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Contrairement à Rousseau qui le fait pour des causes circonstancielles, Condorcet ne remet pas en question l’enseignement fait au sein des établissements scolaires dès la deuxième enfance (plus ou moins à partir de 7 ans). Il réduit cependant le large espace jusqu’alors accordé aux humanités classiques tandis que Rousseau continuait de les préférer quand les capacités intellectuelles de l’adolescent semblaient le prédisposer à en bénéficier. Tandis que Rousseau ébranlait la conception traditionnelle de l’interaction éducative entre l’enfant et le maître, Condorcet peut être considéré comme l’un des fondateurs du système d’instruction publique et laïque. Les appels à une réforme de l’éducation qui précèdent Condorcet souhaitaient déjà pourtant que l’éducation cléricale soit remplacée par un enseignement non confessionnel ou national « permettant au citoyen de remplir ses devoirs et d’exercer ses droits à l’intérieur d’une société civile. » (BAKER, 1988, p. 382). Plusieurs

projets prérévolutionnaires, considérant désuet l’enseignement du latin et de la philosophie orienté vers le passé et les lettres, réclamaient de plus son remplacement par une éducation davantage tournée vers la connaissance du présent et fondée sur les sciences et les faits (BAKER, 1988, p. 382). En offrant l’enseignement gratuit aux garçons issus des classes

populaires dans la langue maternelle, au sein d’établissements obéissant à des règles d’organisation strictes et efficaces et recourant à des supports pédagogiques différenciés pour les élèves et les maîtres, les Frères des écoles chrétiennes l’avaient devancés dans la mise en place d’une école ouverte aux plus démunis et organisée pour favoriser leur progression (par exemple, la division par niveaux ou le système de catalogues et d’observations des enfants).

L’acte fondateur du système scolaire de Condorcet résiderait dans l’effort de synthèse qu’il a fait, en héritier des Lumières et en acteur de la Révolution, pour penser un système d’instruction publique qu’il voulait guidé par la recherche de la vérité et l’accomplissement de la liberté, et pour établir les moyens concrets de réaliser ces idéaux dans de nouvelles institutions. C’est donc bien au sein de la société civile qu’il veut repenser l’éducation et non pas à son écart, ce qui illustre la différence d’opinion envers la société de leur temps de Rousseau et Condorcet, le deuxième étant porté par les espoirs permis par la Révolution française. Les Cinq mémoires et l’Esquisse composés par Condorcet exposent la

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philosophie de l’histoire qui guide ce projet pour la réalisation de la liberté. Le premier de ces deux ouvrages expose les principes de base de l’instruction publique qui la permettraient. Le Rapport et le Projet de décret traduisent pour la législation cette possibilité. Puis les Moyens d’apprendre à compter sûrement et simplement exposent la pratique de l’enseignement qui, en diffusant les savoirs de manière à ce qu’ils soient compris et retenus, permettrait l’autonomie du jugement. Chacun de ces écrits est guidé par la conviction que les progrès de l’esprit humain et la perfectibilité technique du genre humain peuvent et doivent se faire simultanément, coordination possible grâce à l’exercice de la raison, elle-même tendue vers la quête incessante de la vérité pourtant non éternelle et non immuable. De tels progrès garantissent aux yeux de Condorcet l’accès de tous à la liberté de leur action, de leur jugement et à sa préservation. Il milite en somme pour l’universalisation du développement de la raison intellectuelle par l’accès généralisé et égalitaire à l’instruction publique.

C’est le double parcours de philosophe et d’homme politique qui mena Condorcet à s’intéresser à l’instruction publique (BAKER, 1988, p. 13). Il partage avec les philosophes

des Lumières la conviction de la possibilité du progrès des lumières et de la perfectibilité indéfinie du genre humain. Toutefois, l’implication de l’instruction publique dans la diffusion des Lumières ne va pas plus de soi pour le Condorcet d’avant 1789 que pour plusieurs de ses prédécesseurs. L’opposition à l’instruction des enfants des paysans, du peuple travailleur, qui nuirait à la production de ressources, à l’ordre social et au besoin d’une main-d’œuvre productive, est d’ailleurs typique des Lumières et est présente chez Rousseau, Voltaire et La Chalotais (QUÉNIART, 2003, p. 401). L’intérêt d’inciter

massivement les enfants du peuple et des artisans à fréquenter les petites écoles est davantage ressenti dès le XVIIe siècle par l’Église catholique, pour contrer le réformisme protestant apprenant la lecture et l’écriture à ses fidèles, et par les nobles, moitié par charité, moitié dans un souci d’ordre public (QUÉNIART, 2003, p. 395-397).

