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Les pointes foliacées bifaciales sont nette- ment moins nombreuses que les pointes de Jerzma- nowice, on en décompte 40 pour la totalité des en- sembles LRJ. Elles sont, en fait, absentes de la ma- jorité des sites, 12 sur 40 en ayant livrés.

En outre, la majorité de ces pièces (22) pro- viennent de Ranis 2. Six ont également été mises au jour dans la grotte Nietoperzowa, dont une dans le niveau 6 et deux dans le niveau 5a. Les trois autres sont de provenance indéterminée. Aucune n’a été découverte dans la couche 4 (contra Allsworth- Jones, 1986 : tableau 4.1).

Pour la Grande-Bretagne et la Belgique, les associations de pointes foliacées bifaciales et de pointes de Jerzmanowice ne sont pas clairement établies sur base stratigraphique et le rattachement des pointes foliacées bifaciales au LRJ reste hypo- thétique et varie en fonction du contexte local.

En Belgique, des pièces bifaciales, plus ou moins foliacées, ont été découvertes dans les mêmes dépôts que ceux ayant livré les pointes de Jerzmano- wice. Cependant, ces deux types ne sont pas forcé- ment à associer car les pointes foliacées bifaciales peuvent apparaître dans le contexte du Paléolithique moyen récent du bassin mosan, comme montré par l’industrie du Trou de l’Abîme à Couvin (Ulrix- Closset et al., 1988). Rappelons à cet égard que les mêmes niveaux de Spy et de Goyet ont livré d’im- portantes industries d’affinités moustériennes et c’est à celles-ci qu’il est généralement proposé de rattacher les pointes bifaciales et non aux pointes de Jerzmanowice (Ulrix-Closset, 1975 : 65, 74 ; Otte, 1974 : 2). Ces pièces sont d’ailleurs typologique- ment bien différentes des pointes foliacées bifaciales rencontrées dans les ensembles LRJ homogènes (Fig. 64).

En Grande-Bretagne, on trouve des pointes foliacées bifaciales minces « associées » à des poin- tes de Jerzmanowice dans plusieurs grottes (Kent’s Cavern : Fig. 17.3, Paviland : Fig. 19.1, Robin Hood Cave : Fig. 21.3) et dans un site de plein air (Bramford Road : Fig. 12). Contrairement à la Bel- gique, il n’y a jamais eu de découverte de pièces similaires en contexte moustérien et il est donc pro- bable qu’elles se rattachent au LRJ. Cela vaut aussi pour les pointes foliacées bifaciales, sans associa- tion avec d’autres types d’outil, provenant des dé- pôts interpléniglaciaires de Soldier’s Hole (Fig. 22), d’Eastall’s Pit et de White Colne Pit I (Fig. 23.2).

À côté de ces pièces attribuées avec un certain degré de vraisemblance au LRJ, il y a toute une série de pointes foliacées bifaciales, isolées et sans contexte stratigraphique, provenant de l’Est de l’An- gleterre. Il n’est pas impossible, et même très proba- ble dans certains cas, qu’il s’agisse d’artefacts néoli- thiques ou de l’âge du Bronze (cf. Annexe).

Il faut donc garder à l’esprit que si, globale- ment, les pointes foliacées bifaciales sont nettement moins nombreuses que les pointes de Jerzmanowice, cette différence est peut-être exagérée en raison de la signification chronologique plus floue des premières. En effet, dans la plaine septentrionale de l’Europe, une pointe de Jerzmanowice trouvée hors de tout contexte stratigraphique peut être rattachée au LRJ sur base typologique, ce qui n’est pas le cas des pointes foliacées bifaciales en raison des confusions possibles avec les pièces similaires de la fin du Pa- léolithique moyen et du Néolithique.

La variabilité typologique et, surtout, mor- phométrique des pointes foliacées bifaciales est assez grande, plus grande que celle des pointes de Jerzma- nowice (p.ex., Fig. 31 et 32.1 et 2). Les pièces entiè- res ont une longueur située entre 8,3 et 19,6 cm, pour une moyenne de 11,37 cm (n = 13). La largeur de ces pièces (entières et fragmentaires ayant conservé la partie mésiale, n = 25) s’échelonne entre 3,3 et 8,2 cm, pour une moyenne de 4,43 cm, tandis que l’é- paisseur des mêmes pièces (n = 28) se situe entre 0,5 et 1,6 cm (moyenne de 1,02 cm).

Elles ont donc parfois des dimensions similai- res aux pointes de Jerzmanowice. C’est le cas de la pointe foliacée bifaciale de White Colne (10,3 cm de long, 3,3 cm de large et 0,9 cm d’épaisseur ; fig. 23.2) et de deux autres provenant de Ranis 2. Mais, la plupart du temps, elles sont, comme on vient de le voir, de dimensions nettement plus importantes, en particulier pour la longueur et la largeur, l’épaisseur étant relativement similaire à celle des pointes de Jerzmanowice (cf. supra).

