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La signature des accords ADPIC (entrés en vigueur le 1er janvier 1995) demeure, en effet, le fait le plus marquant de l’histoire des DPI, ayant donné naissance à une sorte de droit international de la propriété intellectuelle pour assurer l’harmonisation de la réglementation et du respect des DPI dans tous les Etats membres de l’OMC. Les standards minimums mis en place par les ADPIC en matière de brevetabilité reposent dans une grande mesure sur les dispositions fondamentales de la convention de Paris sur la propriété industrielle (1883)33. Ainsi, les accords ADPIC se présentent comme un complément ou comme une continuation plutôt que comme un substitut aux conventions du XIXème siècle sur la propriété intellectuelle (Schmidt et Pierre, 1996). Les ADPIC marquent une extension de double dimension : une dimension de contenu (nouveaux secteurs – pharmaceutique ; nouveaux composants – médicaments) et une dimension géographique (nouveaux pays).

L’instauration de standards minimum de DPI via les ADPIC a requis et requiert encore des réformes au niveau des législations nationales des pays membres de l’OMC.

33 De même, les normes de protection des droits d’auteurs et droits connexes dérivent des dispositions de la convention de Bernes sur les œuvres littéraires et artistiques (1886).

Comme le souligne Deere-Birkbeck (2010), ces réformes sont structurelles dans les pays en développement (PED), où avant l’entrée en vigueur des ADPIC, la protection des DPI est faible voire absente dans certains domaines. S’aliéner avec les normes des ADPIC signifie donc a priori un renforcement des systèmes de brevets dans les PED. Mais, les standards des ADPIC s’avèrent moins restrictifs que ceux imposés par certains accords bilatéraux ou régionaux de libre-échange (Pedro Roffe et al., 2010).

D’autres économistes (Combe et Pfister, 2001 ; Coriat, 2002 ; Rémiche, 2002) soulignent que les brevets favorisent les détenteurs des droits privés et restreignent le domaine public des nouvelles informations et technologies requises pour le développement des capacités d’invention. Il en découle que les ADPIC défavorisent les « consommateurs » de technologies que sont les PED. Leur application dans ces pays s’explique donc par la nature pluridisciplinaire des accords de l’OMC. Si les ADPIC constituent une contrainte pour les PED, d’autres accords de l’OMC comme ceux sur l’agriculture ou le textile, leurs sont une opportunité. Il s’agit donc d’un compromis ou d’un « trade-off » établi dans une impulsion donnée par les pays développés, les Etats- Unis en tête (Mfuka, 2001 ; Coriat, 2002 ; Clift, 2010). C’est ce « trade-off » qui semble justifier la négociation dans le cadre de l’OMC d’une question qui relève plutôt des compétences de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle34

(OMPI). Sous cet angle, la légitimité de l’OMC à gérer les questions relatives à la propriété intellectuelle est remise en cause ; combler les lacunes des ADPIC impose leur insertion dans un cadre de référence plus équilibré, celui de l’OMPI (Dinwoodie et Dreyfuss, 2010). Dans une optique différente, selon les partisans des ADPIC, ces lacunes relèvent plutôt du laxisme de certains pays en matière d’application des brevets, dont la correction impose la mise en œuvre de nouveaux standards et instruments internationaux garantissant, non seulement la « reconnaissance » des brevets, mais aussi leur application in facto (ou « enforcement »).

Heurtées à la persistance des infractions de brevets issues non plus seulement des PED mais récemment d’un bon nombre de pays industrialisés, les initiatives des ADPIC-plus et des ADPIC-plus-plus ont été translatées vers de nouveaux cadres de négociation à

34 « Ce coup de force n’a pas été facile à imposer. Les États-Unis ont tenté à trois reprises d’obtenir un

accord à l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), mais sans succès : dans cette institution, chaque pays dispose d’une voix, et les États-Unis étaient systématiquement mis en minorité. Ils se sont alors tournés vers l’OMC, où les décisions se prennent par consensus, et ont réussi à obtenir l’accord des pays du sud grâce à une série de négociations commerciales bilatérales portant sur des ventes d’acier plat ou encore de textile » (Coriat, 2002).

caractère plus exécutif, tels que l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD). Ces initiatives construiraient de nouvelles barrières au commerce international et ce, par le transfert de la responsabilité du contrôle des infractions en matière de brevets d’un cadre juridique à un cadre administratif (les douanes) (Li, 2010). Il en découle que contrairement aux principes de l’OMC, de telles initiatives sont susceptibles de freiner l’accessibilité de certains PED aux nouvelles technologies, dans un contexte où ils sont censés être plutôt assistés pour établir un système national équilibré de brevet leur permettant une meilleure insertion dans l’économie mondiale de la connaissance.

