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2.1.1.1 Importance de l’innovation pour la compétitivité des firmes : rôle du brevet

Définies comme tout facteur qui a pour effet de bloquer ou dissuader l’entrée potentielle d’une firme sur le marché (Antomarchi, 1998), les barrières à l’entrée s’articulent autour de trois séries d’obstacles que Morvan (1991), dans un prolongement des travaux de Bain (1956), regroupe en obstacles naturels et obstacles artificiels. Ainsi, les avantages absolus de coûts et les économies d’échelle de la firme établie par rapport aux entrants potentiels ont le rôle de barrières à l’entrée naturelles dans le sens où ils relèvent des conditions objectives liées à la structure du marché (Morvan, 1991 ; Antomarchi, 1998).

Par opposition, la deuxième et la troisième série d’obstacles représentent des barrières à l’entrée artificielles. Elles regroupent i) les dispositions juridiques et réglementaires qui inhibent l’entrée de nouvelles firmes sur le marché, telles que les mesures protectionnistes ou les brevets et ii) les comportements stratégiques sous forme de pressions exercées par les firmes établies (selon leur poids dans l’économie) sur les pouvoirs publics afin d’influencer la constitution/reconstitution du cadre légal et réglementaire de fabrication et/ou de commercialisation en leur faveur. Ces pressions sont d’autant plus envisageables que le poids économique de la firme en question – i.e. son pouvoir de négociation – est important44 (Uzunidis, 2005).

Contrairement à cette dernière série de comportements offensifs dont la licéité peut être remise en question, les brevets sont des barrières à l’entrée légales obtenues par la firme sur ses innovations. Ce sont, nous le rappelons, des droits de propriété fortement exclusifs, garantissant un monopole qui, bien que temporaire, permet à la firme de rentabiliser (même partiellement) ses investissements en R&D, d’où son intérêt économique. Mais, l’importance de l’innovation ne se limite pas à la seule prérogative de réclamer un brevet, mais s’étend à la compétitivité hors-prix qu’elle procure à travers la différenciation par rapport aux produits des concurrents.

44 Les firmes établies peuvent aussi adopter une stratégie de prix-limite (fixer un prix inférieur au prix de monopole pour que toute entrée potentielle soit non profitable) ou encore « intimider » les entrants potentiels par des annonces dissuasives (Morvan, 1991, p.90).

Elle constitue donc une barrière à l’entrée per se. « Le témoignage des entrepreneurs et des champions du renouveau ou des ‘pilotes de troisième type’, la recrudescence des contributions analytiques des spécialistes en management technologique (Porter, Morin, Dussauge…), des travaux sur l’innovation des néo-schumpetériens (Dosi, Freeman, Rosenberg et Kline…), ou des publications liées à une meilleure compréhension des phénomènes de l’innovation scientifique, ont redonné à l’innovation les armes de noblesse dans la reconquête des marchés, ainsi que dans le redéploiement des entreprises » (Lachmann, 1996, p7).

L’innovation : une barrière à l’entrée et source de compétitivité

La théorie économique insiste sur l’importance de l’innovation dans l’établissement, la consolidation et surtout le maintien à long terme des barrières à l’entrée. Ainsi, dans les économies contemporaines et, face à une concurrence mondialisée, la course aux connaissances, à la science et à la technologie s’avère prioritaire, tant pour les entreprises que pour les pays (Foray, 2002 ; Uzunidis, 2004 ; Laperche, 2008).

Dans ses travaux, Schumpeter démontre que l’innovation est à l’origine de la destruction créatrice rendant obsolètes les produits concurrents et donc permettant de bénéficier d’un pouvoir de monopole (Schumpeter, 1911 ; 1942). C’est dans ce sens que l’innovation se présente comme le moyen le plus fiable pour constituer et renforcer des barrières à l’entrée permettant à l’innovateur un meilleur positionnement sur le (voire une domination du) marché.

L’avance technologique dont bénéficie l’innovateur sur ses concurrents est une source de compétitivité hors-prix et donc un moyen de maintenir des avantages concurrentiels durables (Porter, 1993 ; 1998). En outre, par l’innovation, l’entreprise non seulement répond à de nouveaux besoins du marché mais relance également des besoins existants et arrivés à un stade de maturité (Tidd et al., 2005).

Dans ce sens, la compétitivité des produits existants et/ou arrivés au stade de maturité ne se limite pas au facteur prix, mais s’étend à leurs caractéristiques intrinsèques telles que le design, le contenu, la qualité et à leur adaptation à des besoins en évolution continue. Cette compétitivité hors-prix joue actuellement le rôle déterminant dans la

définition des performances des firmes, dans un contexte où les cycles de vie des produits tendent à se raccourcir (Tidd et al., 2001).

Ainsi, l’innovation, étant à la fois un moyen d’ouvrir de nouveaux débouchés et de relancer des débouchés stagnants ou en déclin, s’impose comme une stratégie pertinente pour permettre aux grandes firmes pharmaceutiques d’établir des barrières à l’entrée solides et donc de se prémunir de la concurrence des imitateurs. De cette optique, l’innovation peut être vue comme, à la fois la cible exposée au risque d’imitation (importance des externalités positives, non-rivalité, non appropriabilité) et le moyen de s’y prémunir.