W. Chmielewski (1961 : 27-28) avait souli- gné que les pointes foliacées bifaciales du Jerzmano- wicien étaient de section plano-convexe, phénomène lié à un façonnage en deux phases : d’abord un amé- nagement de la face ventrale par de grands enlève- ments plats, puis un façonnage de la face dorsale et, ensuite, une régularisation des bords par retouches directes. La prédominance des sections plano- convexes a également été affirmée par J. Kozłowski (1990) pour les pointes foliacées bifaciales de Ranis 2.

Il est, en fait, difficile de vérifier ces affirma- tions aujourd’hui puisque le matériel de Ranis 2 n’a pu être étudié qu’en très faible partie et que la publi- cation donne des sections transversales et non longi-

tudinales (Hüle, 1977). Les pièces britanniques de White Colne Pit I, de Kent’s Cavern, de Paviland et de Robin Hood Cave présentent le même caractère plano-convexe.

Ces mêmes pointes foliacées bifaciales bri- tanniques semblent, par contre, se distinguer des pièces de Ranis ou de la grotte Nietoperzowa par la forme de la base, plus arrondie ou équarrie et non pointue.

Un sous-type particulier est présent en deux exemplaires à Ranis, il s’agit de pointes se rappro- chant du type Moravany-Dhlá (Bárta, 1960), trian- gulaires à base arrondie, de petites dimen- sions (longueur = 5,15 et 6 cm ; Fig. 32.2).

Dans la même collection, une pointe foliacée bifaciale, par son asymétrie marquée, évoque plus un couteau qu’une pointe (Fig. 32.1). Il n’est pas impossible que cette asymétrie soit due au fait qu’il s’agisse d’une pointe foliacée bifaciale réduite (ravivée) qui a conservé le bord droit d’un stade antérieur où elle était de plus grandes dimensions.

Pour la grotte Nietoperzowa, W. Chmie- lewski (1961 : 53-54), parallèlement à la supposée réduction de la retouche des pointes de Jerzmano- wice (cf. supra), accordait également une significa- tion chronologique et évolutive aux pointes folia- cées bifaciales. Selon lui, elles seraient plus nom- breuses dans le niveau inférieur 6 que dans le niveau moyen 5a et absentes du niveau supérieur 4. Ici aus- si, en raison du faible nombre de pièces concernées (6) et des incertitudes relatives aux classements pro- venant des fouilles anciennes, il n’est, en fait, pas possible d’étayer cette hypothèse à partir des don- nées de la grotte Nietoperzowa. Il est néanmoins vrai que les pointes foliacées bifaciales s’y trouvent dans les couches 6 et 5a et pas dans la couche 4. L’idée que les pointes foliacées bifaciales caractéri- sent la phase ancienne du LRJ a été reprise par J. Kozłowski (1990) en prenant alors en compte la collection de Ranis 2 où ces pièces sont bien repré- sentées.

L’âge des pointes foliacées bifaciales anglai- ses n’est pas connu et il n’est pas impossible qu’il y en ait toujours eu à Glaston (site supposé le plus récent) puisque on y a découvert un éclat (probable accident de façonnage) provenant d’une pièce bifa- ciale mince (Fig. 15.2).

En tout cas, la forte présence des pointes foliacées bifaciales dans l’ensemble supposé le plus ancien, Ranis 2, où elles sont plus nombreuses que les pointes de Jerzmanowice, comparée à leur très faible représentation, voire leur absence, dans les autres sites, laisse quand même penser que l’idée d’une signification chronologique de ces pièces n’est pas improbable. Ou alors, il faut interpréter

33 La transition du Paléolithique moyen au supérieur dans la plaine septentrionale de l’Europe

leur plus grande présence à Ranis 2 sous un aspect fonctionnel. Cependant, on a déjà vu qu’il n’était pas évident de déterminer la ou les fonctions réelles des pointes de Jerzmanowice et ce n’est pas plus aisé pour les pointes foliacées bifaciales. La différence fonctionnelle entre les deux types est d’autant plus difficile à percevoir qu’on se trouve a priori dans la même catégorie des pointes de sagaie.

Ph. Allsworth-Jones (1986 : xviii, 136) utilise l’expression « unifacial leafpoint transitional to bifa- cial » ou « transitional bifacial-unifacial leaf- point » pour désigner des pointes de Jerzmanowice à retouche bifaciale très envahissante. Cela laisse pen- ser que l’on peut passer des pointes de Jerzmanowice (« unifacial leafpoints ») aux pointes foliacées bifa- ciales dans une séquence de réduction. Cette idée peut être facilement rejetée : comme on l’a déjà dit, les pointes foliacées bifaciales sont toujours plus grandes, en particulier plus larges, que les pointes de Jerzmanowice. Il n’y a donc pas eu de « transition » de l’une vers l’autre.