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Les groupes technoculturels 1 Les industries « transitionnelles »

Les origines du LRJ

P ALÉOLITHIQUE SUPÉRIEUR EN E UROPE

3.1. Les groupes technoculturels 1 Les industries « transitionnelles »

Parmi les industries dont l’origine au sein du Paléolithique moyen récent est généralement accep- tée, on peut mentionner :

− le LRJ, relié aux industries à Blattspitzen (cf. supra) ;

− le Châtelperronien, relié au MTA de type B (Pélegrin, 1995 ; Soressi, 2002) ;

− l’Uluzzien, relié au Moustérien récent italien sur base d’aspects technologiques et typologi- ques (Mussi, 2001 : 204). Cependant, l’indus- trie du niveau V de la grotte Klisoura (Argolide, Grèce) a été rapprochée de ce com- plexe et est plus ancienne que les ensembles italiens (une datation vers 40.000 B.P. ; Koz- łowski, 2000c : 251) ;

− récemment, une industrie qu’on peut considé- rer comme s’intégrant dans cette catégorie des industries transitionnelles a été définie dans le bassin rhodanien, s’insérant donc géographi- quement entre le Châtelperronien et l’Uluz- zien, et dénommée Néronien (Slimak, 2008). Cette industrie présente un débitage laminaire et lamellaire ainsi qu’un type particulier de pointes de petites dimensions (pointes de Soyons). Stratigraphiquement, elle est située entre le Moustérien, dont elle serait issue par une évolution propre, et le Proto-Aurignacien,

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sauf à la grotte Mandrin où elle est surmontée par un niveau moustérien final. La datation du niveau néronien de cette grotte (couche 6) a livré un résultat de 33.300 ± 230 B.P. (Lyon- 2755-OxA, sur os).

− le Szélétien, relié à la sphère du Micoquien d’Europe centrale ou à d’autres industries à pièces bifaciales du Paléolithique moyen récent (Oliva, 1979 ; Ringer, 1989 ; Allsworth-Jones, 1986, 2004 ; cf. supra) ;

− le Streletskyen, dont l’origine n’est pas fixée avec précision mais dont l’émergence dans le contexte du Paléolithique moyen récent est très probable, comme l’indiquent ses différentes sources potentielles : les industries « micoquiennes » de Crimée (Ak-Kaya, Zaska- lanya ; Anikovich, 1999), les niveaux inférieurs de Biriuchya Balka (Matioukhine, 1998 ; Otte et al. 2006 ; observation personnelle du maté- riel) et l’industrie des niveaux inférieurs de Nepryakhino (sur la Volga ; Zakharikov, 2002). L’industrie de Buran Kaya III couche C (Marks, 1998) n’est pas strictement similaire au Streletskyen mais s’en rapproche et est considé- rée comme faisant partie de la même sphère culturelle ;

− on peut également mentionner le Zwierzynie- cien mais qui n’est représenté que par quelques artefacts (industrie laminaire comprenant des pièces à dos, notamment des segments de cer- cle) dans un seul site (Kraków-Zwierzyniec couche 12, relié hypothétiquement à l’Inters- tade d’Hengelo, en tout cas avant 35.000 B.P.). De même que le Naskalien de Piekary IIa cou- che 6 (vers 31.000 B.P.), il pourrait être issu du Paléolithique moyen récent à débitage lami- naire du Sud de la Pologne (Kozłowski 2000c : 251-257 ; Valladas et al., 2003 ; Sitlivy et al., 2007).

− enfin, des industries laminaires, avec un outil- lage de type paléolithique supérieur et incluant parfois des pointes foliacées bifaciales, datées vers 39.000 B.P., à Korolevo II/II, Korolevo I/ Ia et Sokirnitsa IA/3 et dont l’origine serait locale (Korolevo I/IIb ; Monigal et al., 2006).

L’expression « industrie transitionnelle » peut être comprise de différentes manières. Elle est par- fois utilisée pour signifier que l’industrie lithique se caractérise par un mélange plus ou moins équilibré de traits « Paléolithique supérieur » ou « évolués » (lames, grattoirs, burins) et « Paléolithique moyen » ou « archaïques » (éclats, racloirs, denticulés). Pour le LRJ, comme on l’a vu, la technologie et la typologie n’indiquent pas cette forme de coexistence entre les deux composantes (cf. supra). Cette faiblesse des aspects lithiques « archaïques » a également été observée pour le Châ- telperronien (Pélegrin, 1995 ; Rigaud, 2000). Dans d’autres cas, comme celui de l’Uluzzien (Mussi,

2001 : 169) ou du Szélétien (cf. supra), l’aspect moustérien peut être plus marqué. Ici, l’expression « industrie transitionnelle » signifie simplement qu’une origine dans le Paléolithique moyen local est proposée et non qu’il s’agisse d’un stade évolutif intermédiaire.

