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L’introduction de l’instruction en Nouvelle-France est liée aux pratiques françaises et aux intérêts de la métropole française. Ainsi, la charge de l’instruction en Nouvelle-France comme en France était laissée à des congrégations religieuses. La venue de ces dernières en Nouvelle-France s’inscrit dans le projet royal d’exploiter le territoire et de le peupler ainsi que d’évangéliser les Amérindiens, responsabilités confiées à des compagnies68 en échange du monopole de la traite et du commerce des fourrures. Les intérêts de la couronne française semblent autant économiques que missionnaires : c’est une volonté d’intégrer économiquement la nouvelle colonie d’exploitation à la France et de l’inscrire, selon Havard et Vidal, dans « une vaste entreprise de christianisation » embrassant l’ensemble des colonies françaises durant la première moitié du XVIIe siècle (HAVARD et VIDAL, 2008, p. 172). Or le rôle d’encadrement social qu’assumait l’Église sous l’Ancien Régime et les « investissements financiers et humains » que des congrégations étaient prêtes à faire rendaient celles-ci indispensables en Nouvelle-France (HAVARD et VIDAL, 2008, p. 171).

C’est ainsi que des établissements d’enseignement furent fondés, avant même que la colonie ne devienne, en 1663 avec Louis XIV, une province royale de France régie par une administration centrale (HAVARD et VIDAL, 2008). Les Récollets (1612) d’abord, puis les

Jésuites (1615), suivis des Ursulines (1639), des Sulpiciens (1657) et des Sœurs de la Congrégation (1686), vinrent en Nouvelle-France, les trois premiers pour évangéliser les Amérindiens, toutes les congrégations pour assumer soit la charge d’encadrer, d’instruire ou de soigner les habitants d’origine française et leurs descendants et se consacrer à la formation de prêtres canadiens. Une première école fut fondée en 1635 par des Jésuites.

68 Stratégie financière pour exploiter les ressources du Nouveau monde tout en priorisant les affaires

continentales, comme avaient commencé à le faire les Anglais et les Hollandais dès le début du XVIIe siècle

La volonté d’encadrer et d’entretenir la foi de la population propre à l’Église et à l’aristocratie s’articulait aux intérêts économiques de la Couronne. Les intentions qui motivaient l’expansion d’un réseau de petites écoles catholiques en France aux XVIe et XVIIe siècles s’étendaient en effet à la Nouvelle-France. La mission apostolique stimulée lors de la Réforme catholique en réaction à la Réforme protestante, la volonté de contrôle social des rejetons de la populace par les nobles et l’intention charitable d’enseigner des matières pratiques tant aux filles qu’aux garçons telles l’écriture et le calcul, intentions scolaires exprimées en France, encourageaient la venue de congrégations en Nouvelle- France en parallèle de la colonisation, tandis que la présence amérindienne encourageait les vocations missionnaires à l’évangélisation (VENARD, 2003, MAGNUSON, 1992).

L’évangélisation fut conduite de différentes manières selon les congrégations. Au début des missions, les Jésuites cherchèrent à persuader les Amérindiens des bienfaits de la religion chrétienne tout en essayant de gagner leur confiance pour les inciter à se convertir. Ils apprirent leur langue et adoptèrent certaines pratiques des Amérindiens, telle l’indulgence et la douceur envers les enfants, le recours à des chants et à des paraboles imagées et l’usage de l’éloquence avec les adultes (MAGNUSON, 1992, p. 32, 35, 39, 49). La volonté de

convertir les Amérindiens conduisit en fait à une certaine adaptation des pratiques éducatives des missionnaires, ce qui a pu contribuer, par l’intermédiaire des Relations des

Jésuites diffusées en France, à remettre en question certains aspects de la pédagogie

traditionnelle, tels l’usage du latin ou l’exercice d’une autorité contraignant la liberté de l’enfant.

Invitées par les Jésuites, les Ursulines usaient également de souplesse avec les Amérindiennes (MAGNUSON, 1992, p. 54-55), contrairement aux Récollets qui usaient de

méthodes plus dures (MAGNUSON, 1992). D’après son analyse des Relations des Jésuites et

d’autres témoignages de religieux sur l’éducation indienne, Denise Lemieux suggère que la continuité des contacts avec des tribus aurait contribué à faire accepter par les Jésuites les vertus de la douceur envers les enfants comme moyen d’obtenir leur obéissance, alors que les Européens avaient plutôt tendance, d’après leurs observations, à utiliser le châtiment

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corporel et la crainte de Dieu en plus des marques d’affection (MAGNUSON, 1992, p. 78-79,

LEMIEUX, 1985, p. 153-154).

