• Aucun résultat trouvé

Plan sur le sens et l’efficacité des peines – mars 2018

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a pris connaissance avec intérêt du plan sur le sens et l’efficacité des peines présentées par le Président de la République le 6 mars 2018. Le fait qu’un Président de la République s’empare ainsi de la question des prisons et affirme la nécessité du respect des droits des personnes détenues en tant que citoyens doit être salué.

L’ambition de redonner du sens à la peine et une partie des mesures annoncées pour y parvenir sont dans la lignée des recommandations du contrôle général. Les courtes peines sont inutiles et nocives, tant pour la personne condamnée que pour la société.

L’emprisonnement doit cesser d’être la peine de référence. Les autres peines ne doivent plus être conçues comme des alternatives mais comme des réponses pénales autonomes.

Elles doivent être fortement développées.

Le Président de la République a rappelé que l’emprisonnement ne dure qu’un temps, que ce temps doit être utile, dans un lieu où la dignité des personnes doit être respectée.

Les activités, essentielles à la prévention de la récidive et à la réinsertion, doivent être développées et enrichies. Le contrôle général s’est félicité de la volonté de rendre effectif le droit de vote en prison et de contractualiser la relation de travail en milieu pénitenti-aire, la rapprochant ainsi du monde extérieur.

La Contrôleure générale considère cependant que la construction en nombre de nouvelles places de prison est une mauvaise solution et une fuite en avant. La réaffectation

1. Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlement par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république, en conclusion des travaux d’une mission d’information relative au régime des fouilles en détention et présenté par MM. Xavier Breton et Dimitri Houbron, députés, le 8 octobre 2018.

de crédits à la rénovation du parc existant est cependant une bonne nouvelle, mais cette mesure, plusieurs fois annoncée dans le passé, est le plus souvent restée insuffisante, comme en témoigne l’état actuel des prisons.

Le projet de loi de programmation pluriannuelle de la justice, encore en débat au Parlement à la date de rédaction du présent rapport, s’avère de fait en retrait par rapport aux orientations données par le Président de la République. On peine à y trouver une cohérence globale qui s’inscrirait dans la lignée du discours du 6 mars 2018.

L’objectif de lutter contre la surpopulation carcérale ne figure pas expressément dans l’exposé des motifs, même si l’idée d’éviter de prononcer des peines d’emprisonnement ferme qui se révèlent injustifiées ou inefficaces pour lutter contre la récidive est réaf-firmée. Cette idée se matérialise cependant plus par des pétitions de principe que par des mesures contraignantes. On peut dès lors douter de l’efficacité en termes de réduc-tion de la popularéduc-tion carcérale des disposiréduc-tions relatives à la modificaréduc-tion de l’échelle des peines et des procédures d’aménagement des peines. Cet effet dépendra très large-ment de la façon dont les juridictions se saisiront de la nouvelle peine de détention à domicile sous surveillance électronique et de l’injonction qui leur est faite d’aménager les peines ab initio.

Enfin, il faut souligner que le projet de loi ne comporte aucune modification de la procédure de comparution immédiate, ni aucune disposition importante visant à limiter la détention provisoire. Il ne comporte pas plus de dispositions relatives à l’expérimentation de la régulation carcérale, pourtant évoquée par le Président de la République.

Il crée la nouvelle peine de détention à domicile sous surveillance électronique, qui peut être prononcée pour une durée comprise entre quinze jours et un an. Il fusionne opportunément la contrainte pénale, le sursis mise à l’épreuve et le sursis travail d’in-térêt général dans une peine de « sursis probatoire ». Il rétablit, également de manière très opportune, la possibilité d’intervention du SPIP sur les enquêtes de personnalité pré-sentencielles et étend ces enquêtes à toute procédure dans laquelle il existe des réqui-sitions de placement en détention provisoire, quand la peine encourue est inférieure à cinq ans.