De façon générale, les travaux sur les implications des ADPIC sur les économies émergentes – notamment ceux traitant du cas de l’industrie pharmaceutique – (Mfuka, 2002 ; Guennif et Mfuka, 2002 ; Coriat, 2002 ; Rémiche, 2002 ; Reichman, 2010), critiquent dans leur majorité l’extension de la brevetabilité dans les PED, dans la mesure où elle se traduit par la privation de l’un des « droits fondamentaux de l’humanité, le ‘learning by imitating’, dont nous, pays occidentaux, avons pourtant usé au cours de notre développement35 » (Coriat, 2002). A titre d’exemple, dans le début du XXème siècle, la Suisse a bénéficié de la non brevetabilité des médicaments pour développer une industrie pharmaceutique locale basée dans une grande mesure sur la copie et l’imitation des inventions thérapeutiques étrangères, notamment allemandes (Reinhard, 2001).

Etant donné la particularité du secteur pharmaceutique (accessibilité aux médicaments i.e. dimension sociale), les accords ADPIC prévoient des exceptions et clause spécifiques à l’application des brevets dans les PED et ce afin de concilier objectifs économiques (rentabilité des inventeurs) et sociaux (accessibilité aux médicaments, diffusion des technologies et de la connaissance).

1.2.2.2.3-

Caractéristiques spécifiques des brevets pharmaceutiques

De façon générale, les accords ADPIC (1994, Art.27, parag.1) prévoient qu’un « (…) brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les

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A l’époque où le livre était le moyen le plus important de diffusion de la connaissance, les Etats-Unis se sont opposés au respect de la réglementation anglaise en matière de protection des droits d’auteur afin de pourvoir en profiter à titre gratuit jusqu’à l’établissement d’une base scientifique, littéraire américaine nationale indépendante de l’imitation (Van Dijk, 1994 ; Coriat, 2002).

domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle36 ».

Par ailleurs, les ADPIC prévoient des exceptions quant à l’application de la brevetabilité. En effet, les pays membres de l’OMC peuvent « exclure de la brevetabilité les inventions dont il est nécessaire d'empêcher l'exploitation commerciale sur leur territoire pour protéger l'ordre public ou la moralité, y compris pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ou préserver les végétaux, ou pour éviter de graves atteintes à l'environnement37 » (OMC, 1994, ADPIC, Art.29, Parag.2).

Le troisième paragraphe du même article des accords ADPIC permet aux pays membres d’exclure de la brevetabilité « les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes ou des animaux, les végétaux et les animaux autres que les micro-organismes, et les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux, autres que les procédés non biologiques et microbiologiques. Toutefois, les Membres prévoiront la protection des variétés végétales par des brevets, par un système sui generis efficace, ou par une combinaison de ces deux moyens » (OMC, 1994, ADPIC, Art.29, Parag.3).

Dans ce contexte, il est indéniable que les produits pharmaceutiques répondent aux conditions de brevetabilité ce qui justifie leur protection par brevet. Ainsi, comme on l’a déjà présenté, selon les dispositions des ADPIC, la brevetabilité ne s’étend plus seulement aux procédés mais également aux produits pharmaceutiques. En vertu des accords ADPIC, la brevetabilité est reconnue dans tous les domaines de la technologie, dont l’industrie pharmaceutique. Il s’agit sur ce plan d’une extension de domaine du brevetable. De même, l’adhésion d’un pays à l’OMC implique automatiquement sa signature des accords ADPIC et par conséquent, reconnaissance et l’application des standards minimum de protection de la propriété intellectuelle.

En matière de brevetabilité des médicaments, les ADPIC tentent un compromis entre la protection des intérêts privés des laboratoires pharmaceutiques (en termes de protection

36 « Les expressions ‘activité inventive’ et ‘susceptible d'application industrielle’ pourront être

considérées par un Membre comme synonymes, respectivement, des termes ‘non évidente’ et ‘utile’ »

(ADPIC, Art.27, parag.1).

