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Fardeau de la dette et déficit

La question des déficits et dettes publics a traversé la science économique et nombreux sont les économistes « classiques » qui s’y sont intéressés d’Adam Smith à nos jours.

Smith suggère que le budget de l’État soit toujours équilibré afin d’éviter l’inflation, de limiter l’endettement des États et de surcroît servir de moyen de contrôle de l’action gouvernementale83.

Ricardo, quant à lui, pense que l’abondance de dépenses de l’État et des citoyens paupérise la nation et toute action visant à inciter à une réduction des dépenses du gouvernement et par conséquent à équilibrer le budget, rétablirait la situation périlleuse de l’État. Ricardo aborde la question de la neutralité de la politique de relance par les dépenses publiques en soulignant que toute augmentation de la dette publique dans le présent est synonyme d’une hausse des impôts futurs pour le paiement du capital et des intérêts de cette dette. Aussi, Ricardo souligne qu’il n’y a pas de différence entre les trois modes de financement du déficit à savoir par l’impôt, par l’emprunt remboursable financé par une hausse des impôts (principal et charges d’intérêt) ou encore par une émission monétaire non remboursable financée par les impôts (charges d’intérêt). Ce principe a été également repris plus tard, par Barro sous le nom de principe d’équivalence ricardienne via les hypothèses suivantes84 :

- le fardeau de la dette est transmis dans le temps (générations futures), il subsiste une analogie entre dette publique et celle privée, il n’existe pas une différence importante entre dette publique externe et celle interne, les titres publics constituent des outils de couverture contre les impôts à venir ;

83 Smith (1776, livre.5, Chap. II, Sect.2, « Des impôts ».

49 - les impôts sont forfaitaires (pas de distorsion, ni d’effets de richesse encore moins d’effets de substitution entre les consommations) et les agents anticipent parfaitement les impôts futurs à payer suite à une émission de dette publique (les agents ne sont aucunement victimes d’une illusion sur l’avenir.

-chaque génération est constituée d’un nombre fini de personnes et se soucie de la génération future et les individus sont supposés avoir exactement les mêmes comportements (même goûts du risque, même productivité, homogène) ;

- l’économie est caractérisée par une situation de concurrence pure et parfaite sans incertitude, les marchés des capitaux sont parfaits (il n’existe pas de frictions, d’asymétrie d’information, ou de contrainte de liquidité) ;

- la technologie est statique au fil du temps et le progrès technique inexistant ;

- le niveau des dépenses publiques est donné et constant ; les finances publiques sont solvables et dès lors l’État peut se financer par émission monétaire ou par impôt ;

- les impots sont forfaitaires

Barro (1974, 1989) met en évidence le fait que l’effet des dépenses publiques soit indépendant de la manière dont celles-ci sont financées. En cas de financement par emprunt, les ménages anticiperont une hausse des impôts futurs pour le paiement des intérêts de la dette et le remboursement du capital. Pour se protéger, les contribuables épargneront davantage en achetant des titres publics pour se préparer à la hausse future des impôts atténuant ainsi l’effet du multiplicateur keynésien. Si le financement s’effectue par voie monétaire85, celui-ci devra être compensé ultérieurement par des impôts mais ces derniers n’auront pas à payer des intérêts liés à la dette. Cependant, aux yeux des ménages, cette émission de monnaie est une perte de pouvoir d’achat futur. Ainsi, ils anticiperont des émissions récurrentes de monnaie et s’attendront rationnellement à une dégradation de leur pouvoir d’achat en raison de l’inflation et épargneront davantage pour garder leur niveau d’encaisses réelles inchangées. Les autorités publiques, en remplaçant l’impôt par la dette, ne modifient nullement le revenu permanent86

des ménages. Par ailleurs, Barro explique que les individus effectuent un arbitrage rationnel

85 Il s’agit d’actifs monétaires non rémunérés ou d’avances de la Banque centrale au budget ou encore il s’agit en pratique principalement de titres à court terme émis par le trésor et détenus par les banques ou les fonds d’investissement.

50 entre la consommation et l’épargne en raison de l’altruisme intergénérationnelle. Il raisonne sur un horizon temporel infini vu que la génération actuelle est préoccupée par le bien être des générations futures. Dès lors, en cas de baisse des impôts, les ménages épargneront davantage afin de laisser à leurs descendants un héritage pour que ces derniers puissent s’acquitter des prélèvements supplémentaires ultérieurs. En somme, pour Barro, que les dépenses publiques soient financées par émission de dette, par création monétaire ou par la hausse des taxes, l’effet sur la consommation est identique. Il en conclut que le multiplicateur fiscal est nul. Cependant cette thèse est sujette à discussion sous certaines conditions 87 :

- horizons différents pour le consommateur et pour l’État : si les consommateurs adoptent une perspective de court terme et si les dépenses publiques sont financées par des impôts fixés sur une période plus longue ou portant sur des revenus gagnés sur une période plus longue alors la hausse des dépenses n’affectera pas la consommation des ménages.

