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L’accumulation du capital-savoir est appréhendée dans le sens de la constitution, l’enrichissement et le développement de l’information scientifiques et technique, de la connaissance, de la technologie, des ressources humaines, financières, infrastructurelles, etc. en vue d’investir en innovation. Dans l’industrie pharmaceutique, l’objectif de ces stratégies d’accumulation est donc la fabrication de médicaments nouveaux.

Les stratégies d’accumulation du capital-savoir :

Si par l’accumulation du capital-savoir, la firme vise l’innovation, la portée de celle-ci dépend de la quantité et de la qualité (contenu scientifique et technique) des ressources qu’elle accumule ainsi que des caractéristiques du marché. Dans ce sens, la firme peut accumuler le capital-savoir dans un objectif d’exploration et/ou dans un objectif d’exploitation. Par l’exploration de nouvelles technologies, connaissances, savoirs, la firme vise l’innovation majeure, radicale i.e. la production de nouveaux produits. Tandis que par l’exploitation de la connaissance, des technologies, savoirs, existants, la firme vise plutôt l’innovation mineure, incrémentale i.e. l’amélioration de produits existants (March, 1991).

Les stratégies d’exploration du capital-savoir sont certes plus risquées et plus coûteuses que les stratégies d’exploitation du capital-savoir et ce surtout dans des secteurs où la R&D est longue et onéreuse, tels que le secteur pharmaceutique. En même temps, elles sont plus rentables et l’avance technologique qu’elles génèrent est plus durable. Mais, ces stratégies ne sont opportunes que pour les firmes qui disposent des déterminants

requis pour investir dans des projets d’innovation majeure. Ceci explique que ces innovations sont en général polarisées dans les grandes firmes pharmaceutiques, telles que Pfizer (leader mondial) dont le budget annuel consacré à la R&D représente quelques 15,5% de son chiffre d’affaires, soit 8,52 milliards de dollars en 2010 (Pharmactupositions, 2011).

En suivant la théorie économique, on peut penser que les stratégies d’accumulation seront les stratégies privilégiées par les firmes pharmaceutiques pour renforcer de manière durable leurs positions sur le marché. Mais, l’évolution des stratégies de constitution du capital-savoir des grandes firmes pharmaceutiques mondiales dévoile des stratégies d’accumulation davantage axées sur la rationalisation des dépenses et l’innovation mineure plutôt que sur l’innovation majeure.

Vers une prééminence de l’innovation pharmaceutique mineure

L’analyse de l’activité d’innovation des grandes firmes pharmaceutiques montre que les innovations majeures (nouveaux blockbusters) sont en déclin par rapport aux innovations technologiques mineures (médicaments de seconde génération). Cette prééminence de l’exploitation du capital-savoir s’inscrit dans le cadre d’une stratégie de rationalisation des dépenses de R&D qui s’avère cruciale dans un contexte de crise économique. Ce contexte engendre un mouvement généralisé (tous secteurs confondus) de réduction des effectifs52, notamment ceux employés dans la R&D. et s’impose avec une plus grande acuité aux grandes firmes pharmaceutiques également confrontées aux réductions du chiffre d’affaires liées à l’expiration de nombreux brevets vedettes.

Ainsi, alors que Wyeth a supprimé 600 emplois de R&D en 2008, Pfizer et Sanofi- Aventis ont abandonné respectivement 3.000 et 1.300 postes de R&D dans le monde au cours de 2009. Pour anticiper l’expiration en 2011 des brevets de ses deux médicaments les plus rentables (Zyprexa et Byetta53), Eli Lilly se fixe l’objectif de réduire sa structure de coût d’un milliard de dollars dans deux ans, via la suppression de 5.500 emplois dans le monde, ramenant son effectif de 40.600 à 35.100 (Pharmactua, 2009).

52 Dans les premières grandes firmes pharmaceutiques mondiales les ressources humaines sont estimées à une moyenne de 75 000 salariés répartis dans le monde, dont environ 15% dans la R&D.