37 Cette exclusion ne doit cependant pas relever du simple fait de la législation nationale du pays en question.

de leurs inventions) et l’intérêt social (en termes d’accessibilité des consommateurs à faibles revenus aux médicaments). Ce dilemme a résulté en une série d’exceptions dont certaines sont prévues depuis la signature des accords ADPIC alors que d’autres ont été complétées dans le cadre de déclaration ministérielles ultérieures, dont la plus importante (en termes de réformes) est la Déclaration de Doha en 2001 (encadré 1.3).

Encadré 1.3

Des marges de manouvres ont été négociées dans le cadre de la conférence ministérielle de Doha en 2001 ayant débouché sur la déclaration de Doha. Cette déclaration prévoit des dispositions complémentaires à celles des ADPIC en vue de concilier entre les intérêts privés (des laboratoires pharmaceutiques) et les intérêts publics (les considérations de santé publique dans les PED). C’est dans ce contexte que la déclaration de Doha prévoit aussi bien des mesures qui renforcent la protection des brevets pharmaceutiques que des mesures qui laissent une marge de manœuvre aux PED afin de « contourner » ces brevets :

1. Une prolongation de la durée des brevets pharmaceutiques de 5 années additionnelles : à l’instar des brevets dans tous les autres domaines de la technologie, les brevets pharmaceutiques sont octroyés pour une durée de 20 ans à compter de la date de dépôt de la demande. En revanche, les laboratoires pharmaceutiques ne peuvent pas commercialiser leurs produits et exploiter le brevet avant d’obtenir l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dont l’octroi peut prendre des années. C’est dans la perspective de compenser cette période d’inertie que les détenteurs des brevets pharmaceutiques ont la possibilité de réclamer un Certificat Complémentaire de Protection (CPP) qui se traduit par une prolongation des droits du titulaire du brevet ;

2. La possibilité d’octroi d’autorisation de licences obligatoires38. Néanmoins, il est indéniable que l’octroi des licences obligatoires n’est autorisé que pour des maladies bien précises qui figurent sur une liste publiée par l’OMC et révisée annuellement. Cette liste est, pourtant, fortement critiquée par les PED et les organisations non gouvernementales, telles que Médecins Sans Frontières (MSF). En effet, on incrimine les pays développés

38 Les licences obligatoires consistent en une procédure administrative par laquelle un gouvernement octroie une licence sans l’autorisation de son détenteur pour des cas d’urgence (relatifs à la défense, à la santé…), ou simplement pour inciter à la recherche et motiver la concurrence (Act up, 2000). Le détenteur, qui reçoit une compensation financière en contrepartie, peut participer à la négociation ou être informé par simple avis du gouvernement (Bizet, 2003).

d’avoir incorporé dans la liste, exclusivement des maladies dont les traitements existent déjà mais que leurs brevets ont expiré, des maladies qui n’ont pas de traitements médicaux et des maladies pour lesquelles les efforts en R&D sont insuffisants (dans un sens où, peu de traitements leurs sont disponibles ou susceptibles d’être développés dans un proche avenir);

3. Prolongation de la période d’introduction des DPI pharmaceutiques dans les PMA jusqu’à 2016 ;

4. L’institution d’un conseil spécialisé pour trouver une solution au problème d’insuffisance des capacités de production pharmaceutique dans les PED, susceptible de nuire à l’exploitation des licences obligatoires.

De même, le Conseil Général de l’OMC a adopté en 2003 une décision permettant l’exportation de médicaments fabriqués sous licence obligatoire, ce qui n’était pas autorisé selon les dispositions initiales des ADPIC. En effet, ceci constitue « des dérogations aux obligations énoncées aux paragraphes f) et h) de l'article 31 de l'Accord sur les ADPIC en ce qui concerne les produits pharmaceutiques » (OMC, 2003)39.

Par ailleurs, bien que les dispositions de la déclaration de Doha (2001), stipulent que les produits pharmaceutiques fabriqués sous licences obligatoires soient destinés exclusivement au marché local, elles posent toutefois la question pour les pays dont les faibles capacités de production ne leur permettent pas de profiter de cette dérogation : « Nous reconnaissons que les Membres de l'OMC ayant des capacités de fabrication insuffisantes ou n'en disposant pas dans le secteur pharmaceutique pourraient avoir des difficultés à recourir de manière effective aux licences obligatoires dans le cadre de l'Accord sur les ADPIC. Nous donnons pour instruction au Conseil des ADPIC de trouver une solution rapide à ce problème et de faire rapport au Conseil général avant la fin de 2002 » (OMC, 2001, Déclaration de Doha, 2001, Parag.6).