- taux d’intérêt payés par l’État et ceux reçus par les consommateurs différents. À titre illustratif, si le coût de l’endettement de l’État est supérieur au taux d’intérêt du placement des ménages, par exemple en raison des commissions des intermédiaires financiers, les ménages n’ont pas beaucoup d’intérêt à épargner pour payer des impôts futurs car leur épargne est moins rémunérée que n’augmentent les impôts requis dans le temps.

Dans ce cadre, Buchanan (1958) aborde le sujet à travers la notion de « nouvelle orthodoxie de la dette publique » basée sur trois hypothèses88 diamétralement opposées à cellesde Barro (1974,1989) :

- la création de la dette publique n’implique pas un transfert du fardeau réel aux générations futures ;

- l’analogie entre dette individuelle ou privée et emprunt public est fallacieuse pour l’essentiel. Dans le cas de la dette publique, les individus sont moins concernés alors que dans le cas de celle privée, les individus savent qu’ils devront impérativement payer et même à leur décès leurs parents payeront89 ;

87 Artus P. (1996, p.15)

88 Buchanan (1958, pp. 7)

51 - il existe une forte et importante différence entre dette intérieure et celle extérieure. Quand il s’agit de la dette publique interne, les créanciers sont exactement les contribuables qui devront payer à eux-mêmes et il n’y a pas de sorties de ressources. En effet, ce ne sont pas nécessairement les mêmes individus : les contribuables ; les créanciers peuvent être des personnes différentes mais comme ce sont tous des résidents, l’effet net, global au niveau de la nation, est neutre. Dans le cas de la dette extérieure, les citoyens devront payer les intérêts à l’étranger ce qui représente une perte de ressources pour la nation.

Par conséquent, la règle budgétaire devrait être fixée de telle sorte que le niveau des dépenses publiques ne dépasse pas la somme des taxes et de la dette interne. Il considère que la dette publique externe peut être le signal d’une « irresponsabilité budgétaire » et devrait être évitée quand c’est possible90

L’effet négatif du déficit est également évoqué par certains monétaristes. Brunner et Meltzer (1972, p. 20) affirment que le déficit budgétaire financé par l’émission de titres publics à chaque période implique une hausse continue des prix des actifs et des taux d’intérêt. D’autre part, Brunner (1986) considère que les ultimes instruments budgétaires affectant l’économie sont entre autres le niveau des dépenses publiques en biens et services, le système de taxation effective (incluant aussi bien les taxes positives et les taxes négatives), la valeur réelle des obligations publiques, et celle des actifs publics. Il préconise aussi la suppression de la composante cyclique dans les dépenses et les revenus budgétaires dans une analyse de long terme de la politique budgétaire car celle-ci augmenterait le niveau du déficit. Le surplus d’inflation représente ainsi le taux de taxation supplémentaire accroissant le revenu de l’État suite à une dépréciation réelle de la dette publique nominale. De tels ajustements sont inévitables pour obtenir des effets économiquement significatifs. Aussi, le déficit affecte probablement le taux d’intérêt à travers ses conséquences sur la dette consolidée (stock de dette) et sur le risque de portefeuille émanant de l’incidence de l’incertitude des impôts futurs (épargne). En outre, une hausse permanente d’un large déficit implique un accroissement persistant du stock de dette réelle par tête. Cet accroissement implique non seulement une hausse du taux d’intérêt nominal mais initie également une tendance à la hausse des taux d’intérêt réel91. Donc, il est impossible de faire coexister une politique monétaire non

90 Buchanan (1958, pp. 10)

52 inflationniste et une politique de déficit permanent dans le long terme. Par conséquent, il est nécessaire de contrôler le déficit pour espérer une croissance stable.

La nouvelle théorie anti-keynésienne (NAK) des finances publiques traite également la question du déficit sous l’angle de l’inefficacité des politiques budgétaires de stabilisation pour deux raisons principales92 :

- d’abord, les autorités étatiques utilisent la politique budgétaire d’une manière non efficiente et à des fins électoralistes en lieu et place de la régulation. En outre, les États ne font pas l’effort nécessaire en période de bonne conjoncture d’où une hausse récurrente des déficits publics conduisant à une accumulation de dettes publiques ;

- ensuite, les déficits budgétaires sont nuisibles à la production, car étant la source de la hausse des taux d’intérêt et celle-ci engendre alors le déclin de la demande privée (car les ménages anticipent une hausse des impôts) entraînant de fait ainsi une baisse de l’offre.

Donc une diminution du niveau de dépenses publiques (baisse du déficit public) évite l’effet d’éviction à travers une baisse anticipée des taux d’intérêt de court et long terme ; ce qui est favorable à l’investissement. Ce faible niveau de taux d’intérêt peut provenir d’un faible risque de défaut de paiement de la dette publique ou de l’anticipation qu’un faible niveau de dette publique est synonyme d’un taux d’inflation plus bas.

Toutefois, malgré leur croyance sans faille au laissez faire et au laissez-passer, nombreux sont les économistes « classiques » qui ne pas totalement opposés à un minimum d’intervention de l’État afin de remplir des fonctions régaliennes irréalisables par le système de marché.