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Les suppressions d’emplois vont de pair avec la fermeture de nombreux sites de production et surtout de sites de R&D. Ainsi, afin d’anticiper l’expiration du brevet sur le Lipitor, Pfizer ferme le tiers de ses 20 sites de R&D dans le monde en vue de ramener ses dépenses de R&D de 7,5 à environ 3,5 milliards de dollars sur les deux prochaines années. Il en est de même pour Sanofi-Aventis qui ferme 27 sites de R&D dans le monde en vue d’anticiper l’expiration du brevet du Plavix (Pharmactua, 2009).

Parallèlement, certains des sites de R&D fermés sont délocalisés dans des pays émergents, en quête de facteurs de production moins chers. Ces délocalisations visent dans leur majorité des pays hôtes asiatiques, tels que l’Inde, qui a accueilli en 2009 de nombreuses filiales de R&D de Sanofi-Aventis, de Novartis et d’Astra Zeneca, et la Chine où Merck et Pfizer ont décidé d’installer deux filiales (indépendantes l’une de l’autre) dédiées aux essais cliniques.

Un recours croissant aux ressources externes pour l’exploration du capital-savoir La littérature économique souligne l’importance de l’acquisition de ressources externes pour l’activité d’innovation ce qui justifie l’essor des modèles d’ « open innovation » ou d’« innovation ouverte54

» (Chesbrough ; 2003a ; 2003b ; 2006). Les rapprochements de recherche entre firmes industrielles, dans ce cadre, répondent en général à un enjeu de taille et se manifestent souvent sous forme de stratégies de fusion et acquisition (F&A). De nombreux travaux théoriques et empiriques (Schumpeter, 1942 ; Panzar et Willig, 1981 ; Hunsaker et Coombs, 1988 ; Cohen et Levinthal, 1989 ; Cockburn et Henderson, 1994 ; Hamdouch et Depret, 2001), démontrent en effet une relation positive entre la taille de la firme et ses capacités d’investissement en R&D.

L’industrie pharmaceutique est l’une parmi les secteurs les plus concernés par les stratégies de F&A55. Celles-ci permettent non seulement le partage et donc l’amortissement des coûts fixes (en bénéficiant des économies d’échelle), mais favorisent également le partage de la connaissance, d’informations, de savoir-faire, la diversification des cibles et des efforts de l’activité de R&D et l’atténuation des risques

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Nous allons les analyser dans le paragraphe suivant.

55 A côté de l’industrie pharmaceutique, le secteur des logiciels manifeste également un développement notable des stratégies de F&A. Pour une étude détaillée des différentes stratégies d’alliances dans le secteur informatique, voir le travail de thèse de doctorat de Halloul (2005).

et des incertitudes qui en découlent. L’accès aux modalités de financement de la recherche (marchés financiers, institutions bancaires, etc.), étant d’autant plus facilité que la firme est de taille importante (Depret et Hamdouch, 2001) constitue un autre avantage ou déterminant lié aux F&A des firmes industrielles.

Récemment, il apparaît, en revanche, que les F&A dans le secteur pharmaceutique sont de plus en plus envisagées dans un objectif de valorisation des technologies acquises plutôt que dans un objectif d’accumulation de nouvelles technologies et d’apprentissage56. C’est dans ce contexte que les dix dernières années ont été marquées par un mouvement notable de rapprochement et de concentration entre les grandes firmes pharmaceutiques, manifesté par des méga-opérations de fusion et acquisition (F&A) et donnant naissance à de nouveaux « géants » qui dominent la pharmacie mondiale57.

Les opérations de F&A et de partenariats représentent pour les laboratoires pharmaceutiques une stratégie de réalisation d’économies d’échelle permettant de limiter les pertes inhérentes à l’expiration des brevets de leurs blockbusters. Une étude des déterminants des F&A pharmaceutiques élaborée par Duflos et Pfister (2007) analyse l’hypothèse que ces opérations résultent en général d’un déficit d’innovation des laboratoires acquéreurs. Ces résultats sont nuancés à travers l’analyse économétrique qui démontre au contraire un potentiel d’innovation significatif du laboratoire acquéreur. Ainsi, la fusion en 2009 de l’activité de recherche dans le domaine des anti-Sida entre GlaxoSmithKline (GSK) et Pfizer s’inscrit plutôt dans un objectif de renforcement mutuel de leurs efforts dans ce domaine de recherche et donnera lieu à une nouvelle entité qui pourra représenter 19% du marché des traitements anti-Sida (R&D Directions, 2009). En outre, par les opérations de F&A et de partenariats, chacun des deux laboratoires bénéficie mutuellement de l’accès au portefeuille de brevets de son partenaire, pouvant lui être utiles pour le développement de ses propres produits qui appartiennent à la même classe thérapeutique (Boidin et Lesaffre, 2009).

