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Les impacts de l’industrialisation par substitution d’importations

PRÉSENTATION DES STRATEGIES INDUSTRIELLES DE DEVELOPPEMENT

Section 2 : La stratégie d'industrialisation par substitution d’importations

2.3. Les impacts de l’industrialisation par substitution d’importations

Au niveau global, nous mesurons la l’import substitution en faisant la différence entre les importations réelles à la fin de la période considérée à l’offre totale dans la même proportion qu’en début de période. L’expérience historique montre que l’import-substitution s’opère, d’abord, dans des secteurs produisant les biens de consommation durable. Nous pouvons identifier, aisément, les résultats, d’une telle politique, à partir de l’évolution des importations des différentes catégories de biens, sur la base des données chiffrées du tableau (1.2).

pays en développement (u=%) Catégories de biens pays Biens de consommation Biens intermédiaires Biens de capital Brésil 1946 1965 Mexique 1950 1965 Inde 1951 1961 Pakistan 1951 1964 Philippines 1946 1965 9,0 1,3 2,4 1,3 4,2 1,4 77,5 11,4 30,9 4,1 25,9 6,6 13,2 9,9 17,4 18,7 73,2 15,0 90,3 36,3 63,7 9,8 66,5 59,8 56,5 42,4 76,3 62,3 79,7 62,9

[Source: Industry and Trade in Some developing countries. I an Little. Tibor Scitorsky, Maurice Scott, OECE – Oxford University Press, 1970, P.60.]

Le tableau (1.2) traduit clairement l’ordre des secteurs prioritaires, dans lesquels intervient la substitution aux importations, en commençant par les industries produisant les biens destinés à la consommation finale, notamment l’agro- alimentaire, le textile et la maroquinerie. En continuant par les secteurs produisant des biens intermédiaires et en achevant par le secteur des biens capitaux. C’est l’ordre de la remontée (de l’aval vers l’amont). Dans le cas du modèle d’industrialisation de l’Algérie (1967-1978), la priorité a été donnée au secteur produisant les biens de production qui fournit, ensuite, les biens d’équipement au secteur produisant les biens de consommation finale et à l’agriculture. C’est l’ordre de la descente (de l’amont vers l’aval).

les points positifs suivants :

En premier lieu, des économies d’échelles sont dues à la concentration des investissements sur un secteur pour lequel les techniques employées sont sophistiqués et fournissent un output à des prix relativement bas. A leur tour, ces prix collaborent à l’élargissement du marché local et la conquête du marché extérieur. De plus, ce niveau des prix permet l’extension des activités situées en aval.

En second lieu, cette dynamique peut stimuler le progrès technique. Toutefois, l’impact de ces arguments reste limité dans les pays en voie de développement car la technologie n’est pas le résultat d’un développement autonome mais elle est importée des pays développés. En conséquence, cette industrialisation continue de souffrir de la dépendance technologique.

En troisième lieu, la dynamique du processus de substitution d’importation et celle de la promotion des exportations ne sont pas contradictoires. Malgré leurs limites, il est concevable de combiner les deux stratégies pour une meilleure efficacité. Car, l’expansion des exportations engendrerait une nouvelle demande de biens de consommation. Ensuite, cette demande pourrait susciter la création d’industries de substitution d’importation afin de répondre à cette demande d’exportation1.

Après avoir souligné les aspects positifs prêtés au développement déséquilibré, nous passons, maintenant, à l’étude critique de l’import-substitution.

L’ISI a été l’objet de critiques assez virulentes. Au début des années soixante, d’une part, la CEPAL 2 et le courant structuraliste ont signalé les dangers de cette de cette voie de développement et, d’autre part, dans le prolongement des auteurs libéraux (Little, Scitovsky et Scott, 1970), et sur la base de l’approche du ″consensus de Washington ″, les adeptes de l’école néo-classique procèdent à une analyse de la croissance, d’après guerre, des NPI d’Asie et d’Amérique latine. A cet effet, les distorsions les plus importantes liées à ce processus de développement tiennent à la fois à la déficience de la demande globale, aux distorsions liées à la protection douanière, à l’inégalité de répartition du revenu national sur les différentes couches sociales. Le monopole de certains investisseurs et l’accroissement de ____________________________

1

Albert O. Hirshman (1974), Stratégie du développement économique, Ouvrières, Paris.

