• Aucun résultat trouvé

2.2.1.2.2 Impact mitigé de la brevetabilité sur les transferts de technologie Pour élucider l’impact de la brevetabilité sur les transferts de technologie, il est

impératif de distinguer l’analyse selon les différents modes à travers lesquels la technologie est véhiculée.

i) Transferts de technologie via la mobilité du personnel : brevet versus secret

Les ressources humaines, nous le rappelons, constituent la composante qui incorpore la connaissance, la technologie, le savoir, le savoir-faire d’une firme et qui véhicule (reçoit et émet) les flux d’informations scientifiques et techniques et de marché sortants et entrants. La firme s’expose au risque de divulgation de la connaissance ou d’inventions confidentielles de façon informelle (échanges informels avec des employés de firmes concurrentes) ou formelle (à travers la mobilité de son personnel dans des firmes concurrentes). La brevetabilité permet de neutraliser ce risque étant donné que même en cas d’accès à des inventions confidentielles de la firme, il demeure illégal pour les entreprises concurrentes de les exploiter.

Le secret est aussi un droit de propriété industrielle très utilisé pour la protection des inventions et des procédés. En effet, une étude menée auprès des firmes manufacturières américaines montre que le secret et le délai d’exécution sont privilégiés aux brevets pour protéger les innovations de produits et de procédés (Lévêque et Ménière, 2006). Ainsi, la problématique est d’estimer la protection

additionnelle que le système de brevet offre i.e. la baisse éventuelle des investissements en R&D en l’absence de brevetabilité. Les critiques apportées au secret apparaissent en termes de difficulté de sa gestion dans un contexte de forte mobilité de personnel (cf. les suppressions d’emplois dans l’industrie pharmaceutique) ainsi qu’en termes de coût (fidélisation du personnel à travers des privilèges financiers). « En somme, le secret est utilisé par l’industrie privée le plus souvent en complément d’autres outils de protection ou bien pour des inventions de procédés qui ne sortent pas des murs de l’usine et dont les clés scientifiques et techniques ne sont détenues que par une petite partie du personnel » (Laperche, 2005, p 112).

ii) Impact des brevets sur les transferts de technologie via l’imitation

Lorsque les transferts de technologies se produisent via l’imitation, la brevetabilité implique un repli du rythme de l’innovation (Lai, 1998 ; Maskus, 1998). En effet, une invention brevetée n’est plus légalement imitable sous la condition que le brevet soit reconnu et valide dans le pays d’accueil. Ainsi, dans le cas de l’industrie pharmaceutique, de nombreux laboratoires issus de PED ont profité la non brevetabilité des médicaments dans leurs pays afin de copier (reverse engineering) des molécules nouvelles produites par des laboratoires pharmaceutiques innovants. Si l’introduction des accords ADPIC et la reconnaissance des brevets pharmaceutiques qui en découle dans ces pays, ne réduit pas, voire accélère leur accès aux molécules brevetées, elle interdit, toutefois, leur exploitation pour des finalités industrielles et/ou commerciales. En alternative, les laboratoires peuvent conclure des contrats de licence avec les détenteurs des brevets, et qui engendrent des coûts additionnels.

iii) Impact des brevets sur les transferts de technologie via les IDE et le commerce international

Les études empiriques montrent que le potentiel de protection des brevets est positivement corrélé avec les importations et les flux entrants d’IDE (Maskus, 1998 ; 2004 ; Fosfuri, 2000 ; Saggi, 2000 ; Lippoldt et Park, 2003 ; 2008). En effet, la brevetabilité dans le pays d’accueil est de nature à créer un climat de

sécurité pour les investisseurs étrangers (Fosfuri, 2000), lequel constitue un facteur déterminant pour que la diffusion des technologies soit possible (Maskus, 1998 ; Saggi, 2000) étant donné la réduction du risque d’imitation (Contractor, 1991 ; Mansfield, 1986 ; Branstetter et al., 2006 ; Nunnenkamp et Spatz, 2004 ; Lippoldt et Park, 2008).

A travers une estimation d’un modèle sur des données de panel sur un échantillon de pays développés et en développement, Lippoldt et Park (2008) analysent l’impact du potentiel de protection des brevets sur les importations et les flux entrants d’IDE dans différents secteurs d’activité. Leurs résultats montrent que des niveaux plus élevés de protection de brevet ont un impact significativement positif non seulement sur les IDE et les importations de produits intensifs en technologie (cf. le secteur pharmaceutique, chimique, équipement de télécommunication), mais également sur les capacités d’innovation locales (mesurée par les investissements locaux en R&D) (Naghavi, 2007).

