement des infrastructures sociales et des investissements privés ;

- réduire les inégalités à l’intérieur des pays et entre pays du nord et pays du sud via des réformes agraires et fiscales ;

- développer le commerce entre pays du sud de la même région ;

- canaliser les ressources nationales vers des investissements réels et promouvoir la technologie184.

Toutefois, l’expérience structuraliste a eu à connaître des déboires dans beaucoup de pays d’Amérique latine permettant de ce fait, la renaissance des politiques orthodoxes vers les années soixante-dix. Le mot d’ordre étant de réduire le taux d’inflation via des changements profonds allant d’une baisse de la place de l’État à une grande ouverture économique. Malheureusement, cette expérience au Chili a à son tour échoué aux alentours de 1982 (déficit courant important et une dette extérieure explosive, détérioration de l’activité et de la situation des travailleurs)185.

183 Détérioration que Prebisch R. et Singer H expliquent par une baisse inéluctable des prix des produits émanant du Sud en comparaison des prix des produits venant des pays du Nord.

184 Berthomieu C., Chaabane A., Ghorbel A. (2004, p. 241-274)

81 C’est dans ce cadre d’échec qu’est né le néo-structuralisme. En effet, au début des années quatre-vingt-dix, le néo-structuralisme émerge et tente de faire la synthèse entre l’approche structuraliste et celle libérale concernant l’intervention publique. Il se base sur deux constats : la défaillance des politiques d’ajustement structurel (principe des avantages comparatifs) et la réussite économique en Asie du sud-est (basée sur une régulation publique)186. Selon les néo-structuralistes, l’intervention publique est primordiale dans la sphère économique afin de mettre en place une structure économique incitative et favorable à l’entreprise privée pour faire face aux distorsions endogènes sources de difficultés de développement économique dans la périphérie (relation de complémentarité entre les secteurs privé et public). Leur objectif est de promouvoir une intervention publique sélective dans des secteurs prioritaires et éviter une libéralisation tout azimut des marchés dans une perspective de recherche d’une complémentarité entre le secteur public et le secteur privé. Dès lors, il ne saurait exister une dualité ou dilemme entre l’État et le marché mais plutôt une relation de symbiose entre ces deux pour appuyer un développement harmonieux des pays. Les néo-structuralistes trouvent que la principale préoccupation ne devrait pas être un arbitrage entre « plus d’État » ou « plus de marché » mais la tendance devrait être un « mieux d’État » et un marché juste et efficace187. Cette nécessité de symbiose de l’État et du marché ou encore l’indispensable régulation et accompagnement de l’activité économique est entièrement partagée par les postkeynésiens qui soulèvent l’insuffisance de la demande globale pour assurer le plein-emploi. Les postkeynésiens se basent sur une idée fondamentale de la théorie keynésienne à savoir l’existence d’un chômage involontaire émanant de l’inefficience du marché. Les politiques macroéconomiques via des contrats d’insertion professionnelle, selon eux, peuvent parer à l’incapacité du marché à s’autoréguler : c’est le concept de l’employeur en dernier ressort. 1.2.8 L’État employeur en dernier ressort

Une idée particulière dans le post-keynésianisme [Minsky (1965), Mitchell (1998), Wray (1997, 1998), Forstater (1998)] est la proposition d’un État employeur de dernier ressort, un projet connu sous différents noms : « ELR (Employment of Last Ressort) », « Job Garantee (JG) », « Public Service Employment (PSE) » ou encore « Buffer Stock Employment (BSE) »188.

186 Hammouda H-B. (2001)

187Ehrhart C. (2004, p. 241-274)

82 L’idée de base est que l’État devrait assurer un emploi à toutes les personnes dépourvues de travail et prêtent à accepter un salaire assez proche du salaire minimum et au-dessus du niveau d’allocation chômage dans des projets du secteur public. Le financement d’un programme ne se fera pas par un accroissement des impôts sur le revenu mais plutôt par un accroissement du déficit189. Suivant Minsky (1965), la stratégie la plus cohérente pour contrecarrer l’instabilité macroéconomique et surtout pour lutter contre la pauvreté est de mener une politique de création d’emplois basée sur des politiques budgétaire et monétaire expansionnistes190. En effet, la meilleure manière d’endiguer la pauvreté par la puissance publique est de générer des emplois à revenus adéquats pour les citoyens en situation de pauvreté. Certes, les transferts peuvent aider mais l’approche de base serait de donner un emploi à ceux disposés à travailler et ayant les aptitudes requises. Ensuite, la seconde étape (après leur avoir trouvé du travail) serait de leur proposer un programme de formation pour actualiser leur savoir-faire et non le contraire comme il se pratique191.

