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Les origines du LRJ

5. L ES INDUSTRIES À B LATTSPITZEN

6.2. Industries à débitage laminaire

Un autre type d’industries montre le dévelop- pement important d’une technologie laminaire de type « Paléolithique supérieur » durant la première partie de l’OIS 3. Les couches 7a à 7c de Piekary IIa, contenant ces industries laminaires, ont été da- tées entre 60 et 35.000 B.P. (TL sur silex brûlés ; Valladas et al., 2003). À Księcia Józefa, des data- tions AMS placent les niveaux concernés entre ca. 40 et 44.000 B.P. (Kozłowski, 2002b : 55), en ac- cord avec les données stratigraphiques (Kalicki, 2007).

Dans les trois niveaux de Piekary IIa (7a, 7b et 7c), dont le matériel peut être considéré comme homogène et en position primaire, un débitage lami- naire volumétrique est présent. Ce débitage peut se faire à partir de nucléus non préparés ou aménagés par une crête. Le plus souvent, il s’agit d’un débi- tage s’effectuant à partir de deux plans de frappe opposés et selon une modalité semi-tournante. La création de néo-crêtes et le ravivage du plan de frappe par l’enlèvement de tablettes sont attestés. La

percussion est plus souvent dure que tendre, sauf dans le niveau le plus récent (couche 7a) où cette dernière domine. À côté de ce débitage laminaire volumétrique, existe également une production d’é- clats, ainsi que de pointes, à partir de schémas opéra- toires Levallois et discoïdes. Les lames sont rarement retouchées, on peut, cependant, noter la présence de quelques troncatures, de burins et de lames à dos retouché. Un outillage sur éclats (surtout des ra- cloirs) complète le matériel (Sitlivy et al., 1999a ; Valladas et al., 2003 ; Escutenaire et al., 2002).

Une situation similaire prévaut à Księcia Jó- zefa, où les différents niveaux ont également fourni des ateliers de débitage en place (à l’exception du niveau supérieur), comprenant un outillage très fai- ble (Sitlivy et al., 1999b ; Escutenaire et al., 2002 ; Sitlivy et al., 2007 ; observation personnelle du ma- tériel du « Middle Complex »).

Le niveau supérieur (« Upper Complex » ou niveau I) a livré une industrie relativement pauvre comprenant essentiellement un débitage de lames selon une méthode de type « Paléolithique supé- rieur », impliquant la préparation de crêtes et une percussion tendre (la percussion est également attes- tée). Un des nucléus présente des caractéristiques se rapprochant de la méthode bohunicienne.

Le « Middle Complex » (niveau II), sous- jacent, ne comporte que du débitage laminaire. Il peut se faire aux dépens de rognon, soit sans prépara- tion, soit en passant par l’aménagement d’une crête, selon une modalité unipolaire ou, le plus souvent, bipolaire. Le débitage des lames peut se faire à la percussion tendre mais ce n’est pas systématique. Une production de lames de petites dimensions à partir d’un nucléus bipolaire sur tranche d’éclat est également attestée. Le débitage lamellaire est égale- ment attesté, soit dans le cadre d’une production in- tégrée au débitage laminaire, soit à partir de nucléus sur tranche d’éclat (présence de lamelles à crête).

Le niveau le plus ancien (« Lower Complex » ou niveau III) a livré une production d’éclats selon diverses méthodes, un débitage laminaire à partir de nucléus volumétriques et une production de pointes Levallois (parfois intégrée au débitage laminaire dans une méthode proche de celle observée dans le Bohunicien).

Alternativement à une classification hypothé- tique dans le Bohunicien (Foltyn & Kozłowski, 2003), dont il ne présente pas la méthode de débitage particulière, on peut remarquer que l’ensemble de Dzierżysław I (couche inférieure), estimé vers 40.000 B.P., peut se comparer, d’une part, au « Moustéro-Levalloisien » à pointes foliacées par l’association de pièces bifaciales et de la méthode Levallois, et, d’autre part, aux industries laminaires telles qu’on vient de les décrire.

7. C

ONCLUSION

Une origine précise du LRJ n’est pas facile- ment déterminable. Les deux ensembles qui ont le plus souvent été considérés comme les sources di- rectes de ce complexe posent différents problèmes.

Dans le cas du trou de l’Abîme, les aspects « évolués » supposés sont, en fait, très peu marqués et cette industrie, qui comporte cependant une pointe foliacée bifaciale, ne sort pas réellement de la variabilité du Moustérien récent du bassin mosan. Il est donc difficile d’en faire une industrie particuliè- rement importante dans le développement du LRJ.