3.1.2. Les industries d’origine externe supposée

D’autres industries sont plutôt perçues comme ayant une origine externe à l’Europe, même s’il n’y a pas de véritable consensus sur cette ques- tion. Les deux complexes les plus souvent présentés comme tels sont l’Aurignacien et le Bohunicien.

L’Aurignacien a le plus souvent été reconnu comme très différent du Paléolithique moyen local et donc considéré comme intrusif dans les différen- tes régions d’Europe (e.a. Broglio, 2000 ; Conard & Bolus, 2003 ; Djindjian et al., 2003 ; Otte & Koz- łowski, 2003). D’autres chercheurs ont décrit des phénomènes de transitions graduelles entre le Mous- térien récent et l’Aurignacien mais, qu’il s’agisse de la séquence du Castillo (Cabrera et al., 2001) ou du trou Magrite (Straus & Otte, 1996), ces hypothèses sont faiblement étayées (pour le Castillo : Zilhão & d’Errico, 2003 : 317-326 ; pour le trou Magrite : cf. supra).

La révision récente de diverses industries a conduit à une conception renouvelée de la problé- matique des origines de l’Aurignacien. D’une part, l’industrie de la couche 11 de Bacho Kiro, qui jouait auparavant un rôle primordial dans la question de l’origine de l’Aurignacien, n’est plus rapportée à ce complexe (Tsanova & Bordes, 2003 ; Kozłowski, 2004 : 270-271 ; Teyssandier, 2006). D’autre part, deux composantes différentes sont clairement recon- nues lors des phases les plus anciennes de l’Auri- gnacien européen (Bon, 2002 ; Teyssandier, 2006) : − le Proto-Aurignacien caractérisé par une pro-

duction de grandes lamelles à tendance rectili- gne produites à partir de nucléus prismatiques, parfois intégrées à la production laminaire, avec peu d’artefacts osseux et une parure es- sentiellement faite de coquillages perforés ; − l’Aurignacien ancien (= Aurignacien I) où la

production lamellaire sur pièces carénées (lamelles courbes de dimensions plus restrein- tes) est dissociée de la production laminaire ; il se caractérise également par la présence de sagaies à base fendue.

Le rapport entre ces deux industries n’est pas encore clairement compris (Bon, 2006). Le Proto- Aurignacien est essentiellement présent dans les régions méridionales (Nord de l’Espagne, Pyrénées, Aquitaine, Méditerranée occidentale) ainsi qu’en Europe centrale (Krems), dans les Balkans (Kozarnika couche VII, et éventuellement à Tînco-

va ; Tsanova, 2006 ; Hahn, 1977) et en Crimée (Siuren I niveaux G-H ; Demidenko & Otte, 2000- 2001). Quand ces deux composantes sont découver- tes dans une même séquence stratigraphique, le Pro- to-Aurignacien est toujours sous-jacent à l’Aurigna- cien ancien3, ce qui laisse entrevoir, outre les simili-

tudes typologiques (lamelle Dufour), une évolution du premier vers le second. Cependant, si on consi- dère les données de l’ensemble du continent et, en particulier, les datations radiocarbones, les deux complexes semblent parallèles plus que successifs. Le Proto-Aurignacien a reçu des datations variées, entre 39 et 37.000 B.P. pour le niveau H de L’Arbre- da (mais ces dates sont parfois contestées : Djindjian et al., 2003 : 38 ; Zilhão & d’Errico, 1999a : 21), entre 39 et 36.000 B.P. à Kozarnika (Tsanova, 2006), entre 36 et 34.000 B.P. à Isturitz, entre 34 et 32.000 B.P. à Fumane (Broglio et al., 2005), voire entre 31 et 27.000 B.P. à Siuren I (Demidenko & Otte, 2000- 2001). Les plus vieux ensembles de l’Aurignacien ancien ne sont pas plus récents, en particulier si on prend en compte les données de la vallée du Danube et du Jura souabe.