D’abord en faveur d’une monarchie constitutionnelle et éclairée, Condorcet se montre en effet méfiant à l’égard d’une démocratie dans laquelle les masses pourraient exercer, par le biais du suffrage universel, une tyrannie aveugle, alors qu’elles s’enthousiasment

facilement pour les idées et les superstitions professées par des charlatans (BAKER, 1988, p.

352). Avec la Révolution, la philosophie condorcétienne du progrès qui prenait forme rencontrait soudainement un écho dans la réalité : « Un heureux événement [la Révolution de 1789] a tout à coup ouvert une carrière immense aux espérances du genre humain ; un

seul instant a mi un siècle de distance entre l’homme du jour et celui du lendemain. »

(CONDORCET, 1994, p. 271). Le progrès accéléré par la Révolution rend la démocratie

acceptable, à condition qu’une instruction publique rassemble les enfants de toutes les classes sociales au niveau élémentaire. Ceci garantit de la part du peuple un support et une participation rationnels à la démocratie tout en encourageant plus largement la réalisation de l’égalité entre les classes sociales. La conviction voulant que la démocratie éclairée soit possible reposait sur la croyance commune aux Lumières en les « vertus éclairantes du savoir rationnel » (KAHN, 2001, p. 8-9). Pour Condorcet, que Kahn appelle le « dernier

philosophe », le progrès politique qui s’accomplit exige que chacun connaisse ses droits et la Constitution. Nous verrons comment cela est lié au progrès permettant d’accéder au bonheur universel.

La raison chez le peuple

Dans l’esprit de Condorcet, les différentes finalités de la science et une constitution respectueuse des droits naturels peuvent s’articuler ensemble. Il relie ensemble la redéfinition de l’intérêt général, fondé sur la liberté et l’égalité entre tous, avec la perfection de l’espèce humaine, les progrès de l’esprit humain et l’accroissement du bonheur. Comment une telle harmonisation est-elle possible ou même nécessaire? Au perfectionnement que permet la découverte de nouvelles vérités correspond un accroissement du bonheur : « [c’est] un véritable devoir de favoriser la découverte des vérités spéculatives, comme l’unique moyen de porter successivement l’espèce humaine aux divers degrés de perfection, et par conséquent de bonheur, où la nature lui permet d’aspirer » (CONDORCET, 1994, p. 68). Mais l’espèce humaine, si elle s’arrêtait à un niveau

de perfectionnement sans chercher à le dépasser, verrait son bonheur décliner. Condorcet affirme en effet dans la même phrase que « le bien ne peut être durable, si l’on ne fait des progrès vers le mieux, et qu’il faut, ou marcher vers la perfection, ou s’exposer à être

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entraîné en arrière par le choc continuel et inévitable des passions, des erreurs et des événements. » L’espèce humaine est condamnée à se perfectionner sans jamais espérer trouver de terme, puisque c’est précisément le progrès qui donne sens à son existence dans son incessante quête d’harmonie. « C’est en répandant les lumières que, réduisant la corruption à une honteuse impuissance, vous ferez naître ces vertus publiques qui seules peuvent affermir et honorer le règne éternel d’une paisible liberté. » (CONDORCET, 1994, p.

106). La liberté elle-même ne peut se perpétuer dans un ordre social stagnant. Charles Coutel et Catherine Kintzler proposent une clé au problème de cette harmonie en mettant en évidence « [l]’idée maîtresse consistant à articuler l’ordre de la cité (le politique), celui de l’accès à l’humanité (le pédagogique) et celui de la vérité (l’épistémologique) » par l’instruction publique, qui participe philosophiquement à la fondation de la république et qui « contribue institutionnellement à son fonctionnement » (COUTEL et KINTZLER, 1994, p.

