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La philosophie moderne : valorisation d’une autonomie humaine active

La philosophie moderne depuis ses débuts est marquée par une volonté d’emprise de l’humain sur la nature et la conviction d’une grandiose destinée pour l’espèce. Elle commence avec la Renaissance alors que des scientifiques et des philosophes révolutionnent la conception du monde et de l’univers29, la façon de faire de la science, et l’invention autonome de toute norme à partir de l’expérience concrète, Kant reconnut la valeur objective de la connaissance et de la conduite comme œuvre humaine : « elles avaient une valeur objective s’imposant à chaque individu sous forme de nécessité et de devoir. » (SUCHODOLSKI, 1960, p. 41). Hegel a renchéri sur l’interdépendance de l’idéal pédagogique et de l’implication humaine (« philosophie de l’idéalisme objectif », p. 45). Le développement culturel particulier d’une société repose sur la participation de la personnalité (dans laquelle l’individu est interchangeable p. 47), dont le développement est lui-même conditionnel à cette participation à ce que Hegel désigne comme « l’esprit objectif », soit la société ayant sa culture et ses institutions sociales. Il aurait ainsi créé une « nouvelle version de la pédagogie de l’essence » et influencé des orientations pédagogiques des XIXe et XXe siècles (notamment chez Karl Rosenkranz et Dilthey) (SUCHODOLSKI, 1960, p. 43-44).

28 En s’attardant à ce qu’il considère comme la transition de l’université moderne vers l’université post-

moderne, Michel Freitag propose dans le même sens d’inscrire le projet éducatif de l’université comme condition de l’émergence d’un projet de société qui s’inscrit dans un projet de civilisation (FREITAG, 1988).

que cette nouvelle science associée à l’utopisme alimente l’humanisme. Cet humanisme reconnaît aux humains le pouvoir technique sur la nature et la capacité de s’organiser politiquement et socialement (HOTTOIS, 1997, p. 40-56). À cela s’ajoute, à partir de

Descartes, la conscience intérieure comme nouvel objet d’investigation (ARENDT, 1983).

En rupture avec la science médiévale, livresque et déductive, la connaissance de la nature, du monde et de l’univers doit reposer sur l’induction, l’expérimentation et la recherche explicative, avis que partagent Nicolas Copernic (1473-1543), Francis Bacon (1561-1626), et Galileo Galilei (1564-1642) (HOTTOIS, 1997, p. 40-56). Les découvertes scientifiques de

Galilée faites à partir du télescope confirment les théories coperniciennes d’un centre héliocentrique, ce qui contredit à la fois les données des sens et de la tradition. Arendt en fait l’événement fondateur de la modernité, tandis que Descartes, par sa réaction philosophique, est reconnu par elle comme le fondateur de la philosophie moderne.

Pour la philosophie, la découverte de Galilée signifiait que les connaissances obtenues grâce à un instrument de fabrication humaine pouvaient contredire l’aperception du réel par les sens et la découverte de la vérité par la raison contemplative. À partir de Descartes, on se mit à douter des sens et de la raison, mais aussi du monde et de l’univers perçu. Avec l’époque moderne se perdit la certitude, ou la « confiance humaine » en ces entités (ARENDT, 1983, p. 348-349). Le doute universel s’accompagnait de deux cauchemars, celui

d’une réalité qui n’est que songe, et celui d’un Dieu malin. La solution de Descartes fut de voir dans l’activité de douter, donc de penser, la seule certitude de l’existence, ce qu’Arendt appelle « le transfert du point d’Archimède dans l’esprit humain » (ARENDT, 1983, p. 357).

