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Dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Weber commence par identifier un phénomène civilisationnel de grande ampleur pour en comprendre l’esprit, soit le capitalisme, et le décrit dans ses caractéristiques extérieures les plus générales. Il considère le capitalisme comme « la puissance la plus décisive de notre vie moderne. » Dans l’histoire des civilisations, il le range aux côté des phénomènes culturels ayant atteint selon lui des degrés de perfection inégalés en dehors de l’Occident, tels que la science, l’architecture des cathédrales, les symphonies musicales, l’art de la Renaissance, le droit et les bureaucraties modernes (WEBER, 1964, p. 2). Si l’on veut expliquer le développement

du capitalisme moderne, il faut expliquer l’apparition de la classe bourgeoise moderne comme l’un de ses traits les plus distinctifs, qui a organisé rationnellement le travail libre (WEBER, 1964, p. 10). Il identifie donc une relation significative entre deux éléments

caractéristiques du phénomène étudié : la bourgeoisie et le travail, deux versants du capitalisme. Alors que la structure rationnelle du droit et de l’administration a permis le développement des entreprises individuelles, c’est surtout dans les conduites individuelles, dont la spécificité est leur caractère rationnel chez les entrepreneurs, que s’observe le développement d’une bourgeoisie professionnelle.

Or, les « forces magiques et religieuses » ainsi que les « idées d’obligation morale » sont parmi les « plus importants des éléments formateurs de la conduite » (WEBER, 1964, p. 11).

Weber voit une certaine parenté entre les conduites du bourgeois capitaliste et les prescriptions religieuses des protestants. Partant de l’hypothèse de cette affinité entre les deux types, il tente de reconstituer l’esprit du capitalisme, en extrayant les traits « un à un

de la réalité historique » pour composer « l’individu historique », le capitalisme, considéré comme « un complexe de relations présentes dans la réalité historique » (WEBER, 1964, p.

30). Il choisit ainsi une seule voie explicative, celle de racines religieuses de la bourgeoisie capitaliste, et trouve les éléments dans une sélection de documents qui lui apparaissent significatifs pour leurs « idées originelles » déterminantes pour la pratique à cause de leurs effets psychologiques (WEBER, 1964, p. 86). Il saisit la particularité de ces traits en les

opposant avec le mode de vie des catholiques, leur rapport aux bonnes œuvres, à l’accumulation de richesse et à la signification religieuse qu’ils leur donnaient. Les programmes de réformes protestantes ont ainsi une portée éducative en instituant des manières d’être et d’agir.

Aux yeux de Weber, un des sermons de Benjamin Franklin est l’expression quasiment pure de l’esprit du capitalisme sans que n’y apparaisse aucun lien avec la religion. Par une analyse inductive, Weber y saisit un éthos, une manière d’être : « l’idéal de l’homme d’honneur dont le crédit est reconnu ». Cet idéal est prescrit par l’affirmation du devoir « d’augmenter son capital » (WEBER, 1964, p. 33). Guidé par son propre rapport aux

valeurs, Weber constate que « [t]outes les admonitions morales de Franklin sont teintées d'utilitarisme. » Les vertus qu’il désigne, l'honnêteté, la ponctualité, l'application au travail, la frugalité, le sont parce qu'elles sont utiles. Ce qui n’apparaît pas dans ce sermon, c’est que ces vertus sont utiles à ses yeux en raison du fait qu’elles sont prescrites par Dieu, comme Weber le comprend en lisant l’autobiographie de Franklin (WEBER, 1964, p. 35).

Dans ce sermon, Weber trouve l’idée fondamentale pour le capitalisme « que le devoir s’accomplit dans l’exercice d’un métier, d’une profession » (WEBER, 1964, p. 36). Cette

idée a pu germer parce qu’elle a « rencontré l’approbation de tout un peuple » et qu’elle répondait, comme chez Durkheim, à des besoins et des sentiments partagés (WEBER, 1964,

p. 38). Alors que l’homme a naturellement tendance à calculer la quantité minimale d’efforts à fournir en fonction du gain attendu nécessaire à sa survie, il fallait qu’un « état d’esprit » éduqué comme tel oriente les conduites individuelles vers la recherche de productivité pour dépasser le gain nécessaire. Cet état d’esprit devait associer à « un sens élevé des responsabilités » une perception du travail comme « un but en soi – une

