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1.2.1.1 Intervention directe de l’Etat dans la R&D pharmaceutique

L’intervention directe de l’Etat dans l’activité de R&D s’articule autour de deux modalités : la première consiste en l’élaboration de la R&D dans des organismes publics de recherche et la diffusion des résultats dans l’économie (1.2.1.1.1). La deuxième se réfère à la création d’incitations financières directes aux investisseurs privés via le versement de subventions de recherche ou de rémunération ex post de la R&D (1.2.1.1.2).

1.2.1.1.1- L’investissement public dans la R&D

Afin de promouvoir une économie de l’innovation, l’Etat peut opter pour l’option d’investir directement dans la R&D. Les résultats de cette activité sont par la suite diffusés sur le marché à titre gratuit et les consommateurs (inventeurs individuels, entreprises, etc.) peuvent les exploiter et les intégrer dans des processus de recherche plus avancés. Dans ce cas, la part majoritaire des coûts et des efforts de recherche est assurée par l’Etat, ce qui réduit nettement la part des dépenses assurée par les investisseurs privés. Celle-ci se limiterait alors à l’affinement de la technologie créée et diffusée par l’Etat et à son intégration dans son propre processus d’innovation (production et commercialisation sous forme de produits finis).

En général, la R&D publique regroupe les travaux de recherche scientifique qui, au moment de leur développement, ont pour principal objectif de faire avancer la science plutôt qu’une finalité économique, ce qui définit la « recherche fondamentale ». Menée au sein d’institutions publiques de recherche (universités, laboratoires et organismes publics de recherche, etc.), elle procure des connaissances, des informations, des technologies, qui serviront d’une assise scientifique et technologique pour mener des recherches plus poussées et plus ciblées ; appliquées. Ainsi, la « recherche appliquée », est souvent menée par des entreprises privées et regroupe l’ensemble des travaux de recherche scientifique ayant pour objet d’apporter des solutions techniques à des problèmes spécifiques (Mansfield, 1971 ; Patel et Pavitt, 1995a ; 1995b ; Eisenberg, 2006). Contrairement à la recherche fondamentale, la recherche appliquée a une finalité commerciale et s’inscrit donc dans le cadre d’une activité à but lucratif.

Pour Marshall (1918), l’intervention publique ne s’avère bénéfique que pour les activités rentables, tandis qu’elle serait contre-productrice si elle appuie des activités en déclin. Il met toutefois en exergue le rôle important que joue l’Etat dans le développement technologique à travers le financement, aussi bien de la recherche fondamentale que de la recherche appliquée. Selon lui, cette intervention financière a pour objectif de garantir que d’éventuelles distorsions anti-sociales de ces travaux de recherche n’aient lieu. L’objectif ultime étant donc de promouvoir le patrimoine scientifique et technique de la société dans sa globalité ; Etat et entreprises sont impliqués dans l’investissement pour enrichir et alimenter ce patrimoine par des informations, connaissances, technologies nouvelles. Alors que les entreprises seraient plus enclines à se spécialiser dans des domaines plus spécifiques, « l'État doit encore intervenir dans la production scientifique, afin de diversifier le fonds commun de connaissances disponibles pour tous » (Laperche, 2001a, p.69).

Jusqu’aux années 1980, la part de l’Etat dans la recherche fondamentale et la recherche appliquée était importante se traduisant par l’essor d’innovations majeures dans différents domaines, tels que la défense nationale (bombe atomique, aviation militaire), la santé (découvertes thérapeutiques, nouvelles molécules19). Cette période d’expansion s’est poursuivie par un ralentissement de l’investissement de l’Etat dans la R&D en partie en raison de l’ « essoufflement de la compétitivité industrielle » suite à une sophistication poussée dans des innovations mineures (Ibid, p.70).

Le recul de la part de l’Etat dans le financement de la R&D est nuancé selon les secteurs d’activité. Ainsi, dans le secteur pharmaceutique, cette part demeure relativement élevée ; par exemple, les Etats-Unis ont dépensé environ 25 milliards de dollars en 200520 (CBO, 2006). Alors qu’une partie relativement réduite de ces dépenses est directement liée au développement de nouveaux médicaments, la part majoritaire est censée financer la recherche fondamentale sur les mécanismes des pathologies dont la compréhension est susceptible d’étayer et d’éclairer la recherche appliquée menée par des laboratoires pharmaceutiques privés en vue de développer de nouveaux médicaments. Dans ce contexte, la recherche publique dans la génomique, la biologie moléculaire, etc. crée de

19 Nous analysons en détail plus tard dans ce chapitre l’évolution des inventions pharmaceutiques. 20 Le National Institute of Health reçoit la part majoritaire du financement voué par le gouvernement américain à la recherche dans les sciences de la vie.

considérables opportunités technologiques susceptibles de stimuler l’investissement privé dans la R&D pharmaceutique. C’est ainsi, que le financement public de la recherche a joué un rôle significativement important dans l’essor de médicaments innovants au cours des 40 dernières années. A titre d’exemple, sur les 21 médicaments les plus influents mis sur le marché entre 1965 et 1992, seuls 5 ont été développés exclusivement par le secteur privé (Cockburn et Henderson, 2000).

En revanche, une intervention publique excessive dans le financement de la R&D pharmaceutique peut s’avérer contre-productive pour la recherche privée, en ce sens qu’elle s’y substitue au lieu de la compléter. L’effet d’évincement de la recherche privée par la recherche publique peut se produire de façon directe dans le sens où l’Etat finance ou entreprend des investissements en R&D qui auraient pu être financés ou entrepris par des laboratoires pharmaceutiques (entreprises) privés. Il peut aussi se produire de façon indirecte quand l’Etat se transforme en un acteur concurrent (et plus puissant) aux laboratoires pharmaceutiques en ce sens qu’il bénéficie d’une meilleure accessibilité (physique et financière) aux compétences humaines (chercheurs, scientifiques, ingénieurs, etc.), aux ressources naturelles rares. En outre, le financement de la R&D par l’Etat peut influencer les interactions entre les firmes privées ; il existe plus d’interactions bilatérales entre l’Etat (ses institutions publiques de recherche) et chaque firme privée que des interactions bilatérales et multilatérales inter-firmes privées.

Préserver la spécialisation de l’Etat dans le financement de la recherche fondamentale alors que les firmes privées se spécialisent dans le financement de la recherche appliquée, est en mesure de réduire le risque d’évincement de l’investissement privé dans la R&D, tel est le cas de l’industrie pharmaceutique jusqu’à la fin des années 1990 et début des années 2000. Récemment, cette spécialisation de recherche privée et publique tend, toutefois, à être de plus en plus floue. Des changements structurels du secteur, caractérisés entre autres par l’essor de « géants » pharmaceutiques privés tels que Pfizer, GSK, ou Merck, à la suite de méga opération de fusion et acquisition (F&A) (Combe et Haug, 2006 ; Abecassis et Coutinet, 2008 ; Yacoub, N. et Laperche,

2010), se sont traduits par la croissance de la part du secteur pharmaceutique privé dans le financement de la recherche fondamentale21.

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