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Il faut schématiser cet idéaltype afin d’identifier des indicateurs à rattacher à ses dimensions, en distinguant les échelles d’humanités, les états individuels et collectifs à produire (les idéaux pédagogiques) et les pratiques pédagogiques correspondantes. Certaines pratiques pédagogiques communes ressortent des textes de ces philosophes :

- enracinement des connaissances dans le développement des sens ; - intérêt pour la connaissance des choses palpables ;

- préoccupation envers les capacités de l’enfant pour ne pas étouffer le déploiement de sa volonté ;

- modération dans le maniement de l’autorité pédagogique ;

- utilisation de méthodes qui favorisent l’exercice du jugement et de la réflexion ; - enseignement dans la langue maternelle pour une meilleure appropriation des

savoirs ;

- ajout des sciences et langues modernes dans les matières importantes.

Le Tableau 1 applique la définition que Durkheim donne du concept d’idéal pédagogique en le décomposant en ses dimensions : les états à susciter par l’éducation (états physiques, intellectuels ou moraux), les éléments de la situation qui la déterminent (besoins, sentiments, idées collectives ou causes extérieures aux consciences), et les caractéristiques de sa mise en pratique (l’ensemble des actions pédagogiques : la matière, la méthode pédagogique, les places relatives de la liberté de l’enfant et de l’autorité de l’adulte, le matériel pédagogique, l’autorité éducative et la structure de l’enseignement). Ceci constitue une première grille de lecture des documents bas-canadiens permettant d’y repérer ces trois dimensions. Pour étudier les idéaux pédagogiques bas-canadiens, il faut donc chercher les états physiques, intellectuels ou moraux que l’instruction publique doit produire chez ceux qu’on veut instruire. Pour en comprendre le sens, il faut chercher ce qui détermine ces aspirations collectives orientées vers les nouvelles générations : à quels besoins, sentiments pour l’attachement à l’humanité, Hegel parce que l’Esprit universel qui se développe à travers une succession de moments singuliers trouve son achèvement provisoire dans l’Esprit d’un peuple (voir Principes de la

ou idées répondent-elles? À quelle situation ou changement social constituent-elles des adaptations? Et enfin, par quelle sorte de moyens pédagogiques estime-t-on pouvoir y arriver?

Tableau 1 : Les idéaux pédagogiques

Idéaux

pédagogiques États (aptitudes, comportements ; fins) Physiques Intellectuels Moraux

Déterminations Besoins

Sentiments Idées

Causes extérieures

Pratiques (moyens) Matière (savoirs) enseignée Méthode pédagogique

Rapport pédagogique (liberté vs autorité) Matériel pédagogique

Autorité éducative

Structure de l’enseignement

Après une première lecture des documents à partir de cette grille, le Tableau 2 oriente l’articulation de leurs éléments. Il décompose l’idéal pédagogique en différentes échelles d’humanité qu’il peut viser selon la philosophie politique moderne, que ce soit la personne, la société politique ou la civilisation. Ce sont, en fait, trois projets de la philosophie politique moderne. La société politique se divise entre le projet politique déterminant les rapports au sein de la société plurielle et la référence collective qui l’englobe. Au-dessus, avant et après se trouve la civilisation, qui est une conception du devenir de l’humanité avec laquelle Rousseau prend distance63. Dans chacune de ces échelles on cherche à produire des états individuels ou collectifs grâce à certaines pratiques éducatives.

philosophie du droit), Durkheim, parce que l’idéal national et l’idéal humain se confondent en un seul du fait de la nécessaire pluralité d’États dans la réalisation de l’humanité (DURKHEIM, 1963 : 66).

63 Kant distingue de même trois finalités de l’éducation : l’individu ayant une valeur pour lui-même (culture didactique lui apprenant une habileté), le citoyen ayant une « valeur publique » (par la « culture de la prudence ») et l’homme ayant une « valeur morale » (par l’éducation morale) (Kant, 1966, p. 89-90)..

