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1.2.2-2 Extension de la brevetabilité des médicaments à l’échelle mondiale : historique et motifs

L’insertion (au sens de l’adaptation et de la compétitivité) de la firme pharmaceutique dans ces nouveaux paradigmes changeants est conditionnée, tant par ses capacités endogènes de recherche et de création de la connaissance, que par ses capacités d’absorber et d’intégrer, dans ses activités d’invention et de production, les nouvelles technologies exogènes issues du secteur pharmaceutique et d’autres secteurs de la science connexes. Dans ce sens, l’industrie pharmaceutique, reposant sur la science et la

32 Dans le nouveau paradigme de la biopharmacie, le risque d’imitation est nettement plus réduit du moins limité aux grands groupes de l’industrie. En effet, contrairement à l’imitation des molécules chimiques, la reproduction d’une molécule (protéine) issue de la biotechnologique est un processus non moins coûteux que celui de sa production. L’innovation dans les biotechnologies pharmaceutiques constitue donc une sorte de barrières à l’entrée per se.

diffusion et étant à fortes externalités positives, est considérablement exposée au risque de l’imitation.

Si le développement notable des inventions pharmaceutiques depuis les années 1940 constitue le principal élément expliquant la brevetabilité des médicaments dans les pays développés (1.2.2.2.1), c’est l’intensification de la concurrence – due à la libéralisation économique et au développement des capacités d’imitation et de production pharmaceutique dans de nombreux pays émergents – qui justifie son extension dans les PED via les accords ADPIC (1.2.2.2.2). A la différence des autres domaines de la technologie, la brevetabilité des médicaments est subordonnée à une réglementation spécifique de par la liaison étroite du secteur avec la santé publique (1.2.2.2.3).

1.2.2.2.1-

Brevetabilité des médicaments dans les pays développés

La reconnaissance de la brevetabilité des médicaments dévoile une évolution chronologique inégalitaire au sein des pays développés. Jusqu’à la signature du Patent Cooperation Treaty (PCT) en 1960, la convention de Paris (1883) a représenté la référence internationale en matière de protection de la propriété industrielle. En vertu de cette convention, les produits pharmaceutiques sont exclus de la brevetabilité ; seuls des brevets de procédés pharmaceutiques peuvent être déposés et obtenus. Ainsi, une molécule peut être librement copiée pourvu qu’elle soit développée via un procédé de fabrication différent que celui breveté. Dans ce sens, la brevetabilité des produits pharmaceutiques incombe aux compétences des législations nationales en matière de propriété industrielle. Les Etats-Unis ne différencient pas les produits pharmaceutiques des autres produits chimiques et reconnaissent par conséquent leur brevetabilité depuis la première loi américaine sur les brevets (Boldrin et Levine, 2008).

En revanche, en Europe la brevetabilité ne s’est étendue qu’à partir de la fin des années 1940 aux produits pharmaceutiques. Cet écart chronologique a permis à l’inventeur allemand de l’Aspirine, Felix Hoffmann, d’obtenir un brevet de produit aux Etats-Unis mais pas en Europe (encadré 1.2). De façon générale, l’observation de l’évolution de la brevetabilité des médicaments dans les pays développés dévoile une évolution chronologique concomitante avec l’« âge d’or » de l’industrie pharmaceutique i.e. avec le décollage des inventions dans le secteur (Tableau 1.2).

Encadré 1.2

Les dispositions de la convention de Paris ne reconnaissent pas la brevetabilité des « produits » pharmaceutiques, relevant toujours des compétences des législations nationales. Dans l’impossibilité de déposer un brevet sur l’acide acétylsalicylique, la firme Bayer s’est contentée de déposer, le 1er février 1899 en Allemagne, un brevet de procédé et une marque de commerce sur l’« Aspirine® ». Conformément aux dispositions de la convention de Paris, la marque Aspirine a été déposée, quelques mois plus tard, en France. Par ailleurs, les laboratoires Bayer ont déposé une demande de brevet de produit sur l’Aspirine aux Etats-Unis en 1897 et ont pu l’obtenir en 1899, avec Felix Hoffman comme inventeur ; ce fut donc le premier brevet de produit dans l’histoire de l’industrie pharmaceutique. En vertu de ce brevet, Bayer a bénéficié d’un droit de monopole de 20 ans -depuis la date de dépôt- pour l’exploitation, la fabrication et la commercialisation de l’Aspirine. Le laboratoire a mené une bataille juridique pour préserver le monopole de brevet sur l’Aspirine, mais il fini par perdre le procès ; la molécule est tombée dans le domaine public à l’échéance prévu i.e. vingt ans plus tard.

Source : Fuster et Sweeny (2011).

C’est dans ce cadre que les brevets de produits pharmaceutiques ont été reconnus au Royaume-Uni en 1949 et qu’en 1959 l’ordonnance du 4 février et ensuite la loi du 2 janvier 1966 les ont introduits en France. L’interdiction à ces brevets en France n’a été totalement abolie qu’en 1978 (Mfuka, 2002). En Allemagne, les brevets de produits pharmaceutiques n’ont été reconnus qu’à partir de 1968. Parallèlement, en Suisse les brevets de produits pharmaceutiques n’ont été mis en œuvre qu’à partir de 1977, juste une année plus tard qu’au Japon. Avant cette date, seuls les procédés pharmaceutiques étaient brevetables en Suisse et ce conformément à la loi du 21 juin 1907 et qui a été mise en place suite aux pressions exercées par l’Allemagne premier concurrent pharmaceutique à la Suisse.