Parallèlement, la décision du 30 Août 2003 autorise les importations parallèles de médicaments dans des conditions particulières. Avant de présenter ces conditions

39

« Sera dérogé aux obligations d'un Membre exportateur au titre de l'article 31 f) de l'Accord sur les

ADPIC en ce qui concerne l'octroi par ce Membre d'une licence obligatoire dans la mesure nécessaire aux fins de la production d'un (de) produit(s) pharmaceutique(s) et de son (leur) exportation vers un (des) Membre(s) importateur(s) admissible(s) » (OMC, 2003, Art.2).

d’application, il est impératif de définir d’abord la notion même des importations parallèles qui consistent à l’importation de produits brevetés en provenance d’un pays tiers à celui d’origine du titulaire du brevet et où le prix pratiqué est moins élevé.Ceci permet au pays importateur d’assurer un meilleur accès aux produits pharmaceutiques en tirant un avantage financier inhérent à la différence de prix pratiqués. Cette pratique, considérée dans l’Union Européenne comme un moyen efficace pour l’égalisation des prix, est très contestée par les Etats-Unis ; pourtant ceux-ci y recourent souvent (Act up, 2000)40.

Ainsi, les ADPIC accordent aux PED une période transitoire additionnelle de 5 années pour étendre la protection aux produits technologiques - dépourvus de la brevetabilité avant l’adoption de l’accord – tel est le cas pour l’industrie pharmaceutique41

(ADPIC, Art.66). En ce qui concerne les pays les moins avancés (PMA), l’application des normes stipulées par les ADPIC doit se faire progressivement sur une période transitoire de 11 années et jusqu’à 2016 pour les produits pharmaceutiques (OMC, 2001, Déclaration de Doha).

L’entrée en vigueur des brevets pharmaceutiques en vertu des accords ADPIC dans un état membre de l’OMC, signifie que toute production de copie des médicaments brevetés sans l’autorisation du laboratoire titulaire du brevet constitue une infraction au brevet et expose le laboratoire imitateur et l’état en question à des sanctions commerciales dont le traitement relève de la compétence de l’organe de règlement des différends affilié à l’OMC. Tous les Etats membres, indépendamment de leur niveau de développement économiques, doivent tenir en compte que, dans l’objectif de faire respecter la protection de la propriété intellectuelle, l’accord prévoit des mesures répressives, telles que le contrôle aux frontières, le payement de dommages aux ayants droit et l’imposition de sanctions pénales aux actes de contrefaçon (Hasper, 2005).

40 Il est à noter toutefois que le règlement des différends relatifs à la pratique des importations parallèles ne s’effectue pas dans le cadre de l’OMC mais émane de la législation nationale des pays concernés (OMC, 2001).

41"Etant donné les besoins et impératifs spéciaux des pays les moins avancés Membres, leurs contraintes

économiques, financières et administratives et le fait qu'ils ont besoin de flexibilité pour se doter d'une base technologique viable, ces Membres ne seront pas tenus d'appliquer les dispositions du présent accord, à l'exclusion de celles des articles 3, 4 et 5, pendant une période de 10 ans à compter de la date d'application telle qu'elle est définie au paragraphe 1 de l'article 65. Sur demande dûment motivée d'un pays moins avancé Membre, le Conseil des ADPIC accordera des prorogations de ce délai » (ADPIC,

Si, dans l’ensemble, cette déclaration semble garantir aux PED une certaine flexibilité dans le domaine pharmaceutique, à l’exemple des licences obligatoires, les options qu’elle offre demeurent très restreintes et toujours en faveur des détenteurs de DPI (Reichman, 2010). La persistance des paradoxes liés aux ADPIC malgré ces réformes, relativisent leur efficacité à concilier entre les intérêts privés (protection de la propriété intellectuelle) et les intérêts publics (diffusion des nouvelles technologies) ; pourtant un des principes fondateurs de ces accords.

1.2.2-3. Evolution des brevets pharmaceutiques dans le monde

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