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L’année 2018 a été marquée dans les établissements pénitentiaires par un mouvement social de grande ampleur à la suite de l’agression de quatre surveillants par une personne détenue au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil. Dans un contexte de saturation générale des capacités pénitentiaires qui contraint les surveillants à effectuer, avec un rythme de travail effréné, un nombre de tâches que leur temps de service ne permet pas d’absorber, l’insécurité vécue par le personnel de surveillance est réelle.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a démontré avec constance l’attention qu’il porte au rôle du personnel dans la prise en charge des personnes privées de liberté, indissociable du respect des droits fondamentaux de ces dernières : le respect des droits fondamentaux en prison est « tributaire des conditions de travail des person-nels 1 ». Il a également souligné que « les conditions de prise en charge des personnes privées de liberté sont les mêmes que les conditions de travail des professionnels et la satisfaction de leurs droits est un facteur essentiel de la sérénité de la prise en charge et donc, finalement de la sécurité des établissements 2 ».

Durant le mouvement social, 115 des 188 établissements pénitentiaires ont connu des périodes de fonctionnement en mode dégradé. Les droits fondamentaux des personnes détenues ont connu de nombreuses atteintes qui ont fait l’objet de saisines de leur part, de la part de leurs familles ou de celle de leurs avocats. En conséquence, la Contrôleure 1. Avis du 17 juin 2011 relatif à la supervision des personnels de surveillance et de sécurité

2. Rapport thématique relatif au personnel des lieux de privation de liberté, Dalloz, 2017

générale des lieux de privation de liberté a interrogé la garde des sceaux sur les conséquents concrètes de ce mouvement social sur les droits des personnes détenues1.

Cette saisine souligne que, durant les quinze jours de mouvement social, les condi-tions de détention se sont dégradées dans tous les aspects de la prise en charge. Il a été porté atteinte à l’accès aux soins, notamment pour les arrivants, et à la continuité des soins, en particulier par des entraves à l’entrée des médecins et soignants ou à la distribution de médicaments.

Les conditions d’hygiène se sont dégradées. L’accès aux douches a été réduit ou suspendu, la distribution des produits d’hygiène a été interrompue et les services de nettoyage du linge ou d’enlèvement des ordures ont été perturbés.

Les éléments structurants de la vie quotidienne des détenus ont été perturbés, qu’il s’agisse de la distribution des repas qui a été assurée a minima, des livraisons de cantines qui ont été suspendues, de l’accès aux activités et au travail qui a été interrompu, ce qui a eu pour conséquence de réduire le nombre des heures travaillées, c’est-à-dire les ressources des personnes détenues. En raison des blocages, les activités d’enseigne-ment ont dû être suspendues. Les promenades n’ont pas eu lieu ; de même, les activités physiques et socio-culturelles, les cultes, l’accès à la bibliothèque n’ont plus été proposés dans plusieurs établissements en raison de l’absence de personnel pour assurer les mouvements et la surveillance. Ainsi, dans de nombreux établissements, les personnes détenues sont restées confinées en cellule pendant toute la durée du mouvement, sans possibilité de sortir. Dans un établissement, les activités extérieures ont été annulées pendant trois semaines après la fin du mouvement social.

Le maintien des liens extérieurs a été perturbé, tant les relations familiales que les échanges avec les avocats ou les associations. On a constaté l’annulation de parloirs ou la suppression des accès programmés aux unités de vie familiale. Ces mesures n’ont pas été annoncées aux familles, alors que certaines venaient de loin. Un établissement a pris la précaution de faire une telle annonce pour éviter les déplacements inutiles.

Ce modèle est à imiter.

La distribution des courriers ainsi que l’accès au téléphone ont été restreints ce qui, au-delà de la question essentielle des liens familiaux, interroge la possibilité d’exercer des recours, notamment sur les conditions de détention, durant une période de grève.

