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De nouveaux débats sur le régime des fouilles en détention

Le relevé de conclusions signé à la suite du mouvement social par la garde des sceaux et le principal syndicat de surveillants le 19 janvier 2018 prévoit les mesures suivantes, en tête d’une section relative à « la sécurité des agents » :

« Article 57 de la loi pénitentiaire et modification de la réglementation sur les fouilles inopinées

L’efficacité de l’article 57 de la loi pénitentiaire fera l’objet d’une évaluation parle­

mentaire dans le cadre de la commission des Lois de l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, la réglementation pénitentiaire sur les fouilles inopinées sera modifiée afin notamment de permettre aux surveillants d’effectuer de telles fouilles de cellule, en cas de suspicion légitime. »

Ce retour des fouilles dans l’actualité appelle de la part du CGLPL un nouveau rappel des constats effectués au cours de ses visites.

Rappelons tout d’abord le texte actuel de l’article 57 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire :

« Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues.

Lorsqu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’introduction au sein de l’établis­

sement pénitentiaire d’objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens, le chef d’établissement peut également ordonner des fouilles dans des lieux et pour une période de temps déterminés, indépendamment de

la personnalité des personnes détenues. Ces fouilles doivent être strictement nécessaires et proportionnées. Elles sont spécialement motivées et font l’objet d’un rapport circonstancié transmis au procureur de la République territorialement compétent et à la direction de l’administration pénitentiaire. 1

Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes.

Les investigations corporelles internes sont proscrites, sauf impératif spécialement motivé.

Elles ne peuvent alors être réalisées que par un médecin n’exerçant pas au sein de l’établisse­

ment pénitentiaire et requis à cet effet par l’autorité judiciaire. »

En pratique, l’application de ces dispositions est pour le moins incomplète. Dans un établissement, les fouilles intégrales à la sortie des parloirs sont très nombreuses et rarement motivées par écrit. Dans une maison centrale, dans le plus parfait respect de la procédure, certaines personnes détenues font l’objet de fouilles individuelles systé-matiques toujours renouvelées pendant de très longues années, sans que n’intervienne jamais de décision judiciaire sur cette pratique car la loi ne le prévoit pas. Dans le même établissement, on observe des fouilles de cellules destructrices et donnant lieu à un usage systématique de la force. Ailleurs, il est fait état de fouilles intégrales systéma-tiques (écrou, retour QSL, permission de sortie, extraction médicale…) non tracées, dans un autre établissement encore, un tiers de la population pénale est fouillé après les parloirs. Ailleurs enfin, les fouilles sont encore mises en œuvre comme sanction et sans traçabilité, ainsi qu’en atteste la formule « tu te calmes sinon demain, c’est la fouille » prononcée devant des membres du CGLPL par un surveillant qui n’y voyait rien d’anormal, en présence de collègues qui approuvaient. Dans le même établisse-ment, il existe une sorte de « tarif des fouilles » parfaitement connu de la population pénale : un mois pour telle raison, trois mois pour telle autre, de sorte que, le calen-drier des fouilles étant connu, celles-ci sont à la fois exceptionnellement nombreuses et spectaculairement infructueuses. Enfin, dans de nombreux établissements le CGLPL a recueilli des témoignages faisant état de gestes non professionnels pendant les fouilles et quelquefois de fouilles effectuées dans des locaux inadaptés.

L’application de l’alinéa 2 de l’article 57 de la loi pénitentiaire, opportunément cadrée par une circulaire de la direction de l’administration pénitentiaire 2, ne donne pas lieu à des mesures manifestement excessives en nombre, néanmoins, la procédure de contrôle prévue par la loi (une motivation montrant le caractère nécessaire et proportionné de la mesure ainsi qu’un rapport au parquet et à la hiérarchie) n’est pas toujours respectée et lorsqu’elle l’est, ne l’est que formellement.