La découverte du point d’Archimède, avec l’apparition correspondante du doute cartésien, eut aussi pour conséquence spirituelle « l’inversion des rangs de la vita contemplativa et de la vita activa dans l’ordre hiérarchique » (ARENDT, 1983, p. 362) : la soif de connaître ne

pouvait plus être apaisée que par l’utilisation d’un instrument, par exemple le télescope, de fabrication humaine (ARENDT, 1983, p. 363). La confiance était portée au faire plutôt qu’à

la contemplation ou à l’observation. La pensée, autrefois servante de la contemplation de la vérité était maintenant servante de l’action. La contemplation, faute d’utilité, fut éliminée (ARENDT, 1983, p. 365).

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Les grands principes de la philosophie moderne peuvent se résumer en la confiance envers le devenir de l’humanité qui repose sur les progrès moraux, scientifiques et techniques dont on la pressent capable. Cette confiance se cristallise aux XVIIe et XVIIIe siècles alors que culmine l’espoir d’un déploiement de la liberté humaine par l’usage de la raison30. La philosophie moderne, caractérisée par cette confiance, se dissout sans être abandonnée totalement vers le milieu du XXe siècle, alors que sont remises en question cette croyance et cette confiance en un devenir humain rationnel et universaliste et que sont abandonnés les « ̎ grands récits ̎ de légitimation de la civilisation occidentale » (HOTTOIS, 1997, p. 409-

412). La lecture pessimiste que fait Hannah Arendt des spécificités de la philosophie moderne relativise le rôle qu’y tiennent la Raison et la confiance envers les possibilités humaines, dépendantes de la fabrication humaine d’instruments. Pour Arendt, la philosophie moderne, contrairement d’ailleurs à la science moderne qui se fait sans elle, est fondamentalement pessimiste depuis le doute cartésien face aux possibilités de connaître par les sens ou la raison humaine (ARENDT, 1983, p. 344).

Le mouvement des « Lumières » européennes qui s’exprime entre la fin du XVIIe siècle, fortement inspiré par Locke (HOTTOIS, 1997, p. 106), et la fin du XVIIIe siècle, accentue la

confiance envers les facultés humaines. Les « lumières naturelles » telles que la raison, la volonté et l’imagination, sont invoquées « pour connaître le monde et (re)construire la société », par opposition aux « lumières divines ». L’esprit des Lumières, comme l’exprime Kant dans le résumé qu’il en fait, exige de chacun courage et volonté pour qu’il se sorte de son état de minorité et de dépendance à l’égard des autorités statutaires. Pour cela l’individu doit s’en remettre à son propre entendement et faire ainsi preuve d’autonomie. Kant encourage la propagation des Lumières par l’usage de la liberté de pensée, en prescrivant un usage public de la raison et une restriction de son usage privé (KANT, 2006,

30 Pour Hottois, le « mythe de la modernité » présente ces caractéristiques, avec lesquelles rompt la pensée

postmoderne : « l’universalisme rationaliste », « la foi dans la science et la technique », « la domination- exploitation de la nature par et pour l’humanité », « la foi dans la prise en charge de l’humanité par elle- même » (humanisme progressiste), « le mépris du passé ou son intégration à la manière d’étapes historiques préalables préparant ou annonçant la modernité (les « grands récits ») et l’utopisme (HOTTOIS, 1997, p. 409).

p. 15-17)31. Ajoutons que l’éducation laïque occupe un rôle central dans les Lumières françaises, de même qu’un anticléricalisme, qu’il soit déiste ou athée (HOTTOIS, 1997, p.

106).

En résumé, la philosophie moderne se préoccupe des moyens d’autonomiser l’humain dans son devenir individuel, politique et comme espèce. Elle considère suspectes les déterminations préexistantes à l’activité humaine, telles la tradition ou la contemplation en apparence passive et ne peut se contenter de ce que véhiculent spontanément les sens. L’attrait pour la connaissance des choses et l’utilisation d’instruments techniques auquel elle incita marqua les changements dans l’enseignement, en particulier au niveau secondaire avec les pressions d’une modernisation orientée vers l’utilité.

Le libéralisme : protection de la liberté humaine et confiance