D’après Magnuson, l’idéalisme missionnaire des débuts fit place vers la fin du XVIIe siècle à un réalisme relativisant la possibilité de christianiser et « civiliser » les Indiens, alors que les enfants des colons devenaient leur principale clientèle (MAGNUSON, 1992, p. 63). Le

faible nombre de conversions véritables les avaient convaincus d’abandonner ce projet d’acculturation, cependant que l’alliance franco-indienne était maintenue pour l’exploitation commerciale et dans les conflits militaires avec les Anglais et les nations indiennes ennemies (MAGNUSON, 1992, p. 63 et 187, HAVARD et VIDAL, 2008). La

conquête et la colonisation européennes de l’Amérique, les guerres intertribales ou contre les Européens, les épidémies dévastatrices ainsi que les réserves amérindiennes créées par des Jésuites, en bouleversant en profondeur la géopolitique, la démographie et les structures des sociétés amérindiennes (DELÂGE, 1991, HAVARD, 2003) ne peuvent qu’avoir eu des

effets radicaux sur l’éducation amérindienne.

Pour ce qui est du réseau d’établissements d’enseignement en formation, l’autorité sur l’instruction et son organisation était assumée en Nouvelle-France comme en France par l’Église. L’évêque, d’ailleurs souvent absent pour de longues périodes, exerçait la fonction d’autorité suprême en ce domaine : « il édicte les règlements, donne les autorisations nécessaires à l'organisation d'écoles, sanctionne l'engagement des maîtres et maîtresses et, par l'intermédiaire des curés, exerce la haute surveillance sur tout le système. » Comme en Europe, l’État collabore en appuyant ses directives, en concédant des terres et en accordant « des subventions assez généreuses » (VOISINE, 1971, p. 18).

D’après Roger P. Magnuson, la plupart des enseignants des XVIIe et XVIIIe siècles au Canada étaient de naissance et d’éducation française en même temps qu’ils étaient attachés à des communautés religieuses (MAGNUSON, 1992, p. 80). Dans les villes de Québec,

Montréal et Trois-Rivières, l’enseignement élémentaire et secondaire était assumé par les congrégations religieuses qui s’y étaient installées. Les Jésuites, les Récollets et les Sulpiciens enseignaient aux garçons, les Ursulines et la Congrégation de Notre-Dame

enseignaient aux filles. Des laïques de diverses professions contribuaient aussi à l’instruction : des officiers civils, des maîtres d’école, des artisans, des soldats et des femmes au foyer (MAGNUSON, 1992, p. 85). Les petites écoles offraient le programme alors

à la mode en France au XVIIe et XVIIIe siècle en suivant L’École paroissiale et d’autres codes pédagogiques ou manuels conçus par des religieux catholiques. On y apprend le catéchisme, la lecture, l’écriture, le calcul et des rudiments de latin pour les plus doués en guise de préparation au secondaire. Envoyé en 1701 par le Séminaire sulpicien de Paris, Antoine Forget a probablement introduit la pédagogie lasallienne69, élaborée en France par Jean-Baptiste de LaSalle et ses disciples70, dans les écoles de la ville (MAGNUSON, 1992, p. 79).

Les filles recevaient les mêmes enseignements, en plus de l’enseignement ménager et des bonnes manières à observer (parler, posture, mœurs) (AUDET, 1951 p. 4). Au XVIIe siècle,

celles qui entrent vers dix ans comme pensionnaires ou externes apprennent le catéchisme, la lecture, l’écriture, le calcul et sont initiées aux travaux féminins, surtout des travaux d’aiguille. Les élèves de Marguerite Bourgeoys reçoivent aussi le catéchisme, la lecture et l’écriture, de même que la couture, le reprisage et le tricotage. Elles sont aussi préparées pour le mariage. Micheline Dumont (1990) qualifie de souple la pédagogie qui y est utilisée. Marguerite Bourgeois s’inspirait de la pédagogie libérale de l’Abbé Pierre Fourier, qui avait participé à la fondation de la Congrégation de Notre-Dame en France en 1598 et qui avait fait preuve d’avant-gardisme notamment en regroupant les enfants dans des classes différentes en fonction de leur âge et de leur habileté et en s’opposant aux punitions arbitraires (MAGNUSON, 1992, p. 79). Vers le milieu du XVIIIe siècle, la durée des études

69 Voisine fait ressortir quatre caractéristiques de l’enseignement donné initialement par de La Salle :

l’enseignement dans la langue maternelle, le recours au mode simultané, c’est-à-dire un maître enseignant en même temps à plusieurs enfants, l’importance de la discipline et du silence comme conditions d’efficacité de ce mode d’enseignement, et l’utilisation d’exercices et de manuels chrétiens, puisque le but de l’Institut, comme celui exprimé plus généralement dans le mouvement de scolarisation sous la Réforme catholique, était de former à la vie chrétienne le plus d’enfants possibles tout en leur donnant les bases pour pouvoir continuer leur culture religieuse à l’âge adulte (VOISINE, 1987, p. 314-321, CHARTIER, 1999, p. 78, QUÉNIART, 2003, p. 392-393).

