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Discussion des facteurs favorisant ou contraignant l’adoption technologique à l’échelle des exploitations

1. Adoption technologique en Tunisie

1.3. La pluri activité : moyen de capitalisation dans la technologie

1.3.1. La pluri activité, un facteur structurel de soutien de l’agriculture tunisienne

La pluriactivité a toujours joué un rôle important dans la dynamique de l’agriculture tunisienne bien que son rôle est varié en fonction de l’environnement économique et social dans le secteur rural comme à l’extérieur. Dès 1961/62, une enquête réalisée avec l’appui de la FAO met en évidence un taux de pluriactivité de près de 49%. Ceci est bien sûr à mettre en relation avec le contexte politique et économique des années 60-70 qui était largement défavorable au secteur agricole (dynamique urbaine, collectivisation dans l’agriculture). Une large enquête conduite en 1994-95 auprès de 471000 exploitations confirme le maintien de la pluriactivité dont le taux est estimé à 43.2%, avec un taux maximum de 50% pour les exploitations de moins de 5 ha (qui représentent 53% de la population) et un taux voisin de 18.5% pour les exploitations de plus de 50 ha (qui représentent 3% de la population). L’enquête agricole de 1980 souligne une certaine disparité régionale puisque la taux de pluriactivité serait de 46.6% dans le Centre et Sud contre 36.2% dans les régions du Nord (Enquête Agricole de Base 1980, cité par Elloumi, 1993). D’après Elloumi (1993), ceci est à mettre en relation avec le taux

d’occupation dans l’agriculture3 et le degré d’industrialisation (qui a été le plus élevé dans le Centre

Est et le Sud).

Elloumi (1993, 2004) distingue 3 grands types de pluriactivité :

(i) la pluri activité de survie, pour assurer la reproduction simple de l’exploitation et du ménage et qui concerne la majorité des micro-exploitations.

(ii) la pluri activité d’appui qui permet une reproduction élargie et une certaine accumulation

(iii) la pluriactivité de diversification ou de placement qui permet d’investir dans et hors l’agriculture. Aujourd’hui, l’agriculture tunisienne n’emploie que 20% de la population active totale et 50% de la population active rurale. A la différence du reste du pays, les régions du centre Ouest (Kasserine, Sidi Bourizd, Kairouan) ont connu un taux d’industrialisation très faible. Et l’emploi agricole représente plus de 46% de l’emploi total, avec une population rurale de plus de 77% dans le gouvernorat de Sidi Bouzid. Aussi dans ce gouvernorat, la vie économique, notamment pour les jeunes sans emploi, reste polarisée sur les villes plus lointaines telles que Sfax, le Sahel de Sousse, Gabés voire Tunis. Ainsi dans la communauté de Zoghmar (Gouvernorat de Sidi Bouzid), 71% des ménages enquêtés (sur 316 enquêtes) déclarent avoir une source de revenu extérieur avec un revenu moyen de 1000 DT par an et par ménage. Les deux tiers de la main d’œuvre familiale sont employés à l’extérieur avec des écarts selon le type d’exploitation. Par exemple, ce taux varie de 72% chez les agro pasteurs (Type EA1, Chap 2) à 32% chez les grandes exploitations avec irrigation (EI3). Et la part du revenu extérieur rétrocédée à la famille en milieu rural est de 44% chez les petits éleveurs (EA3), contre uniquement 24% chez les grands agro pasteurs (EA1). Dès lors on voit bien que la pluri activité ne joue pas le même rôle selon le type d’exploitation.

Par le biais du modèle, on se propose de tester différentes hypothèses dont :

(i) Le rôle de la pluri activité dans la régulation des aléas climatique. On suppose trois scénarii : - Scénario W1 : On suppose 3 bonnes années de 2003 à 2006

- Scénario W2 : On suppose 3 mauvaises années de 2003 à 2006

- Scénario W1 : On suppose 3 mauvaises années de 2003 à 2006 avec un emploi extérieur limité (ii) L’influence des conditions de rémunération des activités extérieures sur la reproduction des exploitations et le niveau d’intensification sachant que dans la situation de référence le salaire de base est de 200 DT par mois, ce qui correspond à la rémunération d’un journalier ouvrier. On suppose trois scénarii :

- Scénario WA1 : On suppose un salaire extérieur moyen de 300 DT/mois

- Scénario WA2 : On suppose un salaire extérieur moyen de 300 DT/mois avec une réduction du temps de travail agricole

3On aurait un taux d’occupation de 100 heures par an par exploitation dans les régions du Centre Est, contre 190 heures au Nord Est