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À l’échelle individuelle on veut produire la liberté individuelle. On y arrive en dosant les occasions d’expérimentation libres et l’action de l’autorité : le but est d’encourager la liberté de l’enfant tout en l’encadrant. Les encouragements à l’autonomie que préconise Rousseau découlent de sa croyance envers des potentiels insoupçonnés dont on ne connaît pas les limites. Enfin, pour produire la liberté individuelle, il faut développer la conscience de soi, le sentiment de la dignité personnelle et celui de la liberté autant que les facultés physiques, intellectuelles et morale. Pour cela les pédagogues modernes recommandent de respecter les capacités et le développement de chaque enfant, en leur adaptant les exigences, et en évitant d’appliquer des diagnostics précoces ou abusifs quant à ses potentiels. Dans la même logique, l’initiation au raisonnement doit se faire progressivement. Comme ce développement, encouragé de l’extérieur, par les adultes, se fait néanmoins de l’intérieur chez les enfants, les pédagogues modernes portent attention aux ressources pédagogiques de l’enfant : pour Rousseau il est stimulé selon l’âge par la nécessité, la curiosité puis l’amour d’autrui, il l’est surtout par la curiosité aux yeux de Condorcet, tandis que Hegel insiste plutôt sur la volonté du sujet comme d’une disposition intérieure aux mobiles indéfinis tant que la socialisation n’a pas commencé. C’est dire les limites normatives de l’idéal pédagogique moderne, qui demeure ouvert à l’inconnu de ce que deviendra l’enfant et aux potentiels insoupçonnés qui peuvent dormir en lui. Dans l’idéal pédagogique moderne, l’éducation ne peut et ne doit prendre en charge la totalité du développement de l’enfant. Autrement, ce serait fermer la porte à ce que l’humanité peut devenir.

À l’échelle de la société politique, les philosophes espèrent l’atteinte d’une société harmonieuse qui repose sur l’entente entre des individus à la fois libres dans leur raisonnement et leur jugement, égaux dans leurs statuts politiques, et solidaires dans la volonté de respecter le bien commun. Les états individuels qu’il faut produire pour y arriver sont d’abord la distinction entre les rôles que l’individu occupe dans la sphère domestique et la sphère publique. En éducation, cela se traduit par la distinction entre éducation et instruction, comme le fait Condorcet pour libérer les espaces de délibération politique, dans des sociétés plurielles, des croyances religieuses, des superstitions et des idéologies

particulières. Une autre façon de le faire est de réserver, comme le font Rousseau et Hegel, la préparation à la société politique aux hommes, et d’orienter l’éducation des femmes vers la vie domestique et les soins physiques et affectifs aux autres membres de la famille, option que refuse Condorcet. Ce qui est commun aux trois est néanmoins l’idée qu’il faille une éducation sentimentale, morale et spirituelle privée, qu’elle relève des mères et des Églises ou d’une distinction entre instruction et éducation, en parallèle d’une éducation à une morale politique et d’une préparation à la vie économique et politique de la société qui fasse consensus. Un autre état individuel à produire est la capacité à occuper une fonction utile dans la division sociale du travail, par l’apprentissage d’un métier s’ajoutant au développement de l’autonomie du jugement. Pour développer les vertus civiques et l’aptitude à remplir ses devoirs politiques, il faut que les élèves apprennent la vie en société en dehors de la famille, opportunité que Rousseau et Hegel réservent aux garçons, le premier en encourageant le voyage, le deuxième en encourageant la fréquentation d’établissements d’enseignement. Il importe aussi de faire connaître les institutions et les devoirs s’y rapportant, ce qui s’ajoute également à la capacité de raisonner librement développée antérieurement et parallèlement.

Le projet politique des philosophes modernes implique de plus la production d’états collectifs comme le partage d’une morale commune et la conscience partagée de participer à une communauté politique. Les pratiques pédagogiques correspondantes se font par le biais du système d’instruction publique : la séparation de l’Église, relevant de la sphère privée, et de l’État, protecteur des conditions d’exercice de la raison, l’encouragement à s’instruire (la gratuité et l’accessibilité géographique chez Condorcet), un enseignement moral commun (laïque chez Condorcet) et la connaissance par l’individu de ses droits et des institutions politiques.

