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La politique du taux de change

STRATEGIES D’INDUSTRIALISATION EN ALGÉRIE DE 1967 À1990

10. Garantie des droits de propriété: les droits de propriété doivent être biens définis et

3.1. La politique du taux de change

Le taux de change a joué un rôle important durant toutes les périodes. Par contre les taux d’intérêt réels ont été toujours négatifs. Puisque entre 1970 et 1986, les taux d’intérêt étaient en moyenne de l’ordre de 2 à 6 % alors que le taux d’inflation minoré était de 10%. Ensuite, le taux d’inflation grimpe à 20% en moyenne jusqu’à 1992 et il a continué son ascension jusqu’en 19951.

3.1.1. La dévaluation du dinar

La dévaluation est un acte politique qui consiste à changer la parité légale de la monnaie nationale par rapport à l'ensemble des monnaies étrangères constituant le « panier » de devises fortes qui définit les droits de tirages spéciaux (DTS). Cette opération suppose au préalable une offre flexible de biens et services sur le marché national permettant de dégager un surplus exportable. Elle a pour « objectif normal de manipuler

autoritairement le cours pour égaler le prix des produits nationaux à celui des biens

étrangers » 2. Elle s'effectue pour répondre à certaines circonstances. Souvent, elle

concerne le déséquilibre extérieur (déficit de la balance des payements) accompagnée ou non de déséquilibres internes (déficit budgétaire et inflation). En général l'objectif est d'arriver à rétablir la confiance au sein des principaux agents, ici les investisseurs nationaux (résidents et non résidents) et les étrangers.

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1Athmane Cheriet (2007), op.cit.

2 Breton P.H. et Schour A. (1993), Dévaluation, Bouchéne, Alger.

Dans le cas de l'Algérie, les émigrés représentent un grand atout 1. L'afflux des capitaux étrangers et des émigrés permettront une reprise de l'activité économique. Cette dernière conjuguée à une rétention de la consommation finale permettra de dégager un

surplus exportable et une diminution des importations non productives. En conséquence, le mécanisme de dévaluation en période d'austérité permet à la balance commerciale d'être excédentaire. Selon, l'orthodoxie libérale la dévaluation s'attaque au déséquilibre de la balance commerciale, au déficit budgétaire et à l'inflation. Par ailleurs le décideur algérien lamine progressivement l’économie informelle et la pénurie et le rétablissement de l'équilibre de la balance des comptes courants et budgétaire dans le moyen terme et de veiller à contenir l'inflation. En principe la dévaluation va renchérir les importations et rendre les exportations moins chères sur le marché international. L'objectif visé à travers cette opération est bien entendu de limiter les importations et d'encourager les exportations. Dans le même esprit, et dans le cas spécifique de l'Algérie, une dévaluation va entraîner une augmentation sensible des prix à l’importation. Ainsi, l’Algérie espère aussi que les exportations illicites vers le Maroc et la Tunisie seront mois attractif aussi bien pour les revendeurs que pour les acheteurs. En outre, cette dévaluation vise une croissance du PIB de 3% à 6% en 1997 avec une compression de la demande intérieure et une stabilisation des importations ayant pour corollaire un dégrèvement d'un surplus exportable hors hydrocarbures enfin de période. Après quoi, l'Algérie pourra opter pour un change flottant permettant le rétablissement automatique des prix nationaux avec les prix des autres nations. Par ailleurs, la fin de la période reste cautionnée à la réduction du taux d'inflation à moins de 5% afin de restaurer la confiance parmi les investisseurs locaux et étrangers.