Mitchell (1998) traite également la question en expliquant l’augmentation et la persistance du chômage, dans les pays de l’OCDE au milieu des années soixante-dix, par la faiblesse du déficit budgétaire en comparaison à la volonté du secteur privé de respecter ses obligations fiscales, d’épargner et de détenir de la monnaie de transactions. La fonction la plus importante est plutôt de transformer un pouvoir d’achat non dépensé en une consommation (c’est-à-dire changer un pouvoir d’achat non recyclé en un revenu192 en utilisant la création de capitaux nets privés par l’emprunt et la dépense publique). La priorisation de l’objectif de stabilité des prix s’est faite au détriment d’autres objectifs tels que l’emploi et la croissance. Il en découle un taux de croissance moins conséquent, entraînant de fait l’impossibilité d’absorber la main d’œuvre disponible193. Toutefois, ce programme assurant le plein-emploi et la stabilité des prix est critiqué par Sawyer (2003). Il estime que le programme ELR entraînerait le passage du chômage au sous-emploi (pour cause le manque de compétences et la faible productivité des individus embauchés dans l’ERL) et par conséquent du chômage déguisé et de l’inflation (l’inflation peut

189 Sawyer M-C. (2003, p. 1)

190 Il fustigeait la politique économique de Kennedy qui avait choisi une baisse des impôts au détriment de l’augmentation des dépenses relatives au service public et au logement social (Laguérodie S., 2005).

191 Minsky H-P. (1965, p. 200)

192 Un pouvoir d’achat non recyclé implique la disparition des achats, de la production et par conséquent entraîne la hausse du chômage.

83 s’accélérer pour un niveau de chômage en dessous du NAIRU194, le salaire de base ne garantit pas la stabilité des prix). Il existe d’autres barrières à la hausse de l’emploi en dehors de l’insuffisance de la demande comme le suggère l’ERL : la faiblesse des capacités productives, les barrières inflationnistes, les contraintes de la balance des paiements et celles politiques et intellectuelles. Les résultats d’amélioration de l’emploi pourraient être atteints en respectant l’équilibre budgétaire, en baissant les taxes, en stimulant l’activité par le biais de l’investissement et de la consommation195. Mitchell et Wray. (2005) apportent des réponses aux critiques citées plus haut. Pour eux, l’ERL devrait accroître l’emploi par la stimulation de la demande agrégée et opérerait comme toute politique budgétaire keynésienne en ciblant directement les populations les plus touchées par le chômage sans créer des pressions inflationnistes. Le principe du programme de plein-emploi garanti consiste à proposer du travail aux individus ayant perdu leurs emplois et ceux disposés à travailler particulièrement lorsque le secteur privé est en situation de récession et de licenciements massifs. Une fois la reprise économique engagée, les entreprises pourront de nouveau embaucher les employés du programme ELR. Par conséquent, plus le secteur privé se portera bien et moins sera important le programme ELR.

Toutefois, ce rôle d’employeur de dernier ressort capable d’absorber les variations cycliques du chômage dans le long terme est fustigé par certains kaleckiens. Ainsi, Kriseler et Halevi (2001) affirment que ce mécanisme d’ELR ne mène guère à des changements institutionnels qui assureraient le maintien du plein-emploi. Ce programme ne changera en rien les relations entre classes sous-jacentes qui sont au cœur de l’incompatibilité entre le plein-emploi et le capitalisme. Plutôt, il fait office de pansement tentant de traiter le symptôme qu’est ici le chômage.

Entre les keynésiens et les postkeynésiens qui attribuent le chômage à une pénurie de demande et à l’incapacité du marché à s’autoréguler et les libéraux qui imputent le chômage massif au manque de flexibilité des salaires et à l’intervention accrue de l’État dans le fonctionnement de l’économie se situent les économistes de la synthèse. L’objectif de ces derniers est de réconcilier ces deux approches antagonistes. Des économistes tels que Samuelson ou Hicks ont voulu faire la synthèse de ces deux conceptions en combinant des idées keynésiennes et des

194NAIRU: Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment

84 éléments microéconomiques, d’où le nom de synthèse néo-classique. L’enjeu étant d’épargner aux sciences économiques les débats vains en leur donnant une certaine cohérence à travers les thèmes de la croissance, de l’inflation...

1.3 Pensée de la synthèse : Symbiose entre l’État et le marché