L’article 132-19 du code pénal, qui concerne le prononcé des peines d’emprisonne-ment, est remanié : les peines d’emprisonnement inférieures ou égales à un mois sont supprimées, mais cela ne concerne que 200 personnes ; pour les peines inférieures à six mois, le principe posé est celui de l’aménagement de peine ab initio, par la juridic-tion de jugement, « sauf impossibilité résultant de la personnalité ou la situajuridic-tion du condamné » ; pour les peines comprises entre six mois et un an, le principe est égale-ment l’aménageégale-ment de peine ab initio, « si la personnalité et la situation du condamné

le permettent, et sauf impossibilité matérielle », restrictions dont le caractère imprécis risque bien de rendre la portée de l’exception plus grande que celle du principe.

L’article 723-15 du CPP, qui concerne l’aménagement des peines des personnes non incarcérées, est modifié pour supprimer la possibilité d’aménager les peines comprises entre un et deux ans. C’est très regrettable sachant que cela concerne plusieurs milliers de personnes.

Il est à craindre que cette loi n’entraîne pas de baisse de la surpopulation carcérale, bien au contraire : le programme de création de 15 000 places de prison est d’ores et déjà décidé, et le moratoire sur l’encellulement individuel est reporté à 2022. Pour-tant, la construction de nouvelles places de prison ne constituera jamais à elle seule une réponse satisfaisante au problème de la surpopulation carcérale. Depuis vingt-cinq ans, ce sont près de 30 000 nouvelles places de prison qui ont été créées et pourtant la surpopulation carcérale n’a jamais été aussi importante.

On voit, dans certaines juridictions, qu’un dialogue constructif entre l’autorité judiciaire et les responsables pénitentiaires permet une gestion à la marge des situations individuelles, en avançant un aménagement ou une fin de peine ou en reportant une incarcération, ce qui limite efficacement la surpopulation carcérale. Ces initiatives, heureuses et discrètes, n’ont aucun impact financier, mais leur effet bénéfique est considérable. En effet, la lutte contre la surpopulation carcérale n’est pas une question exclusivement pénitentiaire et doit devenir une véritable politique publique impliquant l’ensemble de la chaîne pénale.

Les débats, à l’occasion du dépôt d’amendements proposant la création d’un numerus clausus inspiré d’un rapport parlementaire 1 réalisé au cours de la précédente législature, ont montré de la part du rapporteur du projet de loi comme de celle du Gouvernement, une crainte du caractère automatique de la mesure ainsi que celle d’une application des peines différente d’un lieu à l’autre pour des raisons qui ne seraient liées ni à l’acte sanctionné ni au comportement de la personne détenue, mais simplement au contexte de surpopulation carcérale. Il a été par ailleurs considéré qu’une telle mesure, difficile à mettre en œuvre de manière identique et systématique sur tout le territoire, pouvait faire l’objet de dispositifs réglementaires plus souples, voire de mesure d’incitation.

Ces arguments ne semblent cependant pas très convaincants. Le CGLPL rappelle que pour sa part il ne recommande pas de numerus clausus automatique mais la créa-tion de commissions réunissant l’autorité judiciaire et l’administracréa-tion pénitentiaire pour examiner au cas par cas les mesures de gestion des incarcérations et d’aménage-ment des peines qu’il est possible de prendre pour limiter la surpopulation carcérale. Par ailleurs, la volonté de respecter une politique d’aménagement des peines homogène sur

1. Rapport du 28 mai 2014 sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, par M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale.

tout le territoire de la République est certes louable, mais ne correspond pas à la réalité : la succession des visites du CGLPL dans les établissements pénitentiaires montre en effet que les politiques d’aménagement sont nécessairement variables en fonction de la personnalité des juges ou encore des jurisprudences locales. Le CGLPL ne peut que rappeler qu’il considère comme particulièrement fâcheux que des peines puissent être prononcées et mises à exécution sans considération des conditions dans lesquelles elles seront effectuées.

Documents relatifs