- Scénario WA3 : On suppose un salaire extérieur moyen de 400 DT/mois

(iii) L’impact d’une contraction des opportunités de travail extérieur liée en partie à la réduction du flux migratoire vers l’Europe et la stagnation des investissements dans le pays. On suppose 2 scénarii : - Scénario WL1: Réduction des opportunités de travail à 75% de la main d’œuvre familiale active - Scénario WL2: Réduction des opportunités de travail à 50% de la main d’œuvre familiale active

1.3.2. Résultats

1) La pluri activité comme amortisseur de l’aléa climatique

Les résultats dans le Tableau 20 confirment le rôle important de la pluri activité comme moyen de

passer une succession de mauvaises années. On peut voir qu’une réduction de l’emploi extérieur de 50% entraîne une plus forte décapitalisation (de plus de 8% au niveau communautaire) avec des écarts notables entre exploitations. La sensibilité à une réduction de l’emploi extérieur est étonnement la plus forte pour les exploitations bénéficiant d’une parcelle en irrigué. Le taux de décapitalisation pour EI1 et EI2 augmente de 25 à 30% avec une réduction de trésorerie de plus de 20%. En fait dans ces exploitations, l’activité extérieure constitue un moyen important de financement des activités agricoles que ce soit les activités culturales en irrigué ou les activités d’élevage comme l’engraissement. En effet, l’engraissement a connu le plus grand développement chez les exploitations bénéficiant de l’irrigation car il faut toujours un capital de départ important. On peut noter qu’avec la réduction de l’emploi extérieur, on a une réduction de 37 à 13 animaux engraissés pour EI1 et de 12 à 1 pour EI2. Par contre, on peut noter que les effets d’un emploi limité sont moins importants chez les gros agro pasteurs dont la main d’œuvre familiale a un taux d’occupation important sur l’exploitation. Ceci montrerait que, pour un certain niveau de capitalisation en animaux, on aurait une meilleure valorisation de la main d’oeuvre familiale agricole sur l’exploitation. Ceci inciterait à favoriser le développement de l’élevage sur le modèle d’exploitations possédant une certaine taille en terme de nombre de reproductrices?

Tableau 20: Variation du cheptel et de la trésoserie pour différents scénarii de conditions climatiques (en % d'écart par rapport à la situation de référence)

Cheptel Trésorerie W1 W2 W3 W1 W2 W3 3 bonnes années 3 mauvaises années 3 mauvaises années+ emploi limité 3 bonnes années 3 mauvaises années 3 mauvaises années+ emploi limité EA1 14.89 -18.14 -21.18 -4.60 0.30 5.70 EA2 5.04 -32.28 -51.14 7.67 -10.94 -8.21 EA3 7.10 -22.12 -27.47 5.70 -11.22 -25.85 EI1 69.10 -20.02 -46.48 10.44 -22.35 -44.18 EI2 4.28 -27.90 -62.97 2.90 -2.08 -28.05 EI3 42.26 -61.75 -63.17 17.16 -1.13 -12.11 commune 10.83 -26.17 -34.86 5.98 -9.59 -20.13

Pour les différents scénarii, on note de faibles changements techniques au niveau des systèmes de production. Simplement, en bonnes années, les exploitations (EI2) ne s’adonnent pas à la plantation de cactus inerme en alley cropping. On note donc que cette technologie trouve plus d’échos les années difficiles.

2) Les conditions de rémunération extérieure sur l’activité agricole

Dans leTableau 21, on peut noter que l’augmentation des revenus extérieurs favorise l’activité animale

dans les zones semi arides. Donc c’est bien l’activité où les profits sur investissement sont les plus élevés. Cependant, on observe des effets contrastés selon le type d’exploitation.

Tout d’abord, on peut noter que, pour un salaire extérieur moyen de 300 DT par mois, une réduction du taux d’emploi extérieur favorise la capitalisation dans les exploitations bénéficiant d’une parcelle en irrigué alors qu’on enregistre une légère réduction pour EA3 et EA1 et une stagnation pour EA2. Parallèlement, on note une augmentation du sous emploi dans les petites exploitations en sec (de 24% pour EA3 et 57% pour EA2) et une réduction pour EI3 et EI1, de 6 à 9% respectivement. A partir de ces résultats on peut retrouver le rôle de la pluri activité pour chaque type d’exploitation.

Pour les exploitations EA1, l’impact d’un changement de salaire est faible car ces exploitations ont un taux d’activité agricole le plus élevé au regard de la main d’œuvre familiale active. Ceci tient en partie à l’activité d’élevage qui demande plus de travail sur l’année que les activités agricoles en sec.

