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Les origines du LRJ

2. L A G RANDE B RETAGNE

2.1. Les ensembles datés de l’Interpléniglaciaire Dans les îles Britanniques, il n’y a non seule- ment aucune trace d’occupation humaine qui pour- rait être attribuée à l’OIS 4 (Currant & Jacobi, 2002), mais ce hiatus s’est probablement établi dès l’OIS 6 et a perduré pendant l’OIS 5, en raison de l’alternance entre des phases glaciaires, rendant le climat de cette région particulièrement rigoureux, et des phases interglaciaires durant lesquelles la Grande-Bretagne était coupée du continent par la montée des eaux (Ashton & Lewis, 2002).

Une « recolonisation » des îles Britanniques a lieu durant la première partie de l’OIS 3, comme l’indiquent différents ensembles qui ont pu être da- tés.

Un site de plein air stratifié ayant livré une industrie moustérienne, comprenant de nombreux bifaces, associée à des restes animaux dans un pa- léochenal, a récemment été découverte à Lynford Quarry (Norfolk ; Boismier 2003 ; Schreve, 2006)1.

Les datations OSL du dépôt contenant ces restes ont donné 64.000 ± 5.000 B.P. et 67.000 ± 5.000 B.P. Un dépôt sus-jacent a été daté, par la même mé- thode, à 55.000 ± 4.000 B.P. Cette datation au début de l’OIS 3 est cohérente avec la faune caractéristi- que d’une « steppe à mammouth » (mammouth, renne, cheval, hyène, rhinocéros laineux, etc.) et les autres données paléoenvironnementales (palynologie, paléoentomologie, malacofaune). La présence de cet ensemble dans le Norfolk, dès le début du stade isotopique 3, indique la rapidité du repeuplement de la plaine septentrionale après la désertion du stade 4.

Les autres sites datés, en grotte et fouillés anciennement, n’offrent pas de données aussi préci- ses. Cependant, la révision récente des contextes géologiques et la sélection rigoureuse d’échantillons a permis d’obtenir des données chronologiques confirmant la place de ces industries moustériennes dans la première partie de l’OIS 3.

À Coygan Cave (Sud du Pays de Galles), un maigre ensemble (trois bifaces et deux éclats) se place entre 64.000 ± 2.000 B.P. (datation U-series sur un plancher stalagmitique sous-jacent) et 38.684 +2.713/-2.024 B.P. (BM-449), résultat obtenu sur un

fragment de bois de cerf non modifié provenant de la même couche que les pièces et considéré comme un âge minimum pour le dépôt (Aldhouse-Green et al., 1995 ; White & Jacobi, 2002 : 114).

À Hyaena Den, les artefacts rattachés au Pa- léolithique moyen, découverts lors des fouilles du XIXe siècle, proviennent d’une couche dont des osse- ments non modifiés ont été datés de 45.100 ± 1.000 B.P. (OxA-13915, dent de cerf) et 48.600 ± 1.000 B.P. (OxA-13917) (Jacobi et al. 2006), une incisive de cerf portant des traces de découpe a reçu une date de 40.400 ± 1.600 B.P. (OxA-4782) (Jacobi, 2000). Ces résultats sont cohérents avec la datation du ni- veau sous-jacent, archéologiquement stérile, et qui sert de terminus post quem à l’occupation mousté- rienne, 52.700 ± 2.000 B.P. (OxA-13914) (Jacobi et al., 2006).

Des résultats similaires sont disponibles pour une couche dont provient au moins une partie des pièces moustériennes découvertes lors des anciennes fouilles à Pin Hole. Une datation à >52.800 B.P. (OxA-12736), sur une dent d’hyène issue de dépôts sous-jacents aux artefacts, sert de terminus post quem pour ceux-ci. Des ossements provenant des mêmes dépôts que les artefacts ont donné deux dates finies, 45.300 ± 1.000 B.P. (OxA-12771) et 47.300 ± 1.200 B.P. (OxA-12772), sur ossements de renne (Jacobi et al., 2006).

À Robin Hood Cave, un plancher stalagmiti- que, servant de terminus post quem pour la mise en place des dépôts contenant le Paléolithique moyen, a été daté vers 64.000 B.P. (Jacobi & Grün, 2003). Un fragment de bois de renne, correspondant, lui, à un terminus ante quem pour les mêmes couches, se place à 37.760 ± 340 B.P. (OxA-11980). Les data- tions ESR sur des dents de la faune accompagnant les artefacts moustériens, entre 38 et 50.000 B.P., sont cohérentes avec cette fourchette chronologique. Cela a, en outre, été confirmé par de nouvelles data- tions 14C avec ultrafiltration pour des ossements pro-

venant des mêmes dépôts (avec des résultats allant jusqu’à 58.800 ± 3.700 B.P. (OxA-11979) ; Jacobi et al., 2006).

L’âge des pièces moustériennes provenant de la Cave Earth de Kent’s Cavern est également flou en raison de l’imprécision des fouilles (cf. supra). Cependant, pour des raisons géologiques, ce dépôt n’est pas plus ancien que 74.000 B.P. et la faune correspond au cortège habituel de la « steppe à mam- mouth » interpléniglaciaire, un âge similaire à celui des autres ensembles moustériens précédents est donc très probable (White & Jacobi, 2002 : 115). Une position chronologique dans l’OIS 3, sur base de la faune associée ou de la nature des dépôts, est également avancée pour d’autres ensembles (Rhinoceros Hole, Picken’s Hole, Little Paxton, Sno-

dland, Fisherton, Aston Mills, Beckford, Church Hole, etc. ; Currant & Jacobi, 2002 ; White & Jaco- bi, 2002 ; Lang & Keen, 2005 : 77-78).