Cette communauté politique se saisit chez l’ensemble des individus par le partage d’une « référence collective » englobante, résultant en un attachement commun envers la patrie qui demeure pourtant subordonné à l’amour de l’humanité. Cela suppose l’enseignement de l’histoire et dans une langue commune. Les philosophes ne le disent pas explicitement mais Hegel le sous-entend dans les Principes de la philosophie du droit par l’importance qu’il

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accorde à la coutume pour lier la société et assoir l’attachement à ce qu’il appelle « l’esprit du peuple ». La connaissance d’autres collectivités, comme chez Rousseau et Hegel, ou la conscience du caractère perfectible de la république, comme chez Condorcet, montre l’importance pour eux de subordonner cet attachement à un humanisme. C’est une autre illustration de la limite imposée à l’idéal pédagogique moderne, en tant que conception des états à produire intentionnellement, par ceux qui l’expriment en refusant certains excès autoritaires, autant dans les actions éducatives que dans la conception des états collectifs à produire comme la communauté politique ou l’identité collective.

Tableau 2 : Division des idéaux pédagogiques modernes selon les échelles d’humanité et les pratiques éducatives correspondantes

Échelle d’humanité - Idéaux pédagogiques modernes

- (états à produire) - Pratiques éducatives La personne

(reconnaissance de l’individu)

Liberté individuelle

Limites des potentiels inconnues Conditions (états individuels) :

- conscience de soi

- facultés physiques, intellectuelles et morales développées

- sentiment de la dignité personnelle - sentiment de liberté

- spiritualité intérieure (Rousseau)

Dosage des occasions d’expérimentation libres et de l’autorité pour préserver la liberté de l’enfant tout en l’encadrant

Encouragements à l’autonomie (Rousseau) Respect des capacités et du développement de l’enfant

Attention portée aux ressources pédagogiques de l’enfant64

La société politique (formation du citoyen) :

- Le projet politique

Une société harmonieuse repose sur l’entente entre individus libres et égaux voulant le bien commun (idée, sentiment).

États individuels à produire :

1. Distinction du rôle de l’individu dans

Pour intégrer l’individu socialement, économiquement et politiquement

1. Distinction entre éducation et

64 Remarque : les statuts intellectuel et politique inférieurs imposés aux femmes, justifiés par les faiblesses

attribuées à leur sexe, sont incohérents avec la mise en évidence des dispositions universelles de l’être humain et du rôle précisément libérateur de la pédagogie à l’égard des sens et des plaisirs immédiats, faiblesses communes aux deux sexes pendant l’enfance (Rousseau et Hegel).

Échelle d’humanité - Idéaux pédagogiques modernes

- (états à produire) - Pratiques éducatives la sphère domestique et la sphère

publique

2. Fonction utile de l’individu dans la division sociale du travail

3. Vertus civiques et devoirs politiques

4. États collectifs

- partage d’une morale commune - conscience de son intégration dans

une société politique

instruction, ou éducation différenciée selon les genres

2. Apprendre un métier ; fonder

l’autonomie du jugement sur la raison 3. Apprendre la vie en société hors de la

famille

Connaître les institutions et ses devoirs

Capacité de raisonner librement 4. Système d’instruction publique - séparation de l’Église et de l’État - nécessité de l’éducation et de

l’instruction

- enseignement moral commun - connaissance par l’individu de ses

droits et des institutions politiques - La référence

collective Patriotisme subordonné à l’amour de l’humanité Connaissances historiques et culturelles des caractéristiques identitaires ; socialisation à ces particularités (territoire, langue, histoire, autres particularités)

Connaissance des autres collectivités, dont celles de l’Antiquité

La civilisation ou l’humanité idéale (formation de l’homme)

Progrès moral, scientifique et technique de l’espèce jusqu’à un terme inconnu (idée) Ou

Réalisation d’une humanité vertueuse idéalisée

Continuité culturelle et scientifique avec les œuvres anciennes : initiation aux grandes œuvres porteuses de vérité