18-19). L’instruction publique institue la permanence de l’exercice de la raison et de l’amour de l’humanité dans cet univers mouvant qu’est la quête de la liberté. L’amour de la vérité et de l’humanité s’identifient dans un régime politique qui se place sous l’autorité de la raison en offrant l’instruction à son peuple. Il s’agit de ce que Condorcet désignait par le terme de république. C’est parce qu’il est conscient de l’existence de différents types de progrès qu’il veut organiser une instruction publique qui réduira dans l’avenir l’écart entre les individus. Le progrès technique, s’il ne s’accompagne pas de celui de l’esprit humain (ou de la masse des connaissances), n’entraîne pas automatiquement le progrès moral – puisque la vertu, en prenant racine dans les sentiments humains qui tiennent à l’animalité humaine, demeure le résultat de l’acquisition de connaissances. C’est pourquoi il faut démocratiser l’accès à l’instruction, en appliquant le principe d’égalité entre futurs citoyens.

Les éléments d’une philosophie du progrès diffuseuse des lumières de la raison, ou une philosophie de l’histoire, apparaît dans les Cinq mémoires sur l’instruction publique quelques années avant qu’elle ne soit systématisée dans l’Esquisse.

Rôles économique, politique et civilisationnel de l’instruction publique

Le Premier mémoire expose « la nature et l’objet » de l’instruction publique ou, pour le dire autrement, sa contribution au bonheur généralisé, au perfectionnement de l’espèce et au progrès de l’esprit. Trois raisons principales en font un devoir de la société : celle qui vient en premier a trait aux droits naturels, la deuxième vise l’intérêt général pour l’harmonie de la société civile, la dernière concerne le progrès caractérisant le déroulement de l’histoire. Le plus pressant au lendemain de la Révolution est de faire respecter les droits exposés dans la Déclaration, qui sont censés mettre fin à la soumission de certaines classes à la volonté de ceux qui détiennent exclusivement le pouvoir ou le savoir éclairé. Condorcet suggère que l’humanité a été séparée dès les débuts de son histoire en deux classes, l’une faite pour enseigner, l’autre faite pour croire (CONDORCET, 1988, p. 95). Les détenteurs du

pouvoir, les prêtres autant que les rois, auraient délibérément maintenu le peuple dans l’ignorance (CONDORCET, 1988, p. 119). Heureusement, la philosophie n’a cessé de mener

la guerre contre ces « oppresseurs de l’humanité », s’engageant ainsi à laisser l’esprit humain suivre son progrès naturel (CONDORCET, 1988, p. 128). Le « bien-être des

individus » par quoi commence le respect des droits naturels tombe pour ceux qui dépendent de la capacité d’autrui à user de leur raison (CONDORCET, 1994, p. 61-62). En

éliminant l’ignorance juridique, l’apprentissage par chacun des éléments nécessaires à l’exercice de la citoyenneté pour jouir de ses droits élimine la possibilité de la tyrannie. L’égalité entre les citoyens devient réelle quand il n’existe plus d’inégalités opposant savants et ignorants. Elle demeure compatible avec une hiérarchisation liée aux degrés de savoir déterminés par les inégalités naturelles entre les talents. Avec la multiplication de gens instruits, la masse des « lumières utiles » devrait augmenter, ce qui devrait assurer que la nation elle-même obtienne « une administration sage et une constitution vraiment libre », dont les lois seraient établies et conservées rationnellement, contribuant ainsi directement au maintien du bonheur commun (CONDORCET, 1994, p. 64).

En offrant aussi « une instruction publique relative aux diverses professions », non seulement chacun a la possibilité de choisir une profession selon ses goûts et ses talents, mais les arts eux-mêmes se perfectionnent et contribuent au bien-être matériel généralisé, à améliorer la salubrité des conditions dans lesquelles s’exercent les diverses professions et à

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offrir un support aux artisans innovateurs qui cherchent à faciliter les différentes opérations techniques de leur métier (CONDORCET, 1994, p. 65-67). Réaliser l’égalité des droits et

rendre meilleure et plus utile l’exercice des professions diverses sont des conditions pour que le bonheur devienne commun en ne laissant personne dans la dépendance ou dans l’inconfort matériel. Tels sont les objectifs de l’instruction orientés vers les individus et la société. Elle a d’autres objectifs qui orientent le devenir humain lui-même.