2.2. Description des ensembles

Le plus souvent, il s’agit d’ensembles réduits ne comprenant que quelques pièces. Un des traits les plus marquants des industries de la fin du Paléolithi- que moyen britannique est la présence d’un type particulier de biface appelé « bout coupé handaxe ». Il est défini de manière plus ou moins stricte selon les auteurs, ce qui n’est pas sans influence sur la signification chrono-culturelle qu’on peut lui accor- der.

Si on s’en tient à une définition stricte du type (Tyldesley, 1987 : 155), 75 bifaces « bout cou- pé » sont présents en Grande-Bretagne, la plupart proviennent de récoles anciennes ou correspondent à des découvertes de surface isolées. Ceux pour les- quels il existe un contexte stratigraphique bien éta- bli, qu’il s’agisse des formes les plus typiques ou des formes simplement apparentées, correspondent presque tous à l’Interpléniglaciaire (Middle Deven- sian ; White & Jacobi, 2002 : 128). Ils sont notam- ment présents dans les sites sus-mentionnés de Coygan Cave, Kent’s Cavern et Lynford Quarry. On les retrouve dans d’autres grottes, comme à Rhino- ceros Hole (Proctor et al., 1996) et, aussi, dans des dépôts fluviatiles et argileux en plein air. Le fait qu’il s’agisse souvent de découvertes isolées laisse penser à une mobilité importante de ce type de bi- face (White & Jacobi, 2002 : 127).

Le biface « bout coupé » ne se retrouve ce- pendant pas dans tous les ensembles rattachés au Paléolithique moyen récent. Par exemple, il est ab- sent de Pin Hole, Robin Hood Cave Uphill Quarry ou Hyeana Den, sites dans lesquels on trouve plutôt des petits bifaces cordiformes et triangulaires (Jacobi, 2000 ; Mellars, 1974 : 62-65), qui ont par- fois été classés de manière erronée comme pointes foliacées bifaciales.

Le reste de l’outillage de ces industries du Paléolithique moyen récent comprend les types moustériens habituels (pointes moustériennes, ra- cloirs, denticulés, encoches). La production de sup- ports est principalement basée sur un débitage d’é- clats à partir de nucléus discoïdes, la technologie Levallois étant peu représentée durant cette période (McNabb, n.d. : 18-22).

En raison de la présence de ces bifaces qui s’approchent des formes sub-triangulaires et cordi- formes, les industries de la fin du Paléolithique moyen britannique ont le plus souvent été classées dans le Moustérien de Tradition Acheuléenne (Mellars, 1974 : 62-64 ; Aldhouse-Green, 1998 :

109 La transition du Paléolithique moyen au supérieur dans la plaine septentrionale de l’Europe

142 ; Aldhouse-Green et al., 1995 : 76-77 ; White & Jacobi, 2002 : 126-128 ; Boismier, 2003 : 321 ; McNabb, n.d. : 19 ; ApSimon, 1986).

Cependant, ces ensembles ne sont pas stricte- ment similaires au MTA « classique », contempo- rain, dans le Sud de la France. Il n’y a pas de bifaces triangulaires typiques du MTA dans les sites britan- niques et pas de bifaces « bout coupé » dans le MTA continental daté de l’OIS 3. On peut, en outre, souli- gner l’absence de MTA à cette période dans le Nord de la France (cf. infra) ; les ensembles de cette ré- gion qui se rapportent à ce complexe étant plus an- ciens (stades 5d à 5a ; Locht & Antoine, 2001 : 129 ; Cliquet et al., 2001 : 123-124 ; Soressi, 2002 : 6-10, 257). Les sites paléolithiques moyens belges datant de l’Interpléniglaciaire n’en présentent pas non plus (cf. infra).

Si on peut dire qu’il s’agit d’un « Moustérien de tradition acheuléenne », c’est au sens littéral de l’expression, c’est-à-dire une industrie moustérienne dont les bifaces, symétriques, s’inscrivent dans la sphère culturelle acheuléenne, par opposition à la sphère culturelle micoquienne (Otte, 2001b), mais il ne s’agit cependant pas d’un MTA correspondant à celui qu’on trouve à la même période dans le Sud- Ouest et le Centre de la France. Pour éviter les confusions et pour ne pas masquer la diversité tech- noculturelle de cette période, il serait peut-être plus simple de décrire les industries britanniques de la première partie de l’OIS 3 comme un Moustérien à bifaces (en l’occurrence marqué par le type particu- lier « bout coupé »).

Après le hiatus d’occupation allant de l’OIS 6 jusqu’à la fin de l’OIS 4, il y a donc eu une recoloni- sation des îles Britanniques par des groupes mousté- riens dès le début de l’OIS 3 (ca. 60.000 B.P., Lyn- ford Quarry). Les industries moustériennes de cette période sont marquées par la présence de bifaces, parfois d’un type particulier (« bout coupé ») qui ne se retrouve pratiquement que dans cette région et à cette période. Il s’agit, dans d’autres cas, simplement de bifaces cordiformes, de petites dimensions. La variabilité (biface « bout coupé » ou cordiforme, débitage discoïde ou Levallois) de ce Moustérien récent à bifaces de Grande-Bretagne peut être, éven- tuellement, mise en rapport avec la disponibilité et la qualité des matières premières (p. ex. absence de silex local pour les sites des Creswell Crags et des Mendip Hills ; McNabb n.d. : 21-22). Il n’y a pas de traces de débitage laminaire. Ce Moustérien a sou- vent été rapproché du MTA, mais si ce dernier en est une source potentielle (Jöris, 2003 : 111), il n’en est pas strictement similaire.