70 Les Frères de cet institut fondé en 1684 enseignaient à de grands groupes d’enfants issus de milieux

populaires. Pour bien fonctionner, leur mode d’enseignement s’appuyait sur une discipline strictement définie dans la Conduite des Écoles chrétiennes (première version en 1702), qui découpait le temps et les matières tout en indiquant le comportement attendu à la fois du maître et des élèves, leur silence à tous demeurant l’un des moyens de maintenir l’ordre (La Conduite, 1993, GUIBERT, 1901).

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s’allonge chez les Ursulines. Des cours de géographie, de calligraphie, de grammaire, de dentelle, de peinture sur soie sont ajoutées au régime pédagogique, de même que l’anglais après la Conquête. Si les pensionnaires reçoivent un meilleur enseignement que les élèves en externat reçues gratuitement, elles subissent toutes un « encadrement religieux très rigoureux » par l’observation du silence, la prière, la discipline, la surveillance et la frugalité (DUMONT, 1990, p. 7-8).

Comme en France, le plan d’études des collèges était celui mis en forme par les Jésuites au XVIe siècle et qu’ils avaient hérité des Frères de la Vie commune, Institut lui-même fondé en Hollande au XIVe siècle. Pour l’essentiel, l’organisation des collèges des Jésuites reprenait celle des collèges de ces Frères : répartition des élèves en huit niveaux, de la 8e à la 1e classe, enseignement couvrant le trivium et le quadrivium et ouverture à l’humanisme italien dès le XVe siècle (VENARD, 2003, p. 320 et 354). À un enseignement littéraire de six années, de la grammaire à la rhétorique, succédaient une année de philosophie et une année de science. En Nouvelle-France, seul le Collège des Jésuites, fondé à Québec en 163571, offre l’enseignement secondaire, bien que des écoles latines situées à Montréal et d’autres à Québec préparent aux études classiques, à compter du XVIIe ou du début du XVIIIe siècles (GALARNEAU, 1978, p. 15-16). D’après Galarneau, le Collège de Québec en 1655

« comprend les classes de grammaire, d’humanités, de rhétorique et de philosophie » (GALARNEAU, 1978, p. 15)72. L’enthousiasme généralisé pour la littérature française amène

l’étude d’auteurs français au XVIIIe siècle. L’enseignement du français dans la classe de rhétorique apparaît ainsi vers la même période à Québec et à Montréal, où l’on apprend l’art d’écrire par imitation (GALARNEAU, 1978, p. 173-174). Mais le but demeure de former

l’homme complet en perfectionnant son éloquence (GALARNEAU, 1978, p. 174). L’histoire

71 En fait, c’était à l’origine une petite école, dans laquelle furent introduits progressivement des cours du

cursus suivi dans les collèges de jésuites (DUPUIS, 1991, p. 4). Le Petit Séminaire de Québec fut fondé dans les années 1660 à Québec, à la demande de Mgr de Laval, pour former un clergé canadien. Principalement un pensionnat au début, il se voit chargé de l’enseignement en 1765, le Collège ayant cessé ses activités en 1759 après avoir été bombardé et étant occupé par les militaires britanniques. Un collège fut fondé à Montréal après la Conquête, mais n’offrait le programme que jusqu’à la rhétorique (GALARNEAU, 1978, p. 15-17, MAGNUSON, 2005, p. 9-10).

72 Correspondance des classes canadiennes-française (jusqu’aux années 1960) avec les classes françaises :

et la géographie anciennes et romaines devaient être enseignées comme compléments du latin et du grec (dont l’enseignement était négligé) mais ne sont pas mentionnées dans les plans d’étude, d’après Galarneau, avant 1790 (GALARNEAU, 1978, p. 177). Des

mathématiques furent enseignées dès 1651 au Collège de Québec, et des cours de mathématiques et de physiques furent données au XVIIe et au XVIIIe siècle au Québec. Cet enseignement s’adressait souvent à de futurs pilotes de navigation et de futurs arpenteurs. Il ne semble pas avoir figuré de façon systématique dans les plans d’études (GALARNEAU,

1978, p. 187-188). Bien qu’il y avait des exercices religieux, on ne donnait pas encore de cours de religion, hormis le catéchisme réservé pour le dimanche après les vêpres (GALARNEAU, 1978, p. 192).