De façon plus générale, la littérature économique souligne la complexité de la relation entre la brevetabilité et les transferts de technologie à travers les Ide et le commerce international. Dans ce sens, le renforcement de la protection des brevets semble générer des impacts théoriques opposés : un « expansion market effect » et un « market power effect » (Maskus et Penubarti, 1995 ; Smith, 1999 ; 2001) et qui peuvent avoir lieu aussi dans d’autres modes de transferts de technologie que les IDE et le commerce international (Lippoldt et Park, 2008). Ainsi, si l’on suppose qu’une firme issue d’un pays X exporte un médicament brevetable dans un pays Y où la brevetabilité des médicaments n’est pas reconnue. Lorsque le pays Y reconnaît la brevetabilité des médicaments (renforce son système de brevet), d’une part, se produit une expansion du marché de la firme exportatrice (expansion market effect) expliqué par le retrait des firmes locales imitatrices dans le pays Y. D’autre part, l’extension de la brevetabilité aux médicaments dans le pays Y accroît le pouvoir de marché de la firme (« market power effect »), réduisant l’élasticité de la demande locale. Dans le cas général, des études empiriques montrent que la domination d’un de ces deux effets opposés sur l’autre dépend des capacités d’imitation locales (Smith, 1999 ; Lippoldt et Park, 2003 ; 2008). Ainsi, sur les marchés fortement concurrentiels et à forts potentiels d’imitation, c’est un effet d’expansion (expansion

market effect) qui tend à prédominer. A contrario, c’est l’effet de pouvoir de marché (market power effect) qui tend à prévaloir dans les pays à faible menace d’imitation.

iv) Impact des brevets sur les transferts de technologie via les licences

Les accords de licence permettent d’économiser les coûts de duplication de la R&D (Gambardella, 2002). En effet, afin d’accéder à une technologie, une firme peut la dupliquer (l’imiter) ou l’acheter. Dans le cas où cette technologie est brevetée, l’unique moyen légal d’y accéder est via l’achat des droits d’exploitation i.e. d’une licence. Cette opération est profitable à l’acheteur de la licence lorsque le prix est inférieur au coût de duplication de la technologie en question. Dans ce sens, l’acheteur et le vendeur de la licence sont réciproquement bénéficiaires ainsi que l’économie dans sa globalité ; étant donné que les profits inhérents à la cession de licence constituent une incitation à l’innovation. Dans ce sens, le transfert de technologie est d’autant plus encouragé que la brevetabilité inhibe l’imitation par les entreprises domestiques (Branstetter et al., 2003 ; Nicholson, 2000 ; Moschini, 2005).

L’impact de la brevetabilité sur les transferts de technologie via les licences dépend dans une grande mesure de l’importance des accords licences dans l’activité de la firme ou de l’industrie (Lévêque et Ménière, 2006). Une étude empirique menée par Anand et Khanna (2000) montre que sur la période allant de 1990 à 1993, 80% des accords de licences sont conclus dans trois groupes d’industries, à savoir : l’industrie chimique et du médicament (46%), l’industrie du médicament (37%), l’industrie électrique et électronique (22%) et la machinerie industrielle (12%).

Ainsi, il apparaît que les transferts de technologie dans l’industrie pharmaceutique s’effectuent fréquemment via les licences. Au même titre que pour les IDE, la brevetabilité, en réduisant le risque d’imitation (Merges, 1998, Arora et Merges, 2003), est en mesure de favoriser les transferts de technologie via les licences (Vonortas et Kim, 2004 ; Gambardella et al., 2006). Celles-ci sont particulièrement profitables pour les PME qui disposent souvent de capacités d’innovation internes (en particulier financières) limitées les empêchant de mettre sur le marché des inventions développées en interne ceci explique que 26% des

inventions brevetées par des PME européennes sont cédées via des contrats de licence contre 9% seulement pour les grandes firmes (Lévêque et Ménière, 2006).

v) Impact des brevets sur les transferts de technologie via les coopérations

Les coopérations de recherche se traduisent par de forts transferts de technologie. En l’absence de protection par brevet, il est nécessaire d’assurer un climat de confiance réciproque entre les entreprises partenaires, ce qui ne constitue pas une garantie fiable et officielle ; la technologie peut être diffusée par la firme partenaire et exploitée en dehors des termes du contrat de coopération. Dans ces conditions, les firmes seraient réticentes à transférer et partager leur technologie avec leurs partenaires. A contrario, la brevetabilité est en mesure d’inciter au partage et au transfert de technologie et donc à l’open innovation. Ceci se traduit souvent par une stratégie de constitution de « patent pools » et qui désigne une approche à travers laquelle deux ou plusieurs firmes acceptent de céder des licences croisées entre elles (Laperche, 2007).

2.2.1.2.3-

Brevetabilité et arbitrage entre les modes de transferts de technologie

Outline

Documents relatifs