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1 Au fond, le décideur public n’a pas pensé à créer des mécanismes incitant l’afflux de capitaux des émigrés. Cette source de devises va alimenter le marché parallèle, surtout à la fin des années comme le montre l’évolution comparative du taux de change officiel et Parallèle (Cf. tableau 3.6. Ci-dessous). En 1978, pour atténuer la pénurie, l’Etat donne le droit aux résidants (ménages et entreprises privés) d’ouvrir des comptes en devises destinés à l’importation de produits divers. Cette fiction de change va encourager la structuration d’un marché parallèle qui va gérer illicitement la devise des émigrés et priver l’économie d’une source de financement complémentaire alors qu’elle prise en compte dans le financement de la stratégie d’industrialisation. En bref, le détenteur de devises se dirige sur le marché parallèle parce que le taux de change et plus attrayant qu’au niveau des banques. Si bien que le taux de change sur le marché parallèle est qualifié par certains observateurs comme le vrai taux de change réel. A ce titre, « les travailleurs marocains en Europe dont le nombre est sensiblement équivalent à celui des travailleurs algériens transfèrent en moyenne 1,5 milliards de dollars par an alors que les algériens ne transfèrent officiellement en moyenne, que 300 millions de dollars […] On peut retenir comme plausible le chiffre minimum de 1,5 à 2 milliards de dollar en devises pour les sommes effectivement en jeu dans le marché.» Propos cité par Mahrez Hadjsyed (1994), L’industrie algérienne (1962-1993) : blocage du système productif et tentatives d’ajustement, Thèse de Doctorat, UPMF/IREPD, p.166.

Depuis 1973, l'Algérie pratique une politique de taux de change fixe. La valeur extérieure du dinar était basée sur un panier de 14 monnaies constituant les économies les

plus dynamiques sur le marché international. Guidées par le slogan « pour une vie meilleure » les autorités menèrent une politique de surévaluation du dinar encourageant d'avantage la consommation locale. D’autre part le dinar algérien dépend en majorité du dollar Américain puisque nos exportations sont principalement constituées par les hydrocarbures et qui sont libellées en dollar comme cela est le cas pour tous les pays de l'OPEP. Nos exportations sont également exprimées en monnaies européennes et en yen Japonais. De ce fait la valeur interne du dinar répond obligatoirement de sa valeur extérieure et aussi elle subit de plein fouet les variations du taux de change du dollar.

3.1.2. L’impact des ajustements du taux de change

Plusieurs facteurs internes influent sur la valeur du dinar donc sur son pouvoir d'achat local. Cette différence de valeur appâte les spéculateurs et elle encourage le développement du commerce à la valise. Le créneau illicite, du moins pour le moment, manipule une bonne partie de la liquidité nationale que l'Etat à un certain moment a voulu légaliser. Le marché parallèle alimente surtout la consommation finale et échappe totalement au fisc. Et il se trouve que l'Etat cherche coût que coût à le supprimer. Comment les autorités vont-elles procéder ? Bien que le pouvoir d'achat de la monnaie nationale se dégrade depuis 1982, les autorités politiques refusaient la dévaluation. Il faut attendre 1988 pour que les autorités monétaires procèdent à un glissement du dinar. Cette dévaluation en douce portait la valeur du dinar pour un dollar en 1988 à 1992 de 6,731 à 21,500 dinars soit une dévaluation de 50% de sa valeur, comme le montre le tableau suivant :

Tableau : 3.5. Evolution du taux de change usD/DA , 1985-1998 (En fin de période)

Année Dinars pour 1 Dollar 1985 5,03

1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 4,70 4,90 6,70 8,03 10,9 22,5 21,5 24,1 42,9 52,2 56,2 58,4 60,6

[Sources : Mourad Benachenhou (1993): 27 et Banque d’Algérie]

En application des mesures du FMI, les autorités monétaires procèdent à une dévaluation brutale du dinar de 40,17% en 1994. En 1995 le taux de change du DA avec le dollar US était de 52,2. Face à cette situation qu'elles vont être les conséquences liées aux variations des taux de change ? L'analyse des principaux indicateurs économiques nationaux suite aux changements fréquents de la parité du dinar entre 1988 et 1994 nous permet de déduire deux types de résultats.

3.1.3. Les résultats positifs de la dévaluation du dinar

Pendant les périodes planifiées, le taux de change fixe administré 1 a protégé les investissements industriels. Les EPE ont bénéficiées de bonus lors d’importations d’inputs de l’extérieur. Par contre il pénalisé l’exportation des hydrocarbures et a rendu les importations plus attrayantes que le recours à la production nationale.