Importance du brevet comme moyen de contourner la concurrence des génériques Si l’innovation permet d’obtenir un brevet qui à son tour permet de protéger l’innovation contre l’imitation, théoriquement il ne constitue pas une finalité en soi, mais il demeure un moyen de valorisation ex post de l’innovation. En revanche, l’industrie pharmaceutique se caractérise par une véritable course au brevet ; celui-ci étant un outil permettant d’évincer la concurrence des médicaments génériques. Cette course apparaît dans les stratégies des grandes firmes pharmaceutiques (ou Big Pharma) axées sur l’innovation mineure et ce afin de relancer des médicaments vedettes dont les brevets arrivent à expiration et s’exposent à la concurrence intensifiée des génériques (plus compétitifs en termes de prix).

En effet, telle que définie par Schumpeter comme « une combinaison nouvelle des ressources de production », l’innovation peut prendre différentes formes et être d’ampleur majeure ou mineure (Schumpeter, 1911). L’innovation majeure, appelée également innovation drastique ou radicale, consiste en un changement technologique majeur. Etant difficile à imiter en raison de son contenu scientifique et technique sophistiqué et complexe et/ou dont la mise en œuvre nécessite des ressources financières considérables, elle octroie à la firme une importante avance technologique par rapport à ses concurrents lui permettant de bénéficier d’une position de monopole. Tandis que l’innovation mineure consiste en la modification (souvent dans un sens d’amélioration) des caractéristiques des produits et procédés existants et ne permet pas de contourner la concurrence à long terme (Caccomo, 2005).

L’innovation mineure peut être considérée comme une phase transitoire entre deux développements technologiques importants. Selon Schumpeter, l’innovation se produit en grappes, en ce sens qu’un cycle d’innovations majeures (dues à un progrès technique ou scientifique), est suivi par une série d’innovations mineures qui vont améliorer, modifier, combiner des innovations majeures existantes.

Dans le cadre de ce travail, et en référence à littérature, les innovations majeures sont appréhendées au sens de la mise sur le marché de nouveaux médicaments issus de molécules radicalement nouvelles. Par innovations mineures, nous entendons la mise sur le marché de médicaments nouveaux mais issus plutôt de modifications (améliorations, combinaisons, …) apportées à des molécules existantes.

Etant plus rentable sur le court terme45, plus certaine et moins coûteuse, l’innovation mineure est une stratégie très utilisée par les firmes pharmaceutiques afin d’assurer la pérennité de leur activité et de rentabiliser leurs investissements coûteux dans des innovations majeures (Yacoub ; N. et Laperche, 2010). Les changements des caractéristiques externes du médicament (la forme galénique, la voie d’administration), la modification des dosages, une amélioration de ses effets thérapeutiques ou la combinaison avec d’autres molécules, sont autant des manipulations qui donnent naissance des médicaments appelés de « seconde génération » (par rapport au princeps de base) et permettent aux laboratoires pharmaceutiques de préserver des parts de marché supplémentaires et, si les conditions légales requises réunies, décrocher un brevet. Ce sont donc des innovations mineures dont l’impact devrait être, positif pour le consommateur comme pour le producteur (Mckewon, 2008).

L’exemple le plus célèbre demeure celui d’AstraZeneca qui, quatre ans avant l’expiration du brevet de son blockbuster46

, le Mopral, en 2004, a lancé un médicament de seconde génération, l’Inexium, dont le chiffre d’affaires s’élevant à 5 milliards de dollars en 2008, a permis au laboratoire de compenser le repli de ses ventes du Mopral.

45

Tidd et al. (2001) soulignent que les gains cumulatifs en termes d’efficience des innovations mineures permanentes peuvent être plus importants que ceux des innovations majeures occasionnelles.

46 Par définition, un Blockbuster est un médicament qui génère un chiffre d’affaires annuel supérieur ou égal à un milliard de dollars.

De même, de nombreux princeps47 sont adaptés aux normes de consommation pédiatrique. Juridiquement, ceci permet à l’inventeur de bénéficier d’une période de 6 mois d’exclusivité sur le nouveau médicament. En 2002, le laboratoire Schering-Plough a réalisé 975 millions de dollars de ventes aux Etats-Unis d’une version pédiatrique du Claritin (Combe et Haug, 2006). Bien qu’elles soient mineures, ces innovations requièrent toujours un investissement en R&D. A titre d’exemple, l’adaptation à l’usage pédiatrique de médicaments destinés à l’origine à des adultes, nécessite des essais et des tests supplémentaires sur leurs effets indésirables par exemple sur la croissance des consommateurs ; un effet pourtant non significatif pour des sujets adultes.

Bien entendu, assurer une compétitivité hors-prix via des innovations majeures est un objectif convoité par toute entreprise opérant dans une activité à but lucratif. En revanche, sa réalisabilité dépend des capacités dont l’entreprise dispose pour investir en innovation, en l’occurrence majeure. Elle est d’autant plus possible que l’entreprise réussit d’effectuer une combinaison pertinente des déterminants de l’innovation.

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