Ainsi, l’ensemble aurignacien le plus ancien est-il, dans l’état actuel des données, celui de la cou- che 3 de Willendorf II dont les datations radiométri- ques sur charbons, 38.880 +1.500/-1.200 B.P. (GrN- 17805) et 37.930 ± 750 B.P. (GrA-896), sont en ac- cord avec l’étude stratigraphique indiquant l’oscilla- tion de Schwallenbach I (Haesaerts & Teyssandier, 2003 ; Nigst, 2006). La datation la plus pertinente pour l’occupation aurignacienne du niveau III de Geissenklösterle semble être celle de 36.560 +410/- 390 B.P. (KIA-16032) (AMS sur os avec traces d’ac- tion humaine ; Verpoorte, 2005). Des datations TL sur silex brûlé pour le même niveau ont livré un ré- sultat moyen de 40.200 ± 1.500 B.P., ce qui n’est pas incohérent avec la datation 14C non calibrée (Conard

et al., 2003). Une datation 14C vers 36.000 B.P. est

également disponible pour l’Aurignacien de Senften- berg (Nigst, 2006).

Que l’on considère qu’il s’agisse de deux stades successifs d’un même complexe en transfor- mation ou de deux phénomènes n’ayant absolument aucun rapport l’un avec l’autre (Onoratini, 2005 ; Mellars, 2006b), une origine externe est souvent pro- posée. En particulier, les similitudes entre le Proto- Aurignacien et l’Ahmarien du Proche-Orient ont été soulignées (Bar-Yosef, 2003 ; Teyssandier, 2006 ; Zilhão, 2006c ; Mellars, 2006b) appuyant l’idée d’une diffusion de l’homme moderne depuis ces ré- gions.

3 Le Piage (Bordes, 2006), Isturitz (Normand et al., 2007),Labe-

ko Koba, Cueva Morín et L’Arbreda (Zilhão, 2006b), Les Pê- cheurs, Esquicho Grapaou, Riparo Mochi et grotte de l’Observa- toire (Slimak et al., 2007).

Une autre hypothèse propose l’origine de l’Aurignacien européen dans les industries « baradostiennes » du Zagros (Otte & Kozłowski, 2004, 2007). Ces industries présentent, en effet, de très nettes similitudes typologiques et technologi- ques à la fois avec le Proto-Aurignacien et l’Auri- gnacien ancien (Otte et al., 2007 ; Bordes & Shi- drang, sous presse). Cependant, la datation fiable la plus ancienne obtenue actuellement à la grotte Yaf- teh (la base des dépôts n’étant pas encore atteinte) indique un âge de 35.450 ± 600 B.P. (Beta-205844, sur charbon) et n’est donc pas plus ancienne que l’Aurignacien européen. En outre, il faudrait déceler une route de diffusion depuis le Moyen-Orient vers la vallée du Danube et/ou la Méditerranée, ce qui n’est pas encore le cas dans l’état actuel des don- nées, l’Aurignacien d’Anatolie, du Caucase et de la plaine russe étant à la fois rare et plus récent (Kozłowski & Otte, 2000 ; Sinitsyn, 2003a ; Demi- denko, 2000-2001).

La présence d’un véritable Aurignacien dans les régions plus orientales d’Asie centrale, en Afg- hanistan (niveau III de Kara-Kamar), en Ouzbékis- tan (Samarkandskaya ; Otte, 2004), ainsi que dans l’Altaï (Denisova, Anuy II ; Otte & Derevianko, 2001), semble moins bien établie (Vishnyatsky, 2004 ; Derevianko et al., 2003, travaux en cours de N. Zwyns) ; d’autant plus que des industries à débi- tage lamellaire sur pièces carénées, différentes de l’Aurignacien, sont présentes dans ces régions du- rant le Paléolithique supérieur (Krivoshapkin et al., 2005 ; Flas et al., 2007).

La question des origines de l’Aurignacien est donc plus discutée que jamais. Les rapports entre l’Ahmarien et le Proto-Aurignacien et ceux entre ce dernier, l’Aurignacien ancien et les différents subs- trats locaux, comme le Châtelperronien (Bordes, 2006 ; Le Brun-Ricalens & Bordes, 2007), restent des points à éclaircir. Dans ce contexte, un nouveau paradigme proposant une origine du Proto- Aurignacien dans l’Ahmarien, corrélative d’une diffusion de l’homme moderne, apparaît prématurée (Le Brun-Ricalens et al., sous presse ; Zwyns et al., 2008).