Cette dévaluation est bénéfique pour les entreprises exportatrices qui verront leurs ressources financières en dinar s'accroître. Dans la mesure où une dévaluation encouragerait l'augmentation des exportations on pourrait penser que les recettes fiscales de l'Etat pourraient gonfler également.

En Algérie, la fiscalité pétrolière intervient pour 60% dans les recettes fiscales de l'Etat. La dévaluation augmente les recettes budgétaires qui vont diminuer le déficit budgétaire. Le plus grand bénéficiaire de la dévaluation c'est la SONATRACH dont ses ____________________________

1Le taux de change administré est calculé sur la base d’un panier de devises fortes reflétant la physionomie des échanges extérieurs.

revenus en dinar augmentent. Ceci lui permet d'accélérer le remboursement de sa dette auprès du trésor. Par contre, « le déficit des autres entreprises publiques s'alourdit du fait

que le poids de leur endettement extérieur, exprimé en monnaie nationale, et leur assainissement encore difficile et plus lourd à prendre en charge par le budget national.

D'autant plus que les statuts de la Banque d’Algérie, qui aurait absorbé une partie des effets de la dévaluation, lui interdisent d'accepter de courir le risque de change des

opérateurs économiques » 1.

Par ailleurs, la dévaluation a entraîné les premiers résultats suivants :

Même si l'Etat a déguisé la dévaluation du dinar sous le vocable « glissement du dinar ». Le 30 avril 1995, un dollar US s'échangeait sur le marché officiel à 46,46 dinars donc il a dépassé la barre des 42 dinars fixée au préalable. Il faut noter qu'il y a eu un rétrécissement de l'écart entre le taux de change officiel et le taux de change sur le marché parallèle, comme le montre le tableau suivant :

Tableau : 3.6. Evolution comparée des taux de change officiel et sur le marché parallèle, Unité : DA /1000 F.F. Année 1987 1988 1989 1990 1991 1993 avril 1994 avril 1995 juin 1995 déc. 1995 Taux de change officiel 810 990 1190 1800 - 4500 6139,9 9720 9780 10900 Taux de change parallèle 5250 6500 8500 11000 13000 13000 13000 12500

[Source : Tableau construit à partir du taux de change officiel et de l’observation empirique du taux de change parallèle]

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1

Mourad Benachenhou (1991), Réformes économiques : Dette et démocratie, Ech’Rifa, Alger, p.145.

Tableau : 3.7. Taux de change moyen du Dinar

1970 1980 1985 1990 1992 1993 1994 Taux officiel moyen : 1 $ 4,9 3,85 5,3 8,96 22 23 23

US Taux de change parallèle : 1 $

- 12,10 20,75 29,25 44 n.d. n.d.

Taux de change officiel moyen : 1 FF

1,0 0,62 0,61 1,8 4,5 4,5 4,5

Taux parallèle : 1FF 1,0 2,0 3,0 6,80 9,5 12 15(*) (*) 1er Trimestre 1994 [Source : Mahrez Hadjseyd (1994) :166]

Le rétrécissement de l'écart entre le taux de change officiel et parallèle trouve sa justification dans les résultats suivants :

- La dépréciation du revenu des ménages a fait d'eux des ″ désépargnants ″. Ils sont obligés de s'abstenir de consommer les biens importés illicitement. Ceci diminue automatiquement la demande de la devise sur le marché local, voire sur le marché parallèle ;

- Le second fait est l'octroi de crédit devises aux commerçants et entreprises solvables. Les marchands illicites commencent à prendre conscience que le marché parallèle n'est pas certain et il est appelé à disparaître donc ils cherchent à se convertir en opérateurs réguliers dans l'import-export.

3.1.4. Les effets négatifs de la dévaluation du dinar :

La dévaluation du dinar a aussi des effets négatifs sérieux. Le glissement du taux de change, à partir surtout de 1989, affecte profondément la trésorerie des EPE, à l’exception de la SONATRACH. Le syndicat des travailleurs et celui des agriculteurs accusent les pouvoirs publics de dévaluer le dinar volontairement pour rendre les EPE plus attrayantes aux investisseurs étrangers.