L’esprit et l’espèce sont deux choses différentes et n’appellent pas le même genre de changement. L’esprit humain, comme Kintzler le met en évidence, est « l’espèce humaine abstraite », un « objet théorique » (KINTZLER, 1984b, p. 88) ; « le terme renvoie à une

réalité épistémologique, à un ensemble de procédés » par lesquelles sont accumulées des connaissances (KINTZLER, 1984b, p. 89). Il progresse en évoluant, en avançant indéfiniment

vers un terme idéal. Pour suivre ce dynamisme intellectuel, l’espèce humaine empirique, formée de l’ensemble des êtres humains, se perfectionne en améliorant les conditions dans lesquelles elle peut exercer ses facultés pour les décupler, à l’aide de machines par exemple ou de l’héritage culturel synthétisé permettant de rechercher d’autres vérités. Ses facultés ne sont pas plus développées que celles des générations précédentes, même si cela serait souhaitable. Kintzler résume ainsi la loi du progrès selon Condorcet, qui n’est pas celle du XIXe siècle :

« plus la masse des vérités produites augmente (ce qui est inévitable), plus l’humanité a besoin d’une grande force intellectuelle pour la faire fructifier et pour en jouir, sous peine de se voir écrasée par elle. Tout se passe alors comme si Condorcet faisait implicitement usage de deux concepts du progrès : l’un, mécanique, désigne une masse de choses ; l’autre, dynamique et finalisé, désigne une volonté, un programme, un devoir-être. Mécanisme aveugle, le progrès est aussi une tâche à accomplir. Parce qu’il y a un progrès, il faut progresser. » (KINTZLER, 1984b, p. 92)

L’instruction publique est devenue un devoir de la société pour le perfectionnement technique et scientifique de l’espèce, cela pour plusieurs raisons. Outre qu’elle récupère ceux qui ont du talent et du génie pour qu’ils se perfectionnent et en fassent profiter leurs concitoyens, elle contribue réellement au progrès de l’esprit humain en transmettant aux nouvelles générations l’héritage culturel. Les vérités nouvelles, en se transmettant de

génération en génération, se simplifient pour être intériorisées plus facilement et faire place à l’apprentissage des nouvelles vérités (CONDORCET, 1994, p. 67-73). Par ailleurs, les

facultés de la raison se maintiendront dans le peuple par une instruction différenciée pour les enfants, qui y sont initiés, et pour les adultes, qui peuvent non seulement oublier ce qu’ils ont appris, ne pas suivre l’évolution des connaissances mais aussi perdre l’habitude d’exercer leur esprit (CONDORCET, 1994, p. 74-75).

La croyance en le progrès de l’esprit humain contre l’obscurantisme et la croyance en la réduction des inégalités sociales et politiques qu’elle encouragera, pour le plus grand bonheur de tous, fondent et orientent l’organisation du système d’instruction que Condorcet élabore dans les Cinq mémoires et dans le Rapport. Il fait de l’instruction une institution au service de sa philosophie de l’histoire visant l’humanité au-delà de la patrie. L’une des conditions fondamentales du progrès de la raison est en effet sa diffusion chez les masses qui, quand elles sont instruites, n’offrent plus le terreau habituel de la tyrannie méprisant et empêchant l’activité savante (CONDORCET, 1994, p. 105.)

Les principes de l’instruction publique

Les principes au fondement de l’instruction publique qui permettent de rencontrer ces finalités sont la gratuité et la laïcité, respectueuses des droits naturels. Le souci de respecter l’égalité naturelle, celle qui admet des inégalités de talents, et celui de laisser libre cours à l’avancement intellectuel des plus talentueux pour le progrès de la raison déterminent l’organisation scolaire. L’égalité et la liberté ne s’y pensent pas séparément, bien que la première soit subordonnée à l’autre : chaque principe d’organisation sert à les affirmer comme deux conditions inséparables pour le bonheur de tous. Nous pouvons distinguer deux groupes de principes selon qu’ils insistent davantage sur l’une ou l’autre valeur. Le premier groupe de principes vise principalement à assurer l’égalité dans l’accès au savoir, même s’il respecte également la liberté qui consiste à pouvoir y accéder. La

gratuité de l’enseignement à tous les degrés ouvre la porte de l’école à tous les enfants46. Le seul moyen de sélection qu’admette Condorcet est celui du mérite, que rien ne permet de