Unanimité autour du progrès technologique : - ajout de matières scientifiques et

d’expériences pratiques dans l’instruction

- encouragement à une activité

autonome du jugement et de la raison, fondés sur l’observation

Cette conviction d’appartenir à une commune humanité extérieure à la patrie coïncide avec la croyance en un progrès à la fois moral, scientifique et technique de l’espèce humaine jusqu’à un terme inconnu et inatteignable. Rousseau remplace cette croyance par l’idéal d’une humanité vertueuse indépendante du progrès. Dans l’éducation, cela se traduit par l’enseignement des œuvres anciennes entretenant la continuité culturelle avec les époques

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antérieures, et par la reconnaissance unanime de l’importance de s’adapter au progrès des sciences en incluant dans l’instruction des matières scientifiques et des expériences pratiques. L’encouragement à une activité autonome du jugement et de la raison, fondés sur l’observation, s’inscrit aussi dans cette visée.

Dans l’idéaltype de l’idéal pédagogique moderne, ces trois échelles d’humanité et ces états individuels et collectifs s’articulent à peu près comme suit. La liberté individuelle de la personne est protégée par un développement physique et intellectuel respectueux des capacités naturelles et en harmonie relative avec la société civile et l’idéal d’humanité plus abstrait. Le développement moral et intellectuel allie découverte personnelle à un héritage malléable provenant de la société. Dans l’abstrait, les limites des potentiels sont inconnues mais elles se révèlent dans l’interaction avec les choses, les différents niveaux de la vie sociale et l’héritage intellectuel et moral de la culture. Cette formation doit servir la réalisation du projet politique d’une société harmonieuse reposant sur l’entente entre des individus libres et égaux interagissant à l’intérieur d’institutions communes. La société politique concrète s’identifie à une référence collective, la patrie, pourtant subordonnée à l’amour de l’humanité tant est omniprésente la conscience d’un inachèvement collectif actuel. Le double attachement à la patrie, inscrite dans une histoire, et à la culture intellectuelle et morale des prédécesseurs, montre l’ouverture, ou le caractère indéterminé, du niveau le plus abstrait de l’idéal pédagogique, celui de l’humanité comme espèce s’étant accomplie, ou comme civilisation poursuivant sa réalisation morale, culturelle, scientifique et technique.

Ainsi les philosophes modernes répondent aux pédagogues progressistes que l’éducation doit attacher en partie les individus à la société dans laquelle ils vivent et à l’humanité plus abstraite, ce qui présuppose une certaine action pédagogique de la part d’une autorité porteuse d’une tradition indépendante de la société, en même temps que liée moralement et culturellement à celle-ci. Si Rousseau, en revanche, semble couper l’enfant de la société pour encourager l’action de la nature dans son développement, c’est parce que la société lui apparaît corrompue, et c’est en attendant que les potentiels naturels soient devenus mûrs. Une fois cela atteint, l’autorité du maître, des livres et de la tradition intellectuelle peut agir

sur l’enfant. Dans l’esprit de Rousseau, l’isolement par rapport au reste de la société facilitera l’acquisition de cette culture qui tend vers l’universel.

Ces philosophes répondent aussi aux critiques de la pédagogie contemporaine que l’éducation n’est pas une chose facile quand il s’agit de développer la liberté et l’usage assuré des facultés par les individus, chaque enfant ayant ses faiblesses comme ses potentiels propres. L’autorité peut être trop accablante comme elle peut être trop laxiste ; le juste milieu entre les deux extrêmes varie pour chaque enfant ou adolescent, d’où l’apparence de remise en question de l’autorité pédagogique, qui pourtant demeure, dans l’interaction éducative.

Pour discuter de la hiérarchie des autorités pédagogiques, Hegel fait la distinction entre ce qui relève de la famille, de la société civile et ce qui relève de l’État. La société civile est le lieu de rencontre des divers groupes et individus, ce qu’il appelle dans les Principes de la

Philosophie du droit le « système d’interdépendance des besoins », de l’interaction

desquels peuvent surgir des institutions ou des règles, indépendamment d’une volonté politique supérieure. L’État est une catégorie désignant aussi bien la société politique, soit la volonté d’une société de se rassembler sous une même autorité supérieure dans une communauté fondée sur l’idée du vivre-ensemble, et l’ensemble des fonctionnaires, des organismes gouvernementaux et de l’autorité politique supérieure. Cette distinction analytique entre la société civile, la société politique et l’État comme « organisation institutionnelle des pouvoirs » différenciés (KERVÉGAN dans Hegel, 2003, PPD, par. 269),

éclaire la façon dont se partagent au Bas-Canada puis au Québec les responsabilités et l’autorité pédagogique dans la mise en place de l’instruction publique, qui sont exposées aux chapitres IV et VI de la présente thèse.

