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2. Les établissements de santé mentale en 2018

2.5 Les libertés du quotidien

L’attention du CGLPL se porte au quotidien sur l’effectivité des droits et des libertés, notamment sur celle des droits et libertés les plus simples, ceux qui, pour tout un chacun, marquent la vie de tous les jours et auxquels il arrive de ne plus penser tellement leur

1. Conseil d’État, 20 novembre 2009, Préfet de Police.

exercice est naturel. Pour des personnes privées de liberté il faut être vigilant à chacun de ces droits et libertés, car la situation de dépendance dans laquelle elles sont placées peut les en priver de manière quasi-invisible, sans que l’on y accorde plus d’attention que lorsque les personnes libres les exercent.

Les visites du CGLPL en 2018 ont mis en lumière trois de ces libertés du quotidien : la liberté d’aller et venir, le libre choix des vêtements et la libre pratique de la sexualité.

Avant d’en présenter une analyse, il faut ici rappeler un principe simple : si la loi autorise les autorités administratives ou hospitalières à prononcer une décision de place-ment en soins sans consenteplace-ment, elle ne permet aucune autre restriction de liberté liée à cette mesure. Ainsi, rien ne permet de penser qu’un patient en soins sans consente-ment doive ipso facto être privé d’aucune autre liberté, même celle d’aller et venir. S’il fait l’objet d’une décision d’isolement, cela doit être en raison de son état clinique, non sur la base d’une décision administrative ou d’une mesure d’organisation. Si sa liberté d’aller et venir est restreinte, cela ne peut être que sur le fondement d’une décision médicale liée à son état, de même si on lui impose le port de vêtements spéciaux. Enfin, si la libre pratique de la sexualité est restreinte, cela ne peut être que sur un fondement médical lié à l’état clinique ou en considération de questions de décence publique qui ne sont pas différentes pour un patient en soins sans consentement de ce qu’elles sont pour toute personne.

Précisons aussi ce que sont les caractéristiques d’une décision médicale liée à l’état clinique. Il s’agit d’une décision prise à la suite d’un entretien particulier d’un médecin avec un patient, dans le respect des normes médicales. Elle est nécessairement indivi-duelle et ne peut prendre en compte aucune considération externe, notamment d’orga-nisation. Liée par nature à un état évolutif, la décision médicale doit être régulièrement réévaluée. Tirons enfin les conclusions de cette logique : il ne peut exister de décision médicale permanente, collective ou stéréotypée.

2.5.1 La liberté d’aller et venir

Cette liberté que, comme on l’a dit, la décision de soins sans consentement ne limite pas en elle-même, fait l’objet de restrictions dans la plupart des établissements. Dans les cas les plus graves, les unités sont fermées et cette fermeture s’impose à tous les patients, y compris en soins libres ; dans d’autres cas, certaines unités sont ouvertes, mais des patients en soins libres peuvent être aussi placés en unités fermées. Il arrive aussi que, les unités accueillant les patients en soins libres étant en principe ouvertes, on les ferme lorsqu’il faut accueillir un patient admis en soins sans consentement. Il arrive enfin et c’est fréquent, que les patients en soins sans consentement soient systématiquement placés en unités fermées. Il est aussi des cas où l’accès à un espace extérieur, pourtant clos, est soumis à une autorisation préalable, voire conditionné à la disponibilité d’un soignant.

Dans un établissement, un pôle ne possède aucune unité fermée, tandis qu’un autre ne possède aucune unité ouverte, alors même qu’ils reçoivent une population globale-ment identique. La culture de l’enfermeglobale-ment est parfois si forte que, dans un hôpital où la Haute autorité de santé a émis des réserves concernant la fermeture systématique des services, il a été décidé de doter de badges les patients autorisés à sortir ; mais en réalité la remise de ce badge est soumise à l’accord du médecin, accord qui reste exceptionnel dans certaines unités.

Les causes de ces situations sont diverses : quelquefois on invoque l’habitude, ailleurs la préoccupation de sécurité est constante et s’exprime très clairement et expressément par la peur de chacun qu’on lui fasse porter la responsabilité d’un incident (fugue).

Même si ces mesures sont très inégalement contraignantes, rappelons ici que toutes sont d’une manière ou d’une autre abusives : seuls peuvent être placés en services fermés des patients dont l’état clinique le justifie et seulement pendant la période nécessaire.