2

CEPAL : Commission Economique des Nations Unies Pour l’Amérique Latine.

a) La faiblesse de la demande globale

Au début de l’application de la substitution à l’importation, la production globale doit satisfaire deux types de demande : la demande préalable qui est égale au volume des importations avant la mise en œuvre de la substitution d’importation et une demande induite par la substitution à l’importation.

En premier lieu, l’utilisation de techniques sophistiquées conduit à l’utilisation de procédés de production capital-using limite la distribution du revenu. En second lieu, au début du processus, la totalité des biens intermédiaires et équipements sont importés donc une grande partie des capitaux est retirée du marché national. En troisième lieu, la politique de protection douanière qui entraîne l’augmentation du niveau général des prix qui greffe fortement le pouvoir d’achat des ménages et conduit à la réduction de la demande interne. D’autre part, dans les pays où le secteur public est prépondérant la couverture du déficit des EPE par des subventions budgétaires réduit la demande globale. Celle-ci risque, même, d’entraîner l’essoufflement rapide du processus de substitution à l’importation. A moins que des recettes tirées de l’exportation viennent combler le déficit de la demande globale.

b) Les distorsions liées à la protection douanière

La pratique du protectionnisme provoque des effets négatifs. Le protectionnisme, mesure nécessaire à la substitution à l’importation, réduit la compétitivité des biens crées et renforce les situations de monopole. Au cours des années soixante dix, en Algérie, l’EPE, d’envergure nationale, détient le monopole dans la branche dans laquelle est investie. Cette situation a conduit à la non intégration inter et intra-branche, d’une part, et à une faible utilisation des capacités productives. Et, l’absence totale de la compétitivité a posé avec acuité la maîtrise de la technologie. Accepté comme arme par la théorie, le protectionnisme en principe est temporaire. Dés que les secteurs protégés arrivent à mûrir pour qu’on puisse s’en passer. Or, ce n’est pas le cas, puisque, le protectionnisme ne se limite pas au secteur des biens de consommation. Elle se transmet en cascade aux autres secteurs. Et, le moment où elle touche les secteurs d’exportation, elle annihile tout effort d’exportation et ferme l’économie1.

c) L’inégalité de répartition du revenu entre les différentes couches de la population

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1

Voir, pour de plus ample détails : Jean-Marc Fontaine (1994), op.cit., pp.78-80.

répartition du revenu national entre les différentes couches de la population. A cet effet, la CEPAL fournit pour l’année soixante dix, la répartition du revenu national dans cinq pays de l’Amérique latine.

Tableau : 1.3. Répartition du revenu national en 1970 dans les pays d’Amérique latine

Catégories pays Les 30 % les plus pauvres Les 30 % suivants Les 20 % suivants Les 15% riche Les 5 % les plus riches Brésil 3,5 % 11,5 % 23,7 % 22 % 39,3 % Argentine 5,2 % 15,3 % 25,3 % 23 % 31,2 % Colombie 5,9 % 14,2 % 23,3 % 26,2 % 30,5 % Mexique 3,6 % 11,9 % 26,1 % 29,2 % 29 % Venezuela 3 % 11,3 % 27,8 % 31,2 % 26,7 %

[Source : Commission Economique pour l’Amérique Latine des Nations Unies]

Du tableau (1.3) on déduit que 80 % de la population (non favorisée) du Brésil reçoit uniquement 38,7 % du revenu national, alors que 5 % de la population détient 39,3 % de richesse. En 1960, les 40 % de la population brésilienne la plus défavorisée recevaient uniquement 8 % du revenu national en 1970 contre 10 % en 1960. Les raisons qui expliquent la répartition inégale du revenu national sont la hausse constante des prix des produits alimentaires, l’utilisation de plus en plus de procédés capital-using, la croissance du chômage, voire même la régression du taux de chômage réel. Toute réduction de cette inégalité constitue une menace pour les producteurs de biens durables. Autrement dit, « l’industrialisation par substitution des importations a pour résultats que les producteurs

sont avantagés par l’inégalité des revenus entre consommateurs »1.