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« vocation » [Beruf] ». Cet état d’esprit « est le résultat d’un long, d’un persévérant processus d’éducation », « puissant allié » du capitalisme, « qui l’a secondé dans son développement » (WEBER, 1964, p. 46). Weber cherche l’origine de l’idée de besogne et de

dévouement au travail, à la fois irrationnelle du point du vue de l’intérêt personnel et, pourtant, l’un des « éléments caractéristiques de notre culture capitaliste » (WEBER, 1964,

p. 62). Il a fallu l’équivalent d’une éducation à la productivité individuelle dans le travail, motivée par une représentation de l’idéal moral de la conduite humaine.

La notion de Beruf, ou de travail comme vocation, comme tâche de l’existence, est commune à tous les peuples protestants et apparaît pour la première fois dans la traduction que Luther donne de l’Ecclésiastique (WEBER, 1964, p. 85-90). C’est Luther qui l’a

interprétée comme « la seule tâche voulue par Dieu », l’accomplissement des devoirs devant se faire depuis la place attribuée par Dieu, au sein de la société civile, dans les affaires temporelles, et non pas à son écart, comme dans la vie monastique, dans les affaires spirituelles. Mais ce sont chez d’autres sectes protestantes que le lien entre cette notion de vocation et l’esprit du capitalisme s’établit, car « la relation entre vie pratique et spiritualité » y est plus claire, alors que la conception luthérienne de la place professionnelle attribuée par Dieu et dont il faut se contenter demeure traditionnelle. Aux yeux de Luther, il ne faut d’ailleurs pas trop attacher d'importance à la situation professionnelle attribuée dans la vie terrestre car elle n’est que temporaire, interprétation que ne partage pas l’ascétisme puritain qui se développe par la suite. La plus haute expérience religieuse dans la piété luthérienne se trouve dans l’union mystique avec Dieu, perçue par le sentiment de la pénétration divine dans l’âme, qui est lui-même étroitement lié au sentiment de l’indignité personnelle encourageant à l’humilité et à la simplicité pour la rémission des péchés (WEBER, 1964, p. 106-107). Cela implique que l’atteinte du salut

pour les luthériens ne dépend pas de l’observance d’une conduite ascétique (WEBER, 1964,

p. 107). Si la conception luthérienne valorise la vie mondaine, il faut chercher ailleurs l’origine des modifications observées dans les comportements des individus en lien avec leur travail et l’accumulation de richesses.

Weber trouve les sources de l’ascétisme protestant à l’origine de l’esprit du capitalisme dans le calvinisme et trois autres sectes puritaines, qui ont formé un « mouvement ascétique » désigné par le terme de « puritanisme » par ses adeptes (WEBER, 1964, p. 85) :

le piétisme, le méthodisme et les sectes baptistes. Weber cherche les motivations psychologiques à adopter certaines conduites caractéristiques de la moralité ascétique dans les idées religieuses originelles dont elles proviennent. Les croyances dont elles sont porteuses influencent les représentations de la vie et du rapport à l’au-delà, qui se trouvent au centre des préoccupations à cette époque et qui influencent à leur tour les motivations psychologiques (WEBER, 1964, p. 85 et suivantes). Weber commence par étudier le

calvinisme en raison du rôle de fondation qu’il a joué dans le puritanisme. Il se penche d’abord sur la signification du dogme de la prédestination et sur ses conséquences culturelles et historiques (WEBER, 1964, p. 89).

La notion de Beruf comme tâche assignée par Dieu qu'il faut accomplir méthodiquement a pu s'étendre grâce au rôle que le calvinisme a joué dans la diffusion du protestantisme, les autres sectes se constituant en rapport avec lui (WEBER, 1964, p. 80 et 84). L’idée puritaine

de profession dont elles fournissent les bases religieuses est centrée sur l’état de grâce, conçu comme séparant les fidèles, des élus de Dieu, de la dégradation de la créature et du monde (WEBER, 1964, p. 162). Aucun des moyens offerts par la religion catholique, que ce

