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La médecine traditionnelle consiste en la connaissance, les savoirs, les pratiques, le savoir-faire, etc. exploités à titre de traitement, de prévention de pathologies et/ou de maintien de la santé humaine (et animale). La médecine traditionnelle émane sur les théories, les croyances et l’expérience humaines héritées des populations ancêtres et compilés, accumulés et améliorés dans le temps. Les remèdes développés dans le cadre de la médecine traditionnelle sont principalement issus à base de plantes (médicinales) (OMS, 2008).

Si les thérapies émanant de la médecine traditionnelle ont été enrichies par le développement du commerce international et, donc par l’exploration de nouvelles plantes importées des outre-mer, c’est l’essor de la chimie d’extraction (identification et isolement des principes actifs des plantes) et de la chimie de synthèse (l’obtention d’un composant à partir d’autres composants à travers des réactions chimiques) (Juès, 1998) qui a dessiné les contours de l’« ère industrielle » de la pharmacie et a donné naissance à une « industrie pharmaceutique » (Hamdouch et Depret, 2001) menée, non plus par des officines tel est le cas dans l’ère de la médecine traditionnelle, mais plutôt par des « laboratoires » de fabrication de médicaments.

26 Pour une étude approfondie de l’histoire de l’industrie pharmaceutique et de son évolution paradigmatique, voir les travaux de Dousset (1985), Juès (1998) ; Davis (2000) ; Hamdouch et Depret (2001), Depret (2003).

Dans ce nouveau paradigme, la distinction entre la pharmacie et la chimie est devenue floue ; s’agit-il d’une industrie pharmaceutique qui se base sur les apports des sciences chimiques ou encore d’une industrie chimique appliquée à la santé et à la pharmacie ? La réponse peut être relativement élucidée dans le constat que les plus grandes découvertes thérapeutiques marquant le lancement et la croissance de la phase de la pharmacie chimique ont été développées par des chimistes (e.g. le chimiste Felix Hoffmann l’inventeur de, plutôt que par pharmaciens.

Si la fin du XIXème siècle et le début du XXème ont été marqué par l’essor des découvertes thérapeutiques, telles que l’acide acétylsalicylique en 1893 par Felix Hoffmann (sous le nom commercial de l’Aspirine®), ou encore la pénicilline en 1928 par Alexandre Fleming (encadré 1.1), c’est la première décennie de l’après deuxième Guerre Mondiale qui a marqué « le véritable décollage de l’industrie pharmaceutique mondiale » (Hamdouch et Depret, 2001, p.19) que certains auteurs qualifient de son « âge d’or » (Davis, 2000).

Encadré 1.1

En 1893, Felix Hoffman – un chimiste allemand travaillant au sein des laboratoires pharmaceutiques allemands Bayer – a réussi de synthétiser le dérivé acétylé de l’acide salicylique : l’acide acétylsalicylique. Ce nouveau produit a constitué une véritable révolution dans l’industrie pharmaceutique, étant donné qu’il combine les propriétés analgésiques de l’acide salicylique et son efficacité dans le traitement des rhumatismes et l’abaissement de la fièvre.

Alexandre Fleming (biologiste et pharmacologue écossais), qui concentre ses recherches sur le développement d’antibactériens, a fait une découverte « accidentelle » en 1928 de la pénicilline. Ne servant pendant une décennie que pour le nettoyage des boîtes de Petri, cette découverte a révolutionné l’industrie pharmaceutique du XXème siècle, son introduction dans la thérapeutique en 194027 par le pharmacologue Howard Walter Florey et le biochimiste allemand Ernst

27 La boîte de Pétri est une boîte cylindrique utilisée en microbiologie pour la culture de microorganismes, bactéries, etc.

Boris Chain (lauréats du prix Nobel en physiologie ou médecine en 1945 avec Alexandre Fleming).

Source : Dousset (1985) ; Juès (1998) ; Hamdouch et Depret (2001).

Axées aussi bien sur les pathologies physiques, telles que les maladies inflammatoires, que sur les troubles mentaux, comme l’anxiété ou la schizophrénie, cette première vague de la révolution thérapeutique s’est poursuivie dans les années 1960 et 1970 par l’avènement d’une deuxième vague de médicaments qui, bien que dans les mêmes classes thérapeutiques, apportent des améliorations notables à ceux déjà existants, telles que les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les antihypertenseurs, ou les traitements cardiovasculaires, etc.

1.2.2.1.2-

Essoufflement du paradigme de la pharmacie chimique

C’est dans les années 1980 que le nombre de molécules chimiques ciblées s’est notablement rétréci, marquant ainsi la saturation de la R&D dans la pharmacie chimique (Hamdouch et Depret, 2001) et donc l’essoufflement de ce paradigme technologique. Le rythme de l’innovation pharmaceutique s’est en effet notablement ralenti depuis les années 1980 ; « il n’y a eu aucune révolution dans le domaine médical28 » entre 1980 et 2000. Ainsi, sur les vingt dernières années, le nombre de médicaments véritablement nouveaux lancés sur le marché a en effet baissé par rapport aux années 1940 et 1980. En 2000, 80% des médicaments nouveaux enregistrés en France n’ont pas d’apport thérapeutique remarquable, contre 50% seulement en 1990 (Halpern, 2001). De même, aux Etats-Unis, sur les 80 princeps approuvés par la Food and Drug Administration (FDA) en 2005, 25% seulement sont des entités composées de nouveaux principes actifs, alors que 71 produits des 78 approuvés ne sont que des dérivés de produits plus anciens (FDA, 2005).

28 Selon Arthur Levinson (PDG de Genentech la plus grande entreprise de biotechnologies) lors d’une interview avec Financial Times, 6 Avril 2001, p14.