Dans le cas de « l’Altmühlien » de Mauern, le schéma évolutif graduel proposé par J. Kozłowski (depuis Mauern F vers Nietoperzowa couche 6, via Ranis 2) ne peut être considéré que comme hypothé- tique en raison de l’absence d’une chronologie pré- cise pour la couche F de Mauern (Interstade d’Hen- gelo ou plus ancien ?), ainsi qu’à cause des impréci- sions dans la définition du matériel appartenant ef- fectivement à la couche 6 de la grotte Nietoperzowa.

Ces propositions d’identification d’une ori- gine précise, créant des généalogies entre différents ensembles en dépit des imprécisions inhérentes aux données disponibles, n’est sans doute pas la manière la plus réaliste de penser le développement et la diffusion de nouveaux comportements techniques. Ce constat, qui pourrait paraître négatif, ne nous conduit cependant pas à refermer la question du développement du LRJ sans proposer de réponse. Plutôt qu’une recherche illusoire de « l’ensemble- source », il est sans doute plus approprié de considé- rer les données générales permettant de percevoir les tendances existantes au sein des différents « milieux techniques » précédant le LRJ.

Le fait que Ranis 2 soit l’ensemble LRJ le plus ancien et qu’on y trouve, plus que dans les au- tres sites, des pointes foliacées bifaciales typologi- quement similaires à celles de Mauern F et des au- tres ensembles apparentés, indique que le Blattspit- zengruppe, présent durant la première partie de l’OIS 3 en Allemagne (au Sud comme au Nord), est certainement un des milieux à partir duquel le LRJ s’est développé. S’ils partagent cette commune im- portance de la production de pointes foliacées bifa- ciales, il reste cependant à expliquer le développe- ment d’une technologie laminaire de type « Paléolithique supérieur », en particulier à partir de nucléus à deux plans de frappe opposés, et sa diffu- sion dans la plaine septentrionale de l’Europe, du Pays de Galles au Sud de la Pologne.

À cet égard, la présence, dans la région de Cracovie (Piekary IIa, Księcia Józefa), d’industries montrant la pratique d’un débitage laminaire volu- métrique, souvent bipolaire, parfois à la percussion

119 La transition du Paléolithique moyen au supérieur dans la plaine septentrionale de l’Europe

tendre, durant la première partie de l’OIS 3, est parti- culièrement intéressante. Si, comme pour les élé- ments foliacés bifaciaux, il serait simpliste de tracer une ligne évolutive directe entre ces industries lami- naires et le LRJ9, il est néanmoins intéressant de re-

marquer, dans le Nord de l’Europe centrale, la pré- existence des techniques utilisées dans le LRJ. Cette région où l’on trouve à la fois des industries à pièces foliacées (Blattspitzengruppe, « Moustéro- levalloisien à pointes foliacées » du Sud de la Polo- gne) et des industries laminaires apparaît comme un cadre favorable à l’émergence du LRJ.

Une fois cette technologie10 développée, elle se diffuse « rapidement » dans les différentes régions de la plaine septentrionale de l’Europe11. Son succès,

visible dans son extension géographique et chronolo- gique, peut s’expliquer par la présence, à la fin du Paléolithique moyen dans cette région, de différents « milieux techniques favorables » (Leroi-Gourhan, 1973 : 340-395). En effet, la pratique de l’aménage- ment bifacial, notamment pour la fabrication de pointes foliacées, est présente dans toutes les indus- tries précédant le LRJ, qu’il s’agisse, comme on vient de le rappeler, de la Pologne et du Nord de l’Allemagne mais aussi du bassin mosan avec, entre autres, les ensembles du trou de l’Abîme et du Moustérien récent de Spy et de Goyet, ou de la Grande-Bretagne avec le Moustérien à bifaces « bout coupé ».

Un autre facteur qui peut avoir influencé la diffusion du LRJ est son adéquation à l’environne- ment interpléniglaciaire de la plaine septentrionale de l’Europe. La corrélation entre le développement des pointes foliacées paléolithiques et les milieux ouverts et froids a déjà été soulignée (Dolukhanov et al., 1980 ; Kozłowski, 1995 : 96-97). Elle pourrait trouver un parallèle dans d’autres contextes environ-

9 D’autant plus que, par le module des lames produites et par

leur position chronologique, ces industries pourraient être rappro- chées de l’ensemble à pièces à dos « Zwierzyniecien » (de Kra- ków-Zwierzyniec ; Kozłowski, 2000c ; Sitlivy et al., 2007). 10 C’est-à-dire un débitage laminaire bipolaire, de type

« Paléolithique supérieur » (volumétrique, impliquant des crêtes et une percussion tendre), produisant des lames relativement massi- ves dont certaines sont utilisées comme support de pointes de Jerzmanowice (aménagées par une retouche plate bifaciale par- tielle).