soit un « sacrement magique » (le pardon, la pénitence), les confessions ou la bonne conscience obtenue par la réalisation de bonnes œuvres, ne permet de garantir cet état de grâce. La seule garantie provient d’un « style de conduite spécifique » distinguant l’élu de l’homme naturel. Il s’agit d’une conduite rationnelle inspirée par l’intention d’étendre la gloire divine dans le monde, et montrant le signe d’un état de grâce. Les conséquences pratiques de ces doctrines se rencontrent dans la motivation à « contrôler méthodiquement son propre état de grâce dans sa conduite » et d’imprégner celle-ci d’ascétisme, par la « mise en forme rationnelle de l’existence tout entière, rapportée à la volonté de Dieu ». Cet ascétisme, contrairement à celui des monastères chez les catholiques, est exigé de quiconque veut s’assurer de son salut. Ainsi, la vie du « saint », c’est-à-dire le membre de l’Église ou de la secte prouvant par sa conduite son état de grâce, se caractérise par une conduite ascétique dans le monde, conséquence de la conception du métier comme vocation

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propre au « protestantisme ascétique ». Si l’ascétisme chrétien, chez les puritains, a abandonné le monastère pour se répandre dans le monde, il conserve néanmoins une distance avec ce monde, puisqu’en agissant de façon rationnelle, le puritain croit être l’instrument de Dieu, comme si sa conduite n’était pas de ce monde. C’est par ce moyen qu’il prouve son état de grâce, un but intemporel qui est également hors de ce monde (WEBER, 1964, p. 162-163).

Pour étudier l’application de l’ascétisme protestant dans la vie économique, Weber analyse des écrits théologiques dans lesquels des pasteurs prescrivent l’attitude à adopter dans le travail et le rapport à entretenir avec la richesse. À l’origine fondées sur des éléments de doctrine religieuse, ces prescriptions auraient continué de définir selon Weber les conduites professionnelles dans le capitalisme moderne de son époque.

La croyance en une volonté divine commandant d’adopter une conduite rationnelle au sein d’un métier en vue d’accroître la gloire de Dieu sur terre a pour conséquence concrète une productivité accrue dans le travail et donc, une chance plus grande de voir s’accumuler la richesse et d’augmenter le pouvoir d’acquisition de biens. Ces profits constituent des signes autant individuels que collectifs d’élection divine. Le résultat financier et matériel que le puritain obtient entre en contradiction avec le commandement ascétique pour une vie austère visant à maintenir l’élu au-dessus des dégradations de l’espèce humaine. Il doit alors se contenir en évitant de se laisser aller aux jouissances immédiates. La richesse porte ainsi un double-sens : celle qui encourage le « repos dans la possession » est à proscrire d’autant plus qu’elle éloigne de l’activité, qui demeure le but de l’existence ; comme récompense d’un accomplissement professionnel, elle demeure cependant une preuve de bénédiction (WEBER, 1964, p. 167). Plutôt que d’en jouir une fois que l’accumulation

suffisante permettrait de se dispenser du travail, il faut, pour le puritain, la réinvestir et poursuivre ses activités.

Le lieu même de réinvestissement de la richesse est chargé de signification. S’il l’est dans les terres, il ramène au système féodal du Moyen âge encourageant l’oisiveté chez les nobles. S’il l’est dans des œuvres utiles, il s’inscrit dans les desseins divins de glorification

terrestre, ce qui a pour effet d’accroître le capital (WEBER, 1964, p. 193). La dimension

collective du travail ajoute une autre motivation utilitaire supplémentaire à l’investissement de son temps dans un métier. L’occupation professionnelle joue un rôle important dans l’atteinte du « bien général » voulu par Dieu, notamment par le développement d’habiletés que permet la spécialisation, et l’accroissement « quantitatif et qualitatif » de la productivité qui en découle pour le bien de la collectivité (WEBER, 1964, p. 173). L’ascétisme protestant

est de plus porteur de critères pour approuver un métier. L’utilité d’un métier est jugée d’un point de vue moral, en fonction des biens qu’il apporte à la communauté et de l’avantage économique qu’il procure. En tant que fruits de la productivité du travail dans un métier, conformément aux prescriptions religieuses, ces derniers avantages doivent être acceptés, car ce sont des signes envoyés par Dieu à l’élu (WEBER, 1964, p. 175). Enfin, la stabilité

dans un métier est valorisée comme moyen d’accroître la reconnaissance divine mais il est bien vu d’en changer pour aller vers un métier plus utile vers lequel l’élu aura cru être appelé.