56 Pour une analyse plus approfondie des déterminants des stratégies de F&A dans l’industrie pharmaceutique, voir l’étude de Yacoub, N. et Laperche (2010).

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Compte tenu de la complexité du processus de la R&D biotechnologique, les grandes firmes pharmaceutiques cherchent à s’associer à des entreprises spécialisées plus innovantes et plus réactives aux changements technologiques, ce qui leur permet d’accélérer leur rythme d’innovation et de dynamiser leurs projets de R&D stagnants et/ou peu rentables. Cette stratégie répond à l’enjeu majeur de combler le pipeline gap ou l’innovation gap (Estrin, 2008) des grands laboratoires pharmaceutiques qui expriment une difficulté à produire de nouvelles molécules équivalentes (en termes de rentabilité) à celles tombées dans le domaine public.

En 2008, 64 accords de coopération portant sur les biotechnologies ont été recensés, contre 48 en 200758. Ces accords qui portent de manière prioritaire sur la R&D, soit 83% du total des 64 accords. Ils sont de plus transatlantiques, signés entre les laboratoires biopharmaceutiques américains et entreprises biotechnologiques européennes. Dans ce cadre, Clavis Pharma (laboratoire pharmaceutique norvégien) a signé en novembre 2009, un accord de partenariat d’un montant de 380 millions de dollars avec la société américaine Clovis Oncology en vertu duquel cette dernière se charge du développement et de la commercialisation d’un traitement expérimental contre le cancer du pancréas (Pharmacuta, 2009).

Le rapprochement croissant entre les grandes firmes pharmaceutiques et les entreprises de biotechnologies est un jeu à somme positive. D’un côté, de par leur petite taille et leur flexibilité, les start-up de biotechnologies sont plus réactives vis-à-vis de la mouvance du marché pharmaceutique mondial que les grands laboratoires pharmaceutiques caractérisés par une structure hiérarchisée. D’un autre côté, les petites entreprises de biotechnologies ne disposent pas des ressources financières nécessaires pour étendre leur activité productive et commerciale à une grande échelle. Le rapprochement entre ces deux catégories d’acteurs permet de combiner les forces de chaque partenaire et d’en combler les faiblesses.

Un autre aspect des mouvements de l’industrie pharmaceutique est celui de la multiplication des coopérations avec des organismes de recherche, publics ou privés, universitaires ou de formation (Bulletins électroniques, 2009). Ces coopérations qui portent sur des contrats de recherche permettent le rapprochement entre la formation

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(théorique) et l’industrie (pratique/appliquée). D’une part, les entités de recherche accèdent à des technologies de pointe assez diversifiées (coopérant avec différentes entreprises pharmaceutiques) et à des subventions de leurs projets de recherche. D’autre part, les laboratoires pharmaceutiques bénéficient des connaissances et des idées innovantes, jusque-là théoriques de professeurs, doctorants, post-doctorants, lesquelles seront raffinées, appliquées et expérimentées au sein des laboratoires pharmaceutiques en vue de les concrétiser. Dans ce cadre, ERYtech Pharma, une entreprise de biotechnologie française a signé un contrat de coopération de recherche avec l’américain MD Anderson Center, un des plus grands centres de recherche anticancéreux. Un autre exemple est le contrat de partenariat conclu entre l’université de Bordeaux 2 et les entreprises du médicament, l’objet duquel est de mieux adapter la formation universitaire aux besoins de l’industrie pharmaceutique française (LEEM, 2008).

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