Des procédures judiciaires ont été entravées. Des tentatives d’empêchement d’ex-tractions judiciaires ont été signalées dans plusieurs établissements. Le déroulement des procédures d’application des peines a connu des difficultés telles que l’annulation de commissions d’application des peines ou d’entretiens avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation, ou encore l’annulation de permissions de sortir. Le CGLPL

1. Lettre du 5 avril 2018.

a également été informé d’une libération intervenue avec deux jours de retard et de l’annulation d’une libération conditionnelle programmée de longue date en vue d’une expulsion du territoire français.

Au vu de ces éléments, il a été demandé à la garde des sceaux de préciser quelles ont été les modalités d’évaluation de la situation des établissements pénitentiaires pendant le mouvement, et les mesures d’information mises en place à destination des personnes concernées, ainsi que de faire connaître les mesures prises pour garantir le respect des droits fondamentaux des personnes incarcérées. Il lui a également été demandé de présenter les mesures prises ou envisagées, pour corriger les conséquences de ces dysfonctionnements dans la prise en charge des personnes détenues et d’indiquer le nombre de contentieux engagés sur le fondement des conditions de détention pendant la période de la mobilisation syndicale, et les suites juridiques de ces recours. Enfin, la ministre a été interrogée sur une éventuelle réflexion en cours à propos des mesures à envisager pour assurer un fonctionnement de la détention respectueux des droits fondamentaux des personnes détenues lors de tels événements.

Ce courrier n’avait pas reçu de réponse à la date de la rédaction du présent rapport.

Pour sortir de la crise, un accord sur des mesures à court terme a été signé avec un syndicat : des augmentations de l’effectif du personnel pénitentiaire irréalistes et pour-tant insuffisantes ont été décidées dans l’espoir qu’elles aboutiront en quatre ans, alors que l’on peine dès à présent à recruter sur les emplois existants ; des mesures indemni-taires ont été accordées, mais, même si elles sont légitimes, elles ne procureront ni force de travail supplémentaire ni sécurité nouvelle. Feignant de considérer que les droits des personnes détenues s’opposent à la sécurité des surveillants, les signataires envisagent de réduire les premiers pour se donner l’illusion d’accroître la seconde : l’élargissement des critères de fouille corporelle, dont le régime, institué en 2009, est depuis lors conti-nûment contesté, donnerait cette illusion. On y reviendra. Des structures spécialisées pour les détenus radicalisés ont été annoncées. De nouvelles structures sont en train de se mettre en place et feront l’objet d’une attention soutenue de la part du CGLPL.

Néanmoins, les causes structurelles qui ont conduit au mécontentement demeurent.

Pour cette raison, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a dès la fin du conflit rappelé publiquement1 la nécessité de traiter le mal à la racine en mettant en œuvre une politique de désinflation carcérale.

L’état des prisons, mis en lumière par la crise, met en danger les surveillants comme les personnes détenues, mais aussi la société. Depuis vingt ans l’inflation carcérale semble être une fatalité alors qu’elle ne résulte ni de l’accroissement de la population ni de celui de la criminalité. Partout, le personnel et les moyens manquent et souvent, la politique carcérale n’atteint pas le premier de ses objectifs, la réinsertion et les résultats

1. « Crise des prisons : sortir de l’impasse », tribune publiée dans le journal Le Monde du 29 janvier 2018.

qui en découlent pour la sécurité des Français. La construction annoncée de 15 000 places de prison est un message fâcheux. Destinée à produire ses effets en quinze ans, elle ne peut résoudre les difficultés actuelles : elle n’est donc que le signal de la priorité donnée au carcéral. Or dès à présent, elle force à réduire les moyens consacrés à l’entre-tien du parc existant et aux mesures alternatives à l’incarcération dont le Président de la République avait pourtant rappelé l’importance.

Pour parvenir à une réelle désinflation carcérale, la Contrôleure générale préconise de renoncer à l’incarcération des personnes atteintes de graves troubles mentaux ou de celles qui sont condamnées à des très courtes peines.

Constatant que l’administration pénitentiaire, en bout de chaîne pénale se trouve contrainte d’incarcérer tous ceux qui lui sont confiés, le CGLPL recommande la mise en place d’un mécanisme de régulation carcérale faisant porter la responsabilité de la gestion de la population pénale à l’ensemble de la chaîne pénale.

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