1. Ce second alinéa a été ajouté au texte de 2009 par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 – art. 111.

2. Note du 2 août 2017 relative à l’application de l’alinéa 2 de l’article 57 de la loi pénitentiaire.

Les motivations des décisions de fouille intégrale sont vagues et passe-partout, les rapports au parquet sont pauvres et le contrôle du parquet inexistant. Le CGLPL recommande que des instructions soient données aux parquets pour l’exercice de ce contrôle.

Enfin, le CGLPL a eu au cours de l’année l’occasion d’examiner dans deux établis-sements le fonctionnement de portiques à ondes millimétriques (POM) utilisés systé-matiquement après les parloirs pour les personnes qui ne font pas l’objet d’une fouille intégrale. Ce dispositif est censé régler la question du respect de la dignité et de l’inti-mité de la personne. En réalité, la qualité des images et les possibilités de zoomer sont telles qu’aucun détail de l’anatomie de la personne « pommée » n’échappe à celui qui consulte l’écran. Dans ces conditions, de tels contrôles ne règlent pas, loin de là, la question du respect de l’intimité de la personne.

La règle selon laquelle toute personne qui refuse une fouille intégrale est soumise au POM aboutit à ce que chaque détenu qui va au parloir est tenu de subir, d’une manière ou d’une autre, une mesure attentatoire à son intimité. Il convient donc, compte tenu des performances de cet équipement, que les règles d’utilisation des portiques à ondes millimétriques soient précisées et limitées par un principe de nécessité et de proportionnalité au risque.

La Contrôleure générale de lieux de privation de liberté a été auditionnée 12 avril 2018 par la commission parlementaire chargée de l’évaluation de l’article 57 de la loi pénitentiaire. À cette occasion, elle a rappelé ses positions et les constats du CGLPL en la matière.

Le recours aux fouilles intégrales étant susceptible d’entraîner de graves atteintes aux droits fondamentaux des personnes détenues, il est regrettable que l’administra-tion pénitentiaire ne soit entrée qu’avec réticence dans une logique d’applical’administra-tion de la loi de 2009. Le CGLPL s’est par ailleurs opposé à la modification intervenue en 2016 qui élargit, de façon considérable et disproportionnée, la possibilité de procéder à des fouilles intégrales. Pourtant, aucune donnée significative ne permet de démontrer que l’instauration par la loi pénitentiaire d’un cadre restrictif de recours aux fouilles a eu pour conséquence d’augmenter l’introduction d’objets interdits en détention.

Le contrôle général des lieux de privation de liberté est régulièrement saisi sur ce sujet. Ainsi, au premier trimestre 2018, soixante-et-une lettres faisaient état de ces diffi-cultés, soit 6,20 % du courrier reçu sur cette période. Dans de multiples établissements visités, des fouilles systématiques sont toujours réalisées lors de nombreux événements motivés de manière vague et non tracées, contrairement aux prescriptions de la loi, et il arrive même que la seule motivation inscrite soit « vu les informations récoltées ».

Le principe du respect de la dignité des personnes détenues lors des fouilles intégrales n’est en outre pas toujours respecté, soit en raison de méthodes de fouilles inutile-ment intrusives ou humiliantes, soit en raison de l’inadaptation des locaux de fouille.

La Contrôleure générale a par ailleurs rappelé son opposition de principe à l’alinéa 2 de l’art. 57 qui permet qu’une personne soit fouillée intégralement sans aucun motif lié à son comportement mais seulement en raison du lieu dans lequel elle se trouve ou du comportement d’autrui.

Enfin la Contrôleure générale a recommandé à la mission parlementaire de renforcer les garanties entourant les fouilles en prison et en particulier de protéger les personnes vulnérables : sécuriser le circuit de parloirs pour que les plus faibles ne soient pas soumis à des pressions de la part de leurs codétenus, tenir compte de l’état de santé, notam-ment pour les personnes conduites à l’hôpital ou handicapées, mettre en œuvre un régime spécifique de fouilles applicables aux mineurs détenus, dans lequel le recours aux fouilles intégrales serait exceptionnel.

Ces recommandations n’ont été que fort peu entendues dans le rapport remis par la mission parlementaire 1.

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