Pour les exploitations EA2 et EA3, la réduction de l’emploi extérieur freine la capitalisation et on a une forte augmentation de l’inactivité. Dans ces exploitations, la pluri activité occupe un rôle essentiel pour assurer la reproduction de l’exploitation, voire la reproduction élargie lorsque les revenus extérieurs augmentent. Dès lors une réduction de l’emploi extérieur peut mettre en péril leur viabilité. Pour les exploitations EI1, la pluri activité joue essentiellement un rôle de placement. D’ailleurs une augmentation des salaires permet de capitaliser dans l’activité d’élevage mais aussi d’épargner puisque le taux d’épargne augment de 10 à 19% dès qu’on augmente le salaire extérieur.

Pour les exploitations EI3, la présence d’une activité culturale en irrigué permet à ces dernières d’entamer un léger processus d’accumulation dès que les revenus extérieur augmentent. On note aussi une augmentation de l’épargne de 3% et 8%, respectivement pour un salaire extérieur de 300 et 400 DT/mois, par rapport au salaire de base de 200 DT/mois.

Les exploitations EI2 réagissent différemment du fait de la contrainte de travail familial sur l’exploitation. L’emploi extérieur semble plus intéressant que l’activité animale. Simplement si on a une réduction de l’emploi extérieur, ces exploitations vont investir dans l’activité animale voir réaliser un peu d’épargne (l’épargne augmente de 2 à 7%).

Tableau 21: variation du cheptel reproduction et de la trésorerie pour différents niveaux de salaire extérieur (en % d'écart par rapport au scénario de référence)

Cheptel Trésorerie

WA1 WA2 WA3 WA1 WA2 WA3

salaire 300 DT/mois salaire 300 DT/mois + emploi limité salaire 400 DT/mois salaire 300 DT/mois salaire 300 DT/mois + emploi limité salaire 400 DT/mois EA1 5.00 3.33 7.41 -0.31 4.10 1.54 EA2 19.41 21.55 39.35 5.29 5.72 10.56 EA3 13.02 12.87 28.43 13.80 13.68 26.97 EI1 20.47 69.86 55.20 3.80 10.31 5.43 EI2 1.92 23.82 5.48 2.84 5.43 4.76 EI3 16.03 47.18 32.64 -4.23 0.39 -2.21 Commune 13.45 17.40 28.72 9.57 10.42 19.22

2) Les conditions de disponibilité de travail extérieur sur l’activité agricole

Le Tableau 22 montre comment une réduction du taux d’emploi dans les secteurs industriels ou de services (tourisme) peut affecter à la fois le revenu des ménages ruraux, mais aussi l’offre agricole. On enregistre un niveau de décapitalisation de 5.8% avec une réduction de 25% de l’emploi et de 17% pour une réduction de 50% de l’emploi. En moyenne, on a une décapitalisation par exploitation de 45 à 18%, à l’exception des exploitations EA1 et EI3. Pour les agro pasteurs (EA1), le faible taux de pluriactivité en temps normal fait que l’activité agricole se finance essentiellement par elle même. Donc ces exploitations sont moins dépendantes de la conjoncture économique extérieure. Pour les exploitations EI3, l’activité animale est fortement dépendante du financement extérieur ce qui explique un fort taux de décapitalisation (comparable au niveau de réduction de l’emploi).

Tableau 22: variation du cheptel reproduction et de la trésorerie pour différents nniveaux d'emploi extérieur (en % d'écart par rapport à la situation de référence)

Cheptel Trésorerie WL1 WL2 WL1 WL2 Réduction travail 50% Réduction travail 75% Réduction travail 50% Réduction travail 75% EA1 -0.23 0.00 -0.33 0.00 EA2 -18.01 -7.91 -4.31 -1.74 EA3 -15.75 -4.65 -11.33 -6.06 EI1 -18.24 -18.24 0.50 0.29 EI2 -18.26 -8.64 -3.11 -4.47 EI3 -45.23 -12.87 9.88 4.96 commune -16.96 -5.80 -7.44 -3.99 1.3.3. Discussion

On peut dire que les résultats du modèle confirment en partie les hypothèses sur le rôle joué par la pluri activité dans les exploitations des zones semi arides. On retrouve notamment les différents rôles joués selon la structure des exploitations et le degré de capitalisation, comme son rôle tampon durant les périodes climatiques sévères.

Par contre, on peut noter de faibles changements techniques pour les différents scénarii, si ce n’est le niveau d’engraissement pour le groupe des exploitations en irrigué et le degré de capitalisation en stock reproducteur (brebis) pour l’ensemble des exploitations.