Dans la réalité, il n’y a pas de frontière étanche entre ce qui relève de la société civile et ce qui relève de l’État, même si les deux ne doivent pas être confondus. Le cas des syndics, puis des commissaires, discuté dans les chapitres IV et VI, en est un bon exemple. En effet, leur fonction est définie par l’État, c’est-à-dire dans la loi, mais en même temps ces individus disposent d’un certain espace d’autonomie, qui diminue progressivement sous le Canada-Uni. Quand certaines actions sont laissées à l’initiative des localités, comme la

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décision de faire ériger une école ou de faire construire une école modèle, sans qu’il n’y ait d’obligations ou de sanctions de la part du gouvernement en cas d’inaction, ces actions relèvent à notre sens de la société civile, car les décisions sont prises par des individus enracinés dans leur milieu, et « familiers avec les intérêts particuliers » de celui-ci, comme le sont les députés que Hegel situe dans la société civile (HEGEL, PPD, par. 311, 2003, p.

409). À mesure que les obligations s’imposent plus clairement, elles contribuent à intégrer davantage les individus et groupes locaux dans la société politique, qui alors sont aussi motivés par le respect de l’intérêt universel, celui de l’ensemble de la société politique, que par leur intérêt privé. Cela est encore plus vrai quand les justifications légitimant ces obligations sont intériorisées : l’intégration à la société politique suppose en effet un certain degré d’identification à la communauté politique, c’est-à-dire un patriotisme, au sens de « disposition d’esprit-politique » à concevoir une identité de l’intérêt universel, représenté par l’État, et de l’intérêt particulier du sujet (HEGEL, PPD, par. 268).

Quant à la place de l’Église, elle dépend de celle que ses représentants lui revendiquent et de celle que les autres groupes de la société lui accordent. Les représentants de l’Église peuvent prétendre à une autorité sur l’ensemble de la société, et chercher pour certaines fonctions à se substituer à l’État, ou exiger que son autorité morale soit prise en compte dans certaines politiques. Cette prétention à exercer une autorité sur l’ensemble de la société conduit le libéralisme et les philosophes modernes à recommander une séparation de l’Église et de l’État : ils cherchent à maintenir l’Église dans la société civile, en tant qu’institution et système de croyances qui en est issue, et qui ne peut pour cette raison prétendre à une autorité sur l’ensemble de la société, qui elle est considérée comme plurielle. Les politiques qui gouvernent la société doivent en conséquence, selon eux, faire appel à des justifications d’ordre rationnel pour être universellement légitimes, et non pas à des justifications d’ordre spirituel.

Maintenant, pour ce qui est de l’analyse d’idéaux pédagogiques bas-canadiens puis québécois, la grille de lecture montre que l’idéal pédagogique peut correspondre à des états individuels mais aussi à des états collectifs. Les modernes visent la liberté pour l’individu, un état humain individuel, mais aussi pour la société politique, la liberté y étant exercée

collectivement et reposant sur un usage autonome du jugement et de la raison, par exemple à l’égard de l’Église ou d’un tyran. Le développement de la moralité concerne de même aussi bien la société que l’individu. L’attachement patriotique part de l’individu, tandis qu’il se traduit dans la société par la cohésion pacifique et identitaire entre ses membres. La liberté intellectuelle et morale de même que l’attachement patriotique trouvent leur sens dans la référence à une humanité abstraite, qu’elle corresponde à l’image d’un homme abstrait ou à la civilisation en mouvement, représentée comme une succession de générations reliée par la poursuite d’œuvres, et donc à une représentation d’états collectifs à produire débordant la société particulière.

Ce schéma oriente utilement la lecture de documents impliqués dans la formation du système d’instruction publique québécois au XIXe siècle : il permet de voir si ses