Selon Weber, le commandement pour une vie active mais austère organisée rationnellement et le résultat matériel qui en découle, soit l’accumulation et la possession de richesses, sont deux applications pratiques contradictoires de l’ascétisme protestant. L’accumulation de richesses et l’incitation à la jouissance qui en découle se concilient difficilement avec un style de vie austère. Ces contradictions ont achevé la poursuite du « désenchantement du monde » en dépouillant la rationalisation du travail et la poursuite du succès de toute justification morale ou religieuse. D’un côté, l’ascétisme protestant s’opposait à « la jouissance spontanée des richesses et freina la consommation », de l’autre, il eut pour « effet psychologique » de « débarrasser des inhibitions de l’éthique traditionnaliste le désir d’acquérir » (WEBER, 1964, p. 190). En instituant un nouveau mode de comportement,

l’ascétisme protestant, par ses effets, a contribué à l’oubli des idées originelles qui l’avaient façonné. Les conduites capitalistes qu’il a consolidées sont maintenant coupées, d’après Weber, de l’idéal moral qu’elles réalisaient, surtout au XVIIe siècle. C’est dans ce désenchantement que Weber voit la signification culturelle du capitalisme.

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Comme Durkheim, Weber repère l’origine de pratiques actuelles dans des idées formulées dans un autre contexte et avec des intentions différentes, idées qui ont perdu de leur force de persuasion ou qui ont été oubliées. Ainsi la volonté ascétique des premiers puritains, si elle ne concernait que des groupes sociaux marginalisés dans leur propre pays, a finalement connu une si large diffusion qu’elle a participé à « l’édification du cosmos prodigieux de l’ordre économique moderne » (WEBER, 1964, p. 203). La conclusion qu’il en tire est

cependant d’un profond pessimisme. La disparition des justifications morales des actions humaines semble irrémédiable, contrairement à la conviction durkheimienne. Aux yeux de Weber, l’ascétisme a « transform[é] le monde » au point que les mécanismes qu’il a contribué à construire n’ont plus besoin des idées qui le motivaient : « l’esprit de l’ascétisme religieux s’est échappé de la cage ». L’ « accomplissement du devoir professionnel » s’est détaché des « valeurs spirituelles et culturelles les plus élevées » et n’a plus besoin de justification, ce que Weber déplore (WEBER, 1964, p. 203)19. Même s’il

prétend ne pas anticiper sur la suite de ce processus, le déclin d’idéaux ne fait aucun doute pour Weber : « pour les "derniers hommes" de ce développement de la civilisation, ces mots pourraient se tourner en vérité - "Spécialistes sans vision et voluptueux sans cœur - ce néant s'imagine avoir gravi un degré de l'humanité jamais atteint jusque-là » (WEBER, 1964,

p. 204). Il prophétise d’ailleurs l’épuisement des ressources pétrolières : « [L’o]rdre [économique moderne] lié aux conditions techniques et économiques de la production mécanique et machiniste […] détermine, avec une force irrésistible, le style de vie de l'ensemble des individus nés dans ce mécanisme […]. Peut-être le déterminera-t-il jusqu'à ce que la dernière tonne de carburant fossile ait achevé de se consumer. » (WEBER, 1964, p.

203.)

19 "Le puritain voulait être un homme besogneux - et nous sommes forcés de l'être. Car lorsque l'ascétisme se

trouva transféré de la cellule des moines dans la vie professionnelle et qu'il commença à dominer la moralité séculière, ce fut pour participer à l'édification du cosmos prodigieux de l'ordre économique moderne. Ordre lié aux conditions techniques et économiques de la production mécanique et machiniste qui détermine, avec une force irrésistible, le style de vie de l'ensemble des individus nés dans ce mécanisme - et pas seulement de ceux que concerne directement l'acquisition économique. Peut-être le déterminera-t-il jusqu'à ce que la dernière tonne de carburant fossile ait achevé de se Consumer. Selon les vues de Baxter, le souci des biens extérieurs ne devait peser sur les épaules de ses saints qu'à la façon d'"un léger manteau qu'à chaque instant l'on peut rejeter". Mais la fatalité a transformé ce manteau en une cage d'acier." (WEBER, 1964, p. 203)