L’action éducative des congrégations ne s’est pas étendue directement à l’ensemble des colons et des Indiens. Chez les enfants des colons, la fréquentation de petites écoles était réduite en dehors des villes, de même que celle des internats, qui pouvait dans certains cas ne durer que quelques mois. Les enfants restaient pour la plupart dans leur famille pour y participer aux travaux domestiques ou sur la ferme. Cette centration de la vie des enfants autour de leur famille s’observait aussi dans la diminution de la mise en apprentissage ou dans son commencement à l’âge de 16 ans, probablement chez un membre de la parenté, alors qu’en France la mise en apprentissage survenait plus tôt, diminution qui était due en Nouvelle-France à des règles moins strictes entourant l’acceptation dans des métiers (LEMIEUX, 1985, p. 42-45).

L’action directement éducative des congrégations sur les Amérindiens fut limitée. Mais la conquête et la colonisation européennes, l’intégration de l’Amérique dans les économies impériales fondées sur le capital, les guerres et les épidémies, en décimant les sociétés amérindiennes et en affaiblissant profondément celles qui restaient, remettront en question les structures de ces sociétés et, en conséquence, leur éducation73. Ce que Delâge désigne ou Rhétorique), Mathématiques, Philosophie I ou Junior (Logique), Physique, Philosophie II ou Senior (Physique) (GALARNEAU, 1978, p. 167).

73 Les Français qui colonisent la vallée du Saint-Laurent dans la deuxième moitié du XVIe siècle arrivent sur

un territoire déjà dépeuplé entre autres par les guerres intertribales et les épidémies ayant décimé les nations amérindiennes qui y habitaient avant, épidémies provoquées au contact des Européens, missionnaires et commerçants. Contrairement aux colonisateurs hollandais et anglais qui s’installent sur des territoires très peuplés plus au sud, la colonisation de la vallée ne repose donc pas sur le « refoulement » des sociétés

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comme une « offensive d’acculturation » de la part des Jésuites, les réserves alors appelées « réduction » et créées pour « réduire » la culture amérindienne, mais utilisées par des Amérindiens à la manière de camps de réfugiés après les guerres, épidémies et diminution de leurs ressources, auront des effets évidents sur leurs pratiques éducatives. La démonisation et le dénigrement de plusieurs éléments de la culture amérindienne ainsi que les contraintes à se sédentariser accentuant l’effet « totalitaire » de ces milieux, agiront sur les sentiments de certains convertis et, en conséquence, sur leurs attitudes envers leurs enfants. L’éducation amérindienne, caractérisée par sa douceur et l’importance de la liberté des enfants, est remplacée chez certains par la crainte de Dieu et des parents, ainsi que par les punitions corporelles exprimant des sentiments d’indignité et « la sévérité excessive du sur-moi » (DELÂGE, 1991, p. 299).

Nous retenons de cette première période que l’instruction scolaire avait pour objectif en Nouvelle-France de développer la foi des fidèles catholiques au niveau primaire tandis que le niveau secondaire poursuivait la réalisation du modèle humaniste de l’éloquence tout en offrant des matières pratiques adaptées à l’économie et à la colonisation du territoire pour les hommes (navigation et arpentage), et un raffinement des manières pour les femmes. Par les liens de dépendance qui les liaient à leur maison-mère, les institutions d’enseignement véhiculaient les mêmes idéaux pédagogiques que ceux des institutions françaises catholiques. En conséquence, nous assistons à un attachement pédagogique à la France qu’exprime d’ailleurs la persistance du recours à des ressources pédagogiques françaises. Cependant, il semble que l’éducation familiale orientée autour de l’économie domestique ait occupée une grande place chez les colons. Chez les congrégations enseignantes, les rencontres avec les autochtones incitèrent à un certain assouplissement pédagogique par une plus grande attention envers les intérêts de l’enfant et envers sa liberté et une action plus douce de l’autorité74, tandis que pour les Amérindiens, les effets géopolitiques, indiennes par les guerres et par l’extension de la propriété privée, à la base de l’exploitation européenne des ressources, mais indifférente à l’empiétement des territoires de chasses, de pêche, de culture et de cueillette des Amérindiens qui les considèrent comme des propriétés collectives (DELÂGE, 1991, p. 286-290).

74 D’après les portraits caricaturaux de l’époque explorés par Magnuson, les enfants canadiens étaient décrits

démographiques et économiques de la conquête européenne ne pouvaient que bouleverser leur éducation, bien que certaines de leurs valeurs, sensibilité envers l’enfant, douceur des interventions envers eux, liberté de la vie de l’enfant, ont pu confirmer l’éducation moderne en formation par l’observation jusqu’à un certain point de leurs effets bénéfiques chez les adultes (GUÉNARD, 2013).