Le repli du rythme de l’innovation pharmaceutique va pourtant de pair avec un accroissement considérable des dépenses de R&D dans le secteur29. C’est un constat a priori paradoxal mais qui s’explique par le renchérissement des coûts de la R&D qui, de plus devient de moins en moins rentable et à contenu technologique décroissant. L’accroissement des dépenses de R&D pharmaceutique trace ainsi, la lame supérieure d’un « effet ciseaux » dont le déclin du nombre de médicaments innovants en trace la lame inférieure (graphique 1.4).

Graphique 1.4 Evolution des dépenses de R&D et de l’innovation aux Etats-Unis : l’effet ciseaux 0 10 20 30 40 50 60 70 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 R&D en mds$ Nombre de médicaments innovants

Source : à partir de PhRMA (2009)

Ce phénomène (d’effet ciseaux) marque un essoufflement du cycle de la pharmacie chimique qui semble se supplanter progressivement par un nouveau paradigme technologique de la pharmacie, celui des biotechnologies moléculaires (Hamdouch et Depret, 2001 ; Depret, 2003 ; Cockburn, 2006, Duflos, 2007).

1.2.2.1.3-

Essor des biotechnologies pharmaceutiques

Bien qu’elles n’aient pris un remarquable regain d’intérêt que depuis une trentaine d’années, les biotechnologies, définies comme « l’application des principes scientifiques et de l'ingénierie à la transformation de matériaux par des agents

29 Devancées seulement par l’industrie automobile, les dépenses de R&D pharmaceutique ont notablement crû sur les vingt dernières années allant de 10 milliards de dollars en 1992 à environ 66 milliards de dollars en 2008 (PhRMA, 2009).

biologiques pour produire des biens et services » (OCDE30), ont des origines historiques bien ancrées dans le temps (Hamdouch et Depret, 2001). Traditionnellement utilisées, entre autres, pour la fermentation des aliments, les nouvelles biotechnologies appliquées à la santé (ou biotechnologies rouges) servent à découvrir, traiter et prévenir les pathologies, mais également à en identifier les causes. De ce fait, l’objet ou l’apport principal des biotechnologies rouges par rapport à la pharmacie chimique, c’est qu’elle permet de séparer les causes environnementales de celles génétiques. De la sorte, il s’agit bien d’une véritable « révolution scientifique » qui joint des enjeux thérapeutiques importants et d’une double dimension : curative et préventive (Ibid, 2000).

L’identification des gènes responsables des pathologies est censée accroître les potentialités de découverte de nouveaux médicaments et de réduire le taux et les coûts d’échecs et qui représentent aux alentours de 75% des coûts des médicaments de la pharmacie chimique (Radal et Alexandre, 2000). Les médicaments issus des biotechnologies (ou biomédicaments) sont développées via génie génétique31 (Angell, 2005, p57), se développent depuis une trentaine d’années. Ils représentent le nouveau créneau porteur de l’innovation pharmaceutique. En effet, « les nouvelles biotechnologies se sont peu à peu imposées comme une alternative au paradigme de la chimie en apparaissant au fil des progrès engendrés comme plus fécondes, plus simples, plus cohérentes, plus précises et plus efficaces pour résoudre les problèmes non résolus par les méthodes pourtant rationalisées du paradigme dominant » (Hamdouch et Depret, 2000, p.15). Dans ce contexte, nombreux laboratoires approfondissent leurs efforts de R&D dans la branche des biotechnologies. C’est un créneau porteur pour l’industrie pharmaceutique et qui permettrait aux laboratoires innovants d’assurer une avance technologique qui serait à l’abri de la concurrence des génériques pour encore quelques décennies. Ceci explique l’essor du marché des biomédicaments ayant représenté environ 40% des médicaments nouveaux en 2005, est en croissance exponentielle. En 2007, il a été estimé à 50 milliards de dollars, contre 38 milliards de

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http://www.oecd.org/about/0,3347,fr_2649_37437_1_1_1_1_37437,00.html

31 Le génie génétique est l’ensemble des techniques qui permettent d’isoler un gène d’un organisme, de le modifier et le transférer dans un autre organisme. A titre d’exemple, la fabrication de l’hormone de croissance et de l’insuline humaine est issue du génie génétique.

dollars en 2003 et en 2006, et a représenté 7% du marché pharmaceutique mondial (Perez, 2007).

L’évolution de l’industrie pharmaceutique mondiale s’inscrit dans le cadre d’un processus de « destruction créatrice » schumpetérien. C’est en réponse à l’ampleur du changement technique (essor de l’activité chimique) que la médecine traditionnelle s’est progressivement supplantée par la pharmacie chimique, ou plutôt par une « industrie » pharmaceutique à base de la chimie d’extraction et de synthèse. Après avoir impulsé un nombre important d’inventions et d’innovations pharmaceutiques, ce paradigme technologique s’essouffle déclarant le début de la fin d’un cycle en phase de déclin et annonçant la relance d’un autre en phase de croissance (biotechnologie).

Toujours est-il que le développement de nouveaux médicaments demeure une activité intensive en technologies, connaissance, savoirs, savoir-faire. En même temps, c’est une activité autant génératrice d’externalités positives, exposant les inventeurs à un risque important d’imitation32

. Le développement notable des inventions pharmaceutiques dans le XXème siècle, explique, dans une grande mesure, l’introduction et le renforcement des brevets pharmaceutiques à l’échelle mondiale ; l’« âge d’or » de la pharmacie chimique semble correspondre à (voire même générer) un « âge d’or » de la brevetabilité des médicaments.

1.2.2-2. Extension de la brevetabilité des médicaments à l’échelle

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