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considérer comme distribué inégalement entre les classes sociales. La mixité, sociale et

sexuelle, repose de même sur la reconnaissance de l’égalité naturelle entre les enfants mais

aussi sur la conscience de l’inégalité à laquelle conduit l’éducation. Une éducation différenciée selon l’origine sociale maintiendrait le pouvoir intellectuel et moral que la plus éclairée d’entre elles détient sur l’autre : « Le fils du riche ne sera point de la même classe que le fils du pauvre, si aucune institution publique ne les rapproche par l’instruction, et la classe qui en recevra une plus soignée aura nécessairement des mœurs plus douces, une probité plus délicate, une honnêteté plus scrupuleuse […]. » (CONDORCET, 1994, p. 64.)

La recommandation de réunir les femmes et les hommes dans les mêmes locaux présentent plusieurs avantages. S’il répond d’abord à un souci d’économie de ressources, ce rassemblement s’avère également utile pour les mœurs, comme Rousseau, affirme Condorcet, le concevait pour les divertissements : « toujours en public, et sous les yeux du maître, loin d’avoir du danger pour les mœurs, [il] serait bien plutôt un préservatif contre ces diverses espèces de corruption dont la séparation des sexes […] est la principale cause. » (CONDORCET, 1994, p. 101). La réunion des deux sexes aurait pour avantage de

remplacer l’émulation stimulée par la quête d’honneurs et de prestige par la quête d’estime de la part de l’autre sexe (CONDORCET, 1994, p. 102-103). Dans l’Esquisse, Condorcet

rejette de plus le préjugé selon lequel les capacités intellectuelles et physiques des femmes les empêcheraient de suivre un enseignement poussé (CONDORCET, 1988, p. 287). D’autres

arguments militent en faveur de l’abandon de la séparation des sexes. Elle est encore moins pertinente pour les classes populaires que pour les classes riches vue la différenciation moins poussée des tâches qui s’y observe. La justification première employée par ceux qui veulent la maintenir est peu noble : elle « a pour principale cause l’avarice et l’orgueil » faisant craindre que des liaisons se fondent sur des rapports personnels. La maintenir conduirait à « conserver l’esprit d’inégalité dans les femmes », limitées à « l’éducation solitaire et domestique », « ce qui empêcherait de le détruire dans les hommes. » (CONDORCET, 1994, p. 101.)

46 Ce moyen d’ailleurs est déjà appliqué par les écoles primaires tenues par des congrégations religieuses,

L’organisation en degrés se fonde sur une théorie de la connaissance dans laquelle le

savoir élémentaire ne se distingue du savoir scientifique que par le degré de compréhension atteint, autre condition de l’égalité. Les deux degrés du savoir ne diffèrent pas dans leur nature, mais dans la précision des idées à laquelle ils font accéder. Il n’y a donc pas de savoir populaire, ou de sens commun, qui serait séparé d’un savoir scientifique. Il n’y a que différents degrés de savoir scientifique qui, tous, libèrent des opinions erronées et des superstitions (CONDORCET, 1994, p.188). Cette conception du savoir n’admet pas ou que

très peu celui qui vient de la tradition. Elle aperçoit peu le savoir-faire transmis de générations en générations par les métiers, les habitudes, voire les superstitions, quoique Condorcet admet qu’il ne peut être entièrement chimérique et qu’il repose du moins sur l’habitude de l’observation.

Si elle considère peu le savoir pratique issu de la tradition trop susceptible d’obscurantisme, cette hiérarchie introduit précisément la possibilité pour celui qui n’a reçu que l’instruction élémentaire de conserver sa liberté de jugement. Ce dernier en sait assez pour distinguer le savant du charlatan et lui accorder sa confiance. Il recherchera d’autant plus la vérité qu’il aura appris à utiliser son raisonnement, qu’il aura appris, comme le veut la devise des Lumières résumée par Kant, à s’en servir de manière autonome, sans s’en remettre aveuglément à une quelconque autorité. Condorcet prévoit donc dans le Rapport qu’il présente en assemblée cinq degrés d’instruction, en commençant par les écoles primaires,