A titre d'illustration voyant les pertes de change des PHARMS (les trois EPE de pharmacie) dues aux dévaluations successives et l'impossibilité d'en répercuter les effets sur les prix internes. Les PHARMS ont subit de très lourdes pertes. Comme on peut le constater sur le tableau suivant :

Tableau : 3.8. Pertes de change subies par les PHARMS en 1989-1991 (U =103 DA)

1989 1990 1991

Enopharms Encopharms 41 70 103 103 815 80

[Source: Sidi Ali K. (1994): 126]

D’une manière générale, les EPE éprouvent, depuis l'autonomie (1988-90) des difficultés de trésorerie et elles souffrent d'un manque d'intrants importés pour la fabrication et l'écoulement des produits finis. La contrainte devise influe automatiquement sur la production et la productivité car il y a absence de la pièce détachée et les machines sont vétustes. L’exemple des PHARMS que nous venons d'évoquer est une illustration de cette contrainte. Les PHARMS se trouvent dans une situation de ″ non bancabilité ″ qui aggrave leur découvert bancaire. Et en vertu du critère de solvabilité, les banques domiciliataires ne leur accordent plus de crédit pour financer les importations donc ces entreprises publiques sont menacées de faillite.

Prenons un deuxième exemple qui est celui de la caisse nationale de la sécurité sociale (CNAS). Dans le prolongement des ″ autorités sanitaires ″, la CNAS pratiquait une gestion bureautique et passive de ses ressources financières. L'application des mécanismes de L'ajustement structurel (dévaluation du dinar, libéralisation des prix) a fait que les frais d'envoi à l'étranger et les remboursements des frais médicaux se gonflent et la CNAS se trouve brutalement devant des problèmes de déséquilibres financiers. Le bilan établi pour 1994, par la CNAS fait ressortir un retour à l'équilibre budgétaire et cela par l'application d'une gestion rigoureuse de son patrimoine. A cet effet plusieurs mesures permettant de rétablir ses comptes ont été prises :

- Augmentation de la cotisation à la sécurité sociale de 6 à 7% pour l'assuré et de 16% à 31% pour l'employeur ;

- Récupération d'une partie de son patrimoine (officines, hôpitaux), évalué à 22 milliards de DA et utilisée par des structures étatiques et touristiques ;

- La caisse demande à l'Etat de prendre en charge la dette qui concerne particulièrement les soins à l'étranger, antérieur à l'année 1995 ;

- La CNAS réclame les avances octroyées au trésor public ;

- La caisse cherche à réduire et diversifier les transferts pour soins à l'étranger, en l'occurrence de la France vers l'Ecosse1.

- La caisse compte rééchelonner en fonction des disponibilités financières auprès de son principal créancier qui est l'assistance publique des hôpitaux de Paris.

La dévaluation a entraîné aussi les effets négatifs suivants :

- La persistance d'une croissance monétaire de 5,65% en moyenne annuelle au cours de la période 1988-93, induite par une politique laxiste de crédit, pousse le taux d'inflation vers la hausse. En termes réels ce dernier passe de 6% en 1988 à 17,8% en 1990, et 32% en 19942.

- Le renchérissement des importations de biens intermédiaires a conduit directement à une baisse d'utilisation des capacités de production d'où la détérioration des conditions de vie des citoyens. Ceci est d'autant difficile pour les ménages habitués à vivre dans une certaine euphorie.

- La baisse de la production peut se traduire par une augmentation des coûts dans la mesure où les recettes, chutent relativement aux charges qui demeurent élevées.

Par ailleurs, l’important écart entre les taux de change officiel et parallèle alimente le marché illicite qui à son tour alimente la fuite des capitaux à l’étranger. De nombreux algériens possèdent des affaires immobilières, commerciales et industrielles en France, en Espagne, en Suisse et au Maroc. Il n’y a pas de doute les capitaux de la diaspora sont nombreux et « beaucoup d’hommes d’affaires installés en Europe seraient prêt à investir

en Algérie si l’ouverture économique et la stabilité politique se confirme. »3

Tous ces effets pervers vont entraîner d'énormes pertes pour les EPE et l’économie du pays. On vient d'analyser la dévaluation or cette dernière est interdépendante avec le commerce extérieur de l'Algérie.