L’idée selon laquelle le Bohunicien aurait un lien avec certaines industries du Paléolithique supé- rieur ancien du Proche-Orient avait été proposée par K. Valoch (1972). Récemment, cette théorie a reçu une attention accrue (Bar-Yosef & Svoboda, 2003 ; Svoboda, 2004 ; Kozłowski, 2004) à la suite des travaux de G. Tostevin (2000, 2003) qui soutient l’idée d’une origine du Bohunicien dans les indus- tries émiréennes du Proche-Orient, comme celles de Boker Tachtit et de Kebara, en se basant sur une analyse par attribut des caractères des nucléus et des produits de débitage de ces différentes industries. En effet, une proximité dans les procédés de débitage,

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fusionnant des aspects du débitage Levallois et du débitage laminaire de type « Paléolithique supé- rieur » se retrouve dans ces diverses industries (Škrdla, 2003b). En outre, certains éléments typolo- giques et technologiques d’industries des Balkans, comme Temnata et Bacho Kiro (Kozłowki, 2004, 2005), indiqueraient la voie suivie par cet « Émiréo- Bohunicien » depuis le Proche-Orient vers la Mora- vie.

Cependant, il faut souligner plusieurs points qui affaiblissent cette hypothèse. Si le Bohunicien présente une technologie similaire à celle de ces in- dustries du Proche-Orient, il comprend également des pointes foliacées bifaciales (cf. supra) qui le dé- marquent des autres ensembles. Si G. Tostevin (2000) a bien montré que le Bohunicien ne présente aucun élément de continuité avec le Micoquien de la grotte Kulna, d’autres industries de la fin du Paléoli- thique moyen d’Europe centrale seraient à examiner en tant que sources potentielles du Bohuni- cien (Monigal et al., 2006). D’autres ensembles pré- sentant une même association de pointes foliacées bifaciales et de technologie Levallois (Allsworth- Jones, 1986 : 132-144 ; Kozłowski, 1995 : 94-95 ; Kozłowski & Otte, 1990 : 541-542) : le Jankovi- chien, le Moustéro-Levalloisien à pièces bifaciales des Balkans (Samuilica, Muselievo ; Tsanova, 2006) et les industries similaires de Kraków-Zwierzyniec, pourraient également être réévaluées dans cette opti- que.

En outre, il est aussi intéressant de remarquer que, même si le Bohunicien, apparaissant dès 43- 40.000 B.P., correspond à une diffusion d’un techno- complexe depuis le Proche-Orient, il reste cependant limité à une petite partie de l’Europe centrale (Tchéquie, Ukraine ?).

L’hypothèse selon laquelle ce complexe évo- lue ensuite vers l’Aurignacien (Kozłowski, 2004, 2005 ; Mellars, 2006b), via des niveaux transition- nels à Temnata (couche 4 secteur I) et Bacho Kiro, apparaît comme très peu convaincante au regard des données taphonomiques des niveaux concernés (Tsanova, 2006) et des quelques artefacts qui appuie- raient cette théorie.

D’autres industries apparaissent en rupture avec le contexte local. C’est le cas de Kostenki 14 (couche IVb et « horizon of hearts ») où un ensem- ble, réunissant un débitage laminaire et lamellaire, une industrie osseuse originale, ainsi que des élé- ments de parure et une possible figuration sculptée, est daté entre 34 et 37.000 B.P. (14C sur charbon). À

Kostenki 17 (couche II), ainsi qu’éventuellement à Kostenki 12-II, une industrie lithique dénommée « Spitsynien », également de type « Paléolithique supérieur » (lames, lamelles, grattoirs, burins) mais différente de la précédente, accompagnée d’éléments

de parure, est datée entre 32 et 37.000 B.P. (Sinitsyn, 2003b ; Anikovich, 2007). Cependant, l’absence de Paléolithique moyen dans cette région implique forcément cet aspect de rupture qui peut donc être trompeur.

Les mêmes remarques peuvent également s’appliquer à l’industrie de Zaozer’e (Oural), datée vers 32-31.000 B.P. et comprenant du matériel os- seux et de la parure (Pavlov, 2002), et qui ne peut être considérée comme de l’Aurignacien.

Notons qu’il a été proposé que toutes les industries transitionnelles (Châtelperronien, Uluz- zien, Bohunicien, etc.), à l’exception de celles pré- sentant une importance particulière des pièces bifa- ciales (LRJ, Szélétien, Strélétskyen), soient égale- ment l’œuvre de l’homme moderne en provenance du Proche-Orient (Bar-Yosef, 2006). Aucune don- née paléontologique ne confirmant cette corrélation, au contraire (cf. infra), il s’agit là du simple retour à une équation entre industries de type « paléolithique supérieur » et homme anatomiquement moderne, dont on a déjà souligné les incohérences.