Rien du reste n’interdit, comme le font certains hôpitaux visités en 2018, de poser une interdiction de sortir dans le cadre d’un contrat de soins, sans que l’on estime pour autant nécessaire de fermer les portes, de la même manière qu’une interdiction de téléphoner à certaines heures peut être justifiée sans que pour autant on confisque systématiquement les téléphones.

2.5.2 Le libre choix de ses vêtements

Le port obligatoire d’un pyjama semble être une contrainte d’un autre âge ; il n’est pour-tant pas rare, même si cela ne concerne pas la majorité des établissements, que l’on croise des patients ainsi vêtus. Le fait même que cette pratique soit minoritaire suffit à la disqualifier. Pourtant on l’observe même dans des établissements globalement bienveil-lants. Quelquefois c’est parce que le sujet n’a pas donné lieu à réflexion et dès lors lorsque le CGLPL demande pourquoi des patients sont ainsi vêtus, les soignants s’étonnent de la question et ne peuvent se référer qu’à l’habitude ou fournissent des réponses évasives :

« ils manquent de vêtements propres » ou « l’été ils préfèrent cela ». Dans certains établis-sements le port du pyjama est quasi-systématique pour les patients en soins sans consen-tement, au moins les premiers jours de l’admission. C’est une manière de les identifier, en d’autres termes on pourrait dire de les stigmatiser. Enfin, dans un établissement très ouvert, les contrôleurs ont finalement compris après quelques jours de présence que le port obligatoire du pyjama était une sorte de compensation à l’ouverture de principe des chambres et des unités, c’est-à-dire une forme « non immobilière » d’enfermement.

Le CGLPL rappelle que le port obligatoire du pyjama ne peut résulter d’une mesure générale, mais seulement d’une décision médicale, c’est-à-dire prise personnellement par un médecin après examen d’un patient, individualisée et régulièrement révisée.

2.5.3 La libre pratique de la sexualité

La liberté d’avoir de relations sexuelles est une question complexe dans la mesure où elle doit tenir compte de règles relatives à la vie en collectivité ainsi que de la vulnérabilité propre du patient concerné et de celle des autres, ainsi que des pathologies particulières qui peuvent conduire à des comportements inadaptés. Si la cour administrative d’appel de Bordeaux a pu décider qu’une interdiction générale et absolue était abusive, aucune indication n’existe quant à ce que seraient des règles adaptées relatives à la sexualité.

L’absence de règles et de réflexion est cependant source de difficultés : des patients confrontés à des actes sexuels ne savent comment réagir et parfois le font mal, les patients n’ayant pas de règles auxquelles se référer adoptent des comportements plus dangereux que s’ils en avaient, favorisant le développement d’une sexualité clandestine, cachée des regards et des protections.

Certains établissements ont saisi leur comité d’éthique de cette question ; d’autres s’abstiennent de toute réflexion.

Le CGLPL ne peut fixer des règles sur ce qu’il convient d’autoriser et d’interdire en matière de sexualité. En revanche, il ne peut que recommander que le sujet ne soit pas tabou et que dans chaque établissement, une réflexion du comité d’éthique définisse les interdits au regard de la situation locale, choisisse les mesures de protection nécessaires pour les patients et fournisse au personnel un cadre d’intervention sécurisant.

2.5.4 Le droit à l’intimité et à la sécurité

Il n’est pas rare de rencontrer des patients qui déplorent de ne pas pouvoir s’enfermer dans leur chambre ou à tout le moins, de ne pouvoir disposer d’un espace où conserver en sécurité leurs affaires personnelles. La question des peurs nocturnes, justifiées ou non par des événements récents est aussi évoquée.

Plusieurs établissements visités ont résolu cette difficulté en installant des « verrous de confort » qui permettent aux patients de se sentir en sécurité sans faire obstacle à l’accès des soignants. D’autres mettent des placards fermés à la disposition des patients, cette mesure, moins satisfaisante, offre tout de même une protection minimale des biens.

Le CGLPL recommande que des « verrous de confort » soient installés dans toutes les chambres des établissements de santé mentale et qu’à tout le moins des placards fermant à clé soient proposés.

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