A la fin des années 1970, l’Italie a été le cinquième producteur et le septième exportateur de médicaments en l’absence de protection par brevets des produits pharmaceutiques. Dans une perspective de lutter contre cette concurrence, la cours

suprême en Italie a introduit, en 1978, la brevetabilité des produits pharmaceutiques en réponse aux pressions exercées par 18 firmes pharmaceutiques étrangères ayant réclamé le renforcement du système de brevets pharmaceutiques en Italie. De même, en Espagne la loi de 1931 permet le dépôt de brevets de procédé pharmaceutiques mais interdit explicitement la brevetabilité de toutes substances, notamment celles pharmaceutiques.

Tableau 1.2 Chronologie des inventions pharmaceutiques et de la reconnaissance de la brevetabilité des médicaments dans les pays développés

Année Invention Effet thérapeutique Date (brevetabilité des médicaments) Pays 1911 Salvarsan® Syphilis 1928 Pénicilline Propriété de nettoyage et de stérilisation des boîtes de Petri 1940 Pénicilline Antibiotiques bactériostatiques 1944 Prontosil® Antituberculeux 1949 Royaume-Uni 1959 France 1960s AINS anti-inflammatoires 1960 Librium® Anxiolytique - hypnotique 1963 Valium® Anxiolytique - hypnotique 1968 Allemagne 1976 Atenolol® Antihypertenseur Angine de poitrine

Infarctus de myocarde 1976 Japon

1976 Tagamet® antiulcéreux

1977 Suisse

1978 Italie

1986 Espagne

L’introduction des brevets de produits pharmaceutiques n’a été reconnue en Espagne qu’en 1986 suite à son adhésion à la Communauté Economique Européenne (CCE) et la promulgation de la « Ley de Patentes », une loi qui n’a été mise en œuvre qu’à partir de 1992 (Mfuka, 2002 ; Boldrin et Levine, 2008).

Outre l’essor d’une « matière à protéger », l’accélération de la libéralisation économique, traduite par l’essor du commerce international a intensifié la concurrence et mondialisé les risques d’imitation venant d’autres pays et régions. C’est dans l’objectif de se protéger contre ces risques croissants que des laboratoires pharmaceutiques innovants ont exercé des pressions sur les gouvernements des pays développés afin de reconnaître la brevetabilité des médicaments (Boldrin et Levine, 2008).

Dans ce cadre, l’Association Allemande de l’Industrie Chimique explique l’application relativement tardive des brevets de produits par rapport à ceux de procédé pharmaceutiques en Allemagne par les différences en termes de valeur sociale entre ces deux variantes de DPI. En effet, un produit chimique peut être obtenu par différents processus, différentes méthodes, voire même par la mise en place de différents ingrédients. De la sorte, la brevetabilité des procédés pharmaceutiques permet de récompenser le titulaire du brevet sans pour autant inhiber de futures innovations de procédés et c’est ce qui accorde une certaine valeur sociale positive aux brevets de procédé. Par opposition, on discerne une valeur sociale négative inhérente à la brevetabilité des produits pharmaceutiques, dans la mesure où elle exclut les autres laboratoires de produire le même médicament, même via un processus différent. La non reconnaissance des brevets de produits pharmaceutiques en Allemagne jusqu’à 1968 a amené les laboratoires allemands, comme Bayer, de déposer des brevets sur leurs molécules dans les pays où la loi l’autorise, notamment aux Etats-Unis et au Royaume- Uni où ils estiment, plus élevé le risque d’imitation (Boldrin et Levine, 2008).

Ainsi, depuis la deuxième Guerre Mondiale, les brevets pharmaceutiques ont connu un mouvement notable d’extension et de renforcement. A titre d’exemple, avec la signature du « the Drug Price Competition and Patent Term Restoration Act » le 24 septembre 1984, plus connu par the « Hatch-Waxman Act », les Etats-Unis ont renforcé la protection des produits pharmaceutiques en prolongeant leur durée de vie de cinq

années additionnelles. Cette réforme a pour objectif de prolonger la durée de vie effective des brevets pharmaceutiques (Mossinghoff, 1999). Le renforcement du système de brevet américain s’inscrit dans le cadre d’une prise de conscience de la déficience du principe de l’open source (Coriat, 2002) et qui a donné naissance à d’autres réformes allant dans le même sens de la consolidation de la protection de la propriété industrielle. C’est dans ce cadre que le Bayh Dole Act a été signé en 1980 et qui procure aux universités le droit de déposer des brevets sur des inventions financées sur fonds publics.

La brevetabilité des médicaments dans les pays développés a été ultérieurement étendue dans les PED via la signature des accords ADPIC en 1994. L’entrée en vigueur de ces accords a marqué un tournant dans l’évolution des industries pharmaceutiques – naissantes – de ces pays.

1.2.2.2.2-

Brevetabilité des médicaments Dans les PED : une réforme spontanée

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