11 Il a été proposé récemment (Stapert, 2007) que la diffusion

des pointes de Jerzmanowice à travers la plaine septentrionale de l’Europe soit la conséquence d’un mouvement de populations néandertaliennes poussées vers le Nord-Ouest par l’arrivée de l’homme anatomiquement moderne en Europe centrale. Cette hypothèse, si elle peut paraître séduisante, nous semble cependant basée sur peu de données : les régions du Nord-Ouest ne sont pas désertes au moment où se développe le LRJ (la diffusion d’une idée technique, plutôt que d’une population, étant alors également probable) et les bouleversements consécutifs à une hypothétique arrivée de l’homme moderne à cette période sont difficilement décelables archéologiquement (cf. infra Discussion).

nementaux similaires. Ainsi, a-t-il été remarqué que les San et les Tyua du Kalahari préfèrent, en particu- lier dans les zones ouvertes, chasser les animaux de grande taille à l’aide de sagaies (plutôt qu’avec des flèches empoisonnées). Les sagaies, le plus souvent non lancées, provoquent une blessure plus directe- ment mortelle que les flèches, elles empêchent ainsi la fuite de l’animal dans cet espace très ouvert, ce qui est avantageux en raison de la présence des hyè- nes qui vont rapidement repérer l’animal blessé (Hitchcock & Bleed, 1997 : 354-355). Ce milieu ouvert évoque l’environnement interpléniglaciaire de la plaine septentrionale de l’Europe, en particu- lier de la Grande-Bretagne, où la « cohabitation » de l’hyène et de l’homme est bien attestée (p. ex., à Glaston, cf. supra).

Expliquer le développement du LRJ comme une simple conséquence de l’adaptation à l’environ- nement serait naïf sur le plan théorique (Stoczkowski, 1994) et réducteur sur le plan fac- tuel ; néanmoins, l’association de ce milieu naturel, qui rend avantageuse l’utilisation de telles pointes de sagaie, et de l’existence de milieux culturels fa- vorables à un tel développement, peut expliquer le succès de ce complexe technoculturel12.

Une fois le passage à des pointes de sagaie réalisées sur lames enclenché, le débitage laminaire devient prépondérant puisque, s’il fournit les sup- ports pour les pointes de Jerzmanowice, il peut éga- lement procurer les supports du reste de l’outillage (soit, directement, sous la forme de lames, soit, indi- rectement, sous la forme d’éclats, sous-produits du débitage laminaire). Ce processus de basculement dans les modalités de production des supports à la suite du développement d’un nouveau type d’arma- ture a été proposé pour d’autres périodes (passage du Magdalénien supérieur à l’Azilien : Pélegrin, 2000 ; du MTA type B au Châtelperronien : Péle- grin, 1995 ; développement de l’Aurignacien : Bon, 2006).

Les causes et les modalités du passage des industries du Paléolithique moyen récent de la plaine septentrionale de l’Europe au LRJ restent donc assez floues ; on ne bénéficie pas, dans cette zone, de la richesse de données qui permettent, par exemple, de décrire la transition du MTA type B au Châtelperronien (Pélegrin, 1995 : 260-269 ; Soressi, 2002 : 277-284). Cependant, il est clair que ce déve- loppement ne s’explique pas par l’influence de l’Aurignacien, plus tardif dans le Nord de l’Europe, et qui n’apporte rien, en tout cas en matière de débitage laminaire, aux différents procédés

12 Soulignons, cependant, qu’a priori les pointes de Jerzmano-

wice ne sont pas plus efficaces que les pointes moustériennes, les pointes Levallois ou les pointes foliacées bifaciales de la période précédente.

technologiques utilisés par les populations du Paléo- lithique moyen récent de cette région ; le débitage laminaire volumétrique étant présent entre 60 et 40.000 B.P. dans le Nord de l’Europe centrale (Piekary IIa, Księcia Józefa) et les modalités de pro- duction laminaire du LRJ étant très différentes de celles de l’Aurignacien.