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1 Keith Griffin (1986), op.cit., p.161.

d) Des situations de monopole ou quasi-monopole peuvent apparaître. Lorsque dans une branche (A) les entrepreneurs ont réalisé des profits énormes, ils ne vont pas les investir

dans la même branche. Au contraire, ils vont les déplacer vers une autre branche (B), là où les profits sont plus élevés, sans que le déséquilibre de la branche (A) ne soit résorbé totalement et, ainsi de suite. Ce comportement est recherché pour les raisons suivantes : - la théorie de la croissance déséquilibrée le permet ;

- pour réaliser le gain maximum, les entrepreneurs se tournent toujours vers la branche à forte pénurie et donc à profits élevés où le déséquilibre entre la production et la demande locale est plus important ;

- la volonté des entrepreneurs de ne pas réaliser une grande capacité dans une branche donnée pour éviter d’être la cible des velléités anti-capitalistes des autorités politiques. e) Croissance de la dépendance vis-à-vis du marché extérieur

La dépendance du marché extérieur s’accroît. Il suffit que les ressources d’exportation, des pays en développement, régressent pour que l’industrialisation se ralentisse et elle peut entraîner des changements structurels de l’économie. L’industrialisation reste donc conditionnée par la capacité d’importation qui est généralement inextensible et aléatoire. « La valeur des importations tend à croître sous

l’effet d’une hausse des prix étrangers et de la hausse des revenus. Le faible pouvoir des achats des exportations ne peut alors être compensé que par un endettement extérieur. La

croissance est donc la conséquence importante de ce choix »1.

En résumé, la stratégie de remplacement d’importation, le grand espoir d’après guerre, a rencontré une série de distorsions et de blocage des économies des PED.

Car, elle s’est heurtée à trois buttoirs importants :

Premièrement, l’étroitesse du marché local conjugué à la déficience de la demande effective a empêché l’acquisition du savoir faire et le transfert d’une technologie de pointe.

Deuxièmement, l’insuffisance des moyens financiers permettant d’importer les biens d’équipement lourds et capitalistiques de l’étranger, pour la production des biens intermédiaires, oblige l’utilisation de l’épargne externe donc à s’endetter.

Troisièmement, la substitution d’importation orientée principalement vers le marché

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1

Gerard Azoulay (2002), op.cit., p.133.

n’augmente pas rapidement et le recours aux importations entraîne un déficit de la balance commerciale, obstacle à l’industrialisation.

Pour résoudre cette contrainte extérieure les PED avaient deux choix : soit l'approfondissement du processus de substitution d'importation, soit l'exportation d'une partie de leur production manufacturière. En fait, la première possibilité s'est heurtée à l'étroitesse du marché local et la deuxième n'était pas viable. D'une part, les barrières douanières protégent le marché des pays développés et, d'autre part, les biens exportés ne correspondaient pas aux normes de qualité dans les pays développés. " Dans ces conditions, l'industrie des pays en développement n'a pu ni accéder au marché mondial ni dégager un solde exportable. Il aurait fallu, pour atteindre cet objectif, une industrie capable de soutenir la concurrence des produits fabriqués dans les pays développés. Ceci dépassait les forces et les aspirations des secteurs industriels autochtones. Par ailleurs, le capital international investi dans ces pays ne s'est pas orienté non plus vers l'exploration sur le marché mondial "

1.