Des historiens économiques ont contredit la thèse de Weber, ou plutôt la lecture qu’ils en faisaient, d’une origine du capitalisme dans la morale protestante en démontrant l’existence d’un capitalisme actif au Moyen Âge en Europe, donc avant la Réforme protestante (LEFORT, 1978, p. 193). L’explication de la montée du capitalisme serait essentiellement

économique (LEFORT, 1978. p. 195). On reprocha à Weber l’erreur méthodologique

d’avoir relié des phénomènes hétérogènes et on douta de sa compréhension de l’esprit protestant, ni révolutionnaire, ni incitatif à la liberté ou à l’individualisme économique (LEFORT, 1978, p. 195-199). Le fait que l’esprit catholique ait pu, par exemple chez les

Jésuites au XVIIe siècle, évoluer en s’adaptant au capitalisme remettrait également en question la particularité des liens du capitalisme avec l’esprit protestant (LEFORT, 1978, p.

200).

Les précisions de Weber lui-même incitent à ne pas rejeter sa thèse en bloc. Il n’ignore pas l’existence de formes de capitalisme antérieures à la Réforme protestante. En conséquence, il affirme ne pas prétendre décrire un lien de cause à effet direct entre la Réforme et la naissance du capitalisme. Il explique avoir plutôt cherché en quoi certains de ses éléments religieux ont pu contribuer à la formation de l’esprit capitaliste et à son « expansion à travers le monde » (WEBER, 1964, p. 103). Parmi les thèmes wébériens, Lefort reconnaît à

la fois l’affinité entre la « conscience protestante » et la « conscience capitaliste » ainsi que le rôle joué par le protestantisme dans l’évolution des pratiques, puisqu’il aurait « inaugur[é] une synthèse subjective entre la religion et la conduite des hommes » (LEFORT,

1978, p. 206-207). Ce qui n’empêche pas Lefort de formuler des exigences pour une sociologie historique analysant les relations entre les idées religieuses et les transformations des pratiques, en reconnaissant « l’indétermination réelle du protestantisme », pouvant engendrer des « conditions sociales opposées », tout en demeurant attentif au parcours qu’il suivit réellement, en l’interprétant « en fonction de son propre sens » et en le situant « dans la dialectique sociale » (LEFORT, 1978, p. 209). D’ailleurs, ces exigences rappellent

davantage qu’elles ne corrigent les exigences de Weber lui-même dans ses précautions d’analyse, auxquelles l’incite l’aveu qu’il fait de n’avoir pu rendre compte de toutes les relations historiques significatives existant entre la moralité protestante et ses effets sociaux (WEBER, 1964, p. 204-205). Elles sont proches également de la démarche de sociologie

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historique empruntée par Durkheim, pour qui le sens des transformations se saisit dans le questionnement des effets observés dans les âges successifs, et dont la complexité des conditions révèle en fait leur indétermination objective. Appliquée à la thèse wébérienne, on conçoit dans la Réforme, à l’instar de Lefort, « une indétermination réelle » et l’impertinence de la réduire « à une fonction sociale précise ». Comme lui, nous considérons que Weber a néanmoins démontré, comme il l’exprime si clairement, « son lien avec la bourgeoisie », qui « ne fut pas accidentel », et « le sens qu’elle prit avec le puritanisme par sa dialectique interne, puisqu’elle apparut à un moment de l’histoire pour

permettre de nouvelles réponses. » L’avantage de son recul historique permet à Lefort de

formaliser l’existence d’une relation dialectique entre le protestantisme et le capitalisme, qu’il considère comme deux modes de la même réalité sociale qu’est la bourgeoisie. Par ailleurs milieux d’expression de cette dernière, ces deux niveaux s’influencent mutuellement dans leurs mutations (LEFORT, 1978, p. 212-213).

Conclusion

Maintenant, si nous nous attardons au présent objet d’étude, l’idéal d’homme à former, Durkheim et Weber se rejoignent dans son analyse : saisir l’émergence et le développement d’un idéal humain pouvant déterminer les pratiques bien au-delà du contexte social et historique où il s’est manifesté. Repérer les traits d’un idéal humain agissant à l’intérieur d’un milieu culturel particulier mais s’appropriant la définition de la formation des personnes peut permettre de reconstituer l’esprit de la société dans son ensemble s’il a été