S’il y a un changement sur le plan technologi- que, lié au développement d’un nouveau type d’ar- mature, il semble, cependant, ne pas être corrélatif d’autres modifications comportementales. Dès le Paléolithique moyen récent, on trouve, en Grande- Bretagne (White & Jacobi, 2002), comme dans le Blattspitzengruppe allemand (Bolus, 2004), une oc- cupation du territoire similaire à celle du LRJ : exis- tence d’ensembles réduits, en grotte ou en plein air, correspondant probablement à des activités cynégéti- ques et trahissant une importante mobilité. Rappe- lons que l’environnement et la faune sont également équivalents. Une modification apparaît cependant en ce qui concerne l’approvisionnement en matière pre- mière. Alors que des roches de moindre qualité (quartzite, chert) étaient encore fréquemment utili- sées au Paléolithique moyen récent (p. ex., dans les sites des Creswell Crags, comme Robin Hood Cave ou Pin Hole, et dans les sites des Mendip Hills, comme Hyeana Den et Uphill Quarry), elles sont nettement plus rares dans les ensembles LRJ, ce qui est logique puisqu’elles conviennent peu à une pro- duction laminaire. Néanmoins, ce changement n’est pas radical, le silex allochtone étant déjà utilisé au

Paléolithique moyen récent (p. ex., biface de Hyea- na Den, Moustérien du trou du Diable et du trou de l’Abîme) et les roches moins favorables continuant à être employées dans certains ensembles LRJ (p. ex., à Paviland ; Swainston, 2000 : 100, 102).

En résumé, à partir d’un point d’origine in- connu, et qu’il serait illusoire de vouloir identifier étant donné la résolution de nos données, mais qui se place très probablement dans les différents mi- lieux technoculturels de la fin du Paléolithique moyen du Nord de l’Europe centrale où l’on ren- contre à la fois la production de pointes foliacées et le débitage de lames à partir de nucléus volumétri- ques, la production d’armatures basée sur l’applica- tion d’une retouche bifaciale plate à des supports laminaires (pointes de Jerzmanowice) s’est répan- due dans la plaine septentrionale de l’Europe aux environs de l’Interstade d’Hengelo, diffusion facili- tée par l’existence de milieux culturels favorables et, éventuellement, par un avantage adaptatif dans le cadre environnemental de l’Interpléniglaciaire. La propagation a également pu être favorisée par la mobilité des groupes et par l’aspect particulièrement attrayant des pointes foliacées (Oliva, 1985a). En même temps que se diffusent ces pointes, se répand également la technologie nécessaire à leur produc- tion, provoquant le basculement d’industries de type « Paléolithique moyen », où le débitage d’éclats reste prépondérant, vers une technologie de type « Paléolithique supérieur » dominée par les lames.

121 La transition du Paléolithique moyen au supérieur dans la plaine septentrionale de l’Europe

Discussion

Anthropologica et Præhistorica, 119, 2008, 121-135

1. I

NTRODUCTION

On peut reconnaître, dans la plaine septentrio- nale de l’Europe, grosso modo à partir de 38.000 B.P., la présence d’une d’industrie caractérisée par des pointes foliacées réalisées sur lame selon une technologie de type « Paléolithique supérieur », indé- pendante d’autres groupes plus ou moins contempo- rains, que ce soit l’Aurignacien, le Szélétien ou le Bohunicien, et qui trouve son origine dans le cadre du Paléolithique moyen récent local.

Si on replace cela dans le cadre de la transi- tion du Paléolithique moyen au Paléolithique supé- rieur, on peut interpréter les données selon différen- tes conceptions. On pourrait considérer que le déve- loppement d’un débitage laminaire volumétrique, ainsi que la présence de grattoirs et de burins et d’un type de pointe servant de fossile directeur (notion d’imposed form ; Mellars, 1991 : 63), permettent de classer le LRJ dans le Paléolithique supérieur.

Dans ce cas, on pourrait accréditer l’idée que ce dernier résulte d’une évolution locale graduelle, en parallèle, par exemple, aux propositions de G. Clark et de J. Lindly (1989) pour le Châtelperronien.

À l’inverse, on pourrait plutôt insister sur les éléments dont l’absence ou le très faible développe- ment (débitage lamellaire, parure et figuration, outils en matière osseuse) empêchent de considérer le LRJ comme appartenant réellement au Paléolithique su- périeur qui n’apparaît alors dans la région concernée, comme dans le reste de l’Europe, qu’avec la rupture apportée par l’Aurignacien, lié à l’expansion de l’homme moderne, comme d’autres chercheurs le proposent (p. ex., Mellars, 2005).

On voit donc que, même après avoir établi avec plus de fermeté les données et la distinction des industries, on n’a pas pour autant de solution claire au problème complexe de la transition du Paléolithi- que moyen au Paléolithique supérieur.

La réponse apportée à cette question varie en fonction des (pré)conceptions de chaque chercheur (Clark & Lindly, 1991), il est donc important d’ex- pliciter la manière dont on conçoit le Paléolithique supérieur et les causes de son développement. Cela oblige à sortir du cadre limité des industries étudiées dans ce travail pour s’aventurer dans des considéra- tions plus générales, propices aux erreurs et aux sim- plifications. Cependant, une approche détaillée d’une industrie comme le LRJ ne prend son sens que si elle est replacée dans le cadre de problématiques plus larges.

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