Ainsi, la double dépendance technologique et financière engendrée par l'application de l'ISI prépare le terrain pour l'invitation des FMN et l'intégration de l'économie nationale à l'économie mondiale 2.

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1 Diana Hochraich (2000), op.cit., P.17.

En conclusion l’ISI a débuté en Amérique latine, au début des années 1920-1930. Au début, elle n’était qu’une politique empirique, par la suite elle s’est érigée en une stratégie d’industrialisation. Par la suite, elle s’est répandue en Asie, Afrique et même en Turquie. L’espoir des années 1940-1960 s’est estampé à la fin des années 1970. Cette stratégie est, maintenant, très critiquée, d’une part, par les tenants de la CEPAL et le courant structuraliste et, d’autre part, par la lignée libérale de la BM. Selon la CEPAL, l’ISI accentue les limites internes qui s’érigent en obstacles qui annihilent tous les efforts de développement. Cette situation nécessite une intervention vigoureuse de l’Etat. D’où la nécessité de changement de la politique économique. Selon, les analystes de la BM, le système de protection, en cascade, agit comme une vague sur les secteurs d’exportations et les enferme dans une trappe de " rente ". Cette situation, avec, le temps entraîne l’essoufflement du modèle qui mettra à la fin l’économie en péril.

En bref, les stratégies de substitution d’importations n’ont pas conduit autant qu’il était prévu à un développement rapide et durable. En dernière instance, elles se sont manifestées par une industrialisation ralentie, accentuant la dépendance économique 1, et déstabilisent la croissance et les répartitions des revenus dans les pays du sud.

En tout cas, ce constat d’échec a obligé les pays ayant adoptés cette stratégie, à privilégier une nouvelle notion qui s’imposa à la fin des années 1970. Donc, la poursuite de l’industrialisation peut passer par la mise en œuvre d’une autre stratégie. Cette dernière peut être fondée sur la libéralisation du commerce extérieur : la politique d’ouverture, déplace la priorité de la substitution des produits locaux à l’importation sur le marché intérieur à l’industrie manufacturière pour l’exportation.

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1

Bak-soo Kim (1987), Stratégies d’industrialisation des nouveaux pays industriels et coopération économique Sud-Sud : Le cas de la Corée du sud, Thèse de doctorat, IREP/UPMF, Grenoble, p.42.

A la fin des années soixante dix, la crise d’endettement internationale et la détérioration de la situation économique des PED ont révélé l’échec de la substitution à l’importation. Néanmoins, l’ajustement rapide des NPI, de l’Asie du Sud Est, a démontré qu’il existe une corrélation positive entre le commerce extérieur et la performance économique et le rôle moteur des exportations sur la croissance économique. Dés lors, un consensus se forgea, à partir des années quatre vingt, sur le choix d’une stratégie tournée vers l’extérieur. Cet argument conforte l’orientation des organisations et institutions internationales (FMI, Banque Mondiale, OMC, G7, Congres Américain) dans la promotion d’une plus grande ouverture des PED aux marchés internationaux des biens et facteurs de production. Mais, il faut admettre que les succès enregistrés par les NPI ont bénéficié d’une part, du contexte des trente glorieuses et, d’autre part, du rôle décisif qu’ont joué les FMN. Toutefois, certains auteurs sont pessimistes quant aux impacts de la promotion des exportations. La récente ″ crise financière asiatique ″ a succité beaucoup d’interrogations quant à la pertinence de la stratégie déséquilibrée basée sur l’exportation des produits manufacturés. Particulièrement en Afrique, l’alternative de l’ouverture n’a pas donné les résultats escomptés, puisque l’ouverture n’a pas amélioré la croissance et ne s’est pas traduite par une insertion internationale compétitive dans l’économie internationale. En définitive la dernière crise financière asiatique et les mauvais résultats en Afrique, nous conduisent à se demander sur le degré de pertinence d’une telle stratégie. Dans ce sens, quelle est la portée de la croissance guidée par l’exportation ?