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2.1.3.2 Importance des transferts de technologie dans l’innovation et rôle des capacités d’absorption

Selon la « resource-based view », c’est à travers l’exploration et l’exploitation de l’ensemble de ressources internes et externes que la firme se construit un avantage compétitif (Wernerfelt, 1984). Afin que cet avantage soit durable, ces ressources doivent être hétérogènes et non (du moins faiblement) mobiles pour que la firme puisse les transformer en actifs précieux et difficilement imitables et/ou substituables (Barney, 1986 ; 2001). Ceci lui permettrait de se prémunir contre l’imitation. En revanche, cette transformation qui s’intègre dans le cadre des stratégies d’accumulation du capital-savoir en vue de l’innovation (majeure et mineure) et implique donc un niveau de maîtrise de technologie assez développé de la part de la firme, requiert des capacités d’absorption internes assez développées.

Importance des transferts de technologie dans l’innovation exogène

Dans le modèle d’innovation fermée (closed innovation, graphique 2.8), le contrôle au niveau de la conception, la production et la commercialisation de la technologie est un facteur crucial pour une firme pour l’incitation à l’innovation (Chesbrough, 2003a). La firme serait, en effet, plus encline à contrôler les idées, la connaissance, l’information qu’elle produit en vue de mener à bien son innovation et de préserver son avance technologique et donc son avantage compétitif par rapport aux concurrents. Selon Chesbrough (2003a, p.36) cette approche découle du principe « if you want something done right, then do it yourself » (graphique 2.8).

Graphique 2.8 Modèle de « Closed innovation »

Source : Chesbrough (2003a, p.36)

Conformément à ce principe ce sont les ressources internes (R&D interne) qui constituent le principal atout stratégique pour que l’innovation soit réalisable. Pour le cas de l’industrie pharmaceutique, ceci explique la polarisation de l’innovation, en l’occurrence majeure, au sein des grandes firmes (multinationales) telles que Pfizer, GSK ou Merck ; il est impératif de mobiliser des ressources financières, techniques, humaines équivalentes afin de pouvoir proposer des médicaments aussi (voire plus) innovants.

En revanche, les faits montrent que récemment de nombreuses PME deviennent très innovantes et ce, en dépit de leurs ressources et leurs dépenses de R&D relativement limitées mais qui ont pu profiter et valoriser les technologies et découvertes produites et réalisées par les grandes firmes pharmaceutiques et diffusées sur le marché en les explorant, les exploitant et les intégrant dans des niches spécifiques de recherche notamment les biotechnologies pharmaceutiques. Le cas des petites entreprises de biotechnologie qui représentent des potentiels d’innovation importants, telles que Genentech, en est en effet révélateur63.

63 Fondée en 1976 par Robert Swanson et Herbet Boyer (biochimiste), Genentech a pour objectif de développer une nouvelle génération de médicaments à travers la conception génétique de copies de molécules naturelles. Le succès de la technique a pu faire franchir l’entreprise de nouvelles frontières.

Si ce modèle d’innovation s’est révélé fonctionnel jusqu’à la fin du XXème

siècle, son efficacité semble remise en cause depuis les 30 dernières années. L’accélération du mouvement de la libéralisation économique, de la mobilité du capital humain et l’accroissement de la multinationalisation des firmes, sont autant de facteurs qui ont affaibli le degré de contrôle de la technologie, ceci d’autant plus qu’il s’agit de secteurs à fortes externalités positives, tels que le secteur pharmaceutique. L’émergence du capital-risque comme moyen de financement de la R&D, est aussi un facteur explicatif de l’« ouverture » de l’innovation et qui a favorisé l’externalisation des idées, des informations, de la technologie, de la connaissance, en dehors des frontières de la firme.

Dans le cadre de ce nouveau modèle d’innovation (ouverte), la diffusion d’une découverte ou d’une idée peut mener des employés (ingénieurs, chercheurs) à la développer via une start-up qui sera financée par capital-risque. Contrairement à la ou les firme(s) émettrice(s) qui ne tire(nt) pas profit de cette innovation, la start-up bénéficie des économies de coûts de réinvestissement en R&D (Chebrough, 2003a) (graphique 2.9).

Graphique 2.9 Modèle d’« Open innovation »

Source : Chesbrough (2003a, p.37)

Le modèle d’open innovation indique que la firme investit et diffuse aussi bien des ressources internes que des ressources externes. Ainsi, elle peut commercialiser une

Aujourd’hui elle compte quelques 10.000 employés dans le monde et a été rachetée en 2009 par le groupe pharmaceutique Roche (Genentech, http://www.gene.com/gene/index.jsp).

technologie interne via des canaux externe en vue de créer de la valeur pour son organisation (par exemple via la cession de licences). Réciproquement, la firme peut acquérir des technologies externes et les internaliser en vue des les exploiter et les commercialiser. En d’autres termes, les frontières entre l’entreprise et son environnement deviennent davantage « perméables », favorisant tant les flux entrants que les flux sortants de technologie et d’innovations (graphique 2.9).

En effet, la nouvelle théorie de l’innovation avance que le processus d’innovation résulte de la collaboration au sein de réseaux constitués de diverses institutions et organisations (Freeman, 1987 ; Edquist, 1996 ; Lundvall, 1985 ; Chesbrough, 2003b ; Hamdouch et al, 2008 ; Laperche, 2008 ; Laperche et Uzunidis, 2010) qui contribuent à la constitution du capital-savoir d’une firme. En multipliant les sources externes, les firmes visent le partage des coûts de la R&D et de la production, mais aussi la réduction des risques liés à l’innovation. Ainsi, en parallèle aux ressources internes, la captation des ressources et des opportunités externes acquiert un rôle prépondérant dans la constitution du capital-savoir tant des entreprises que des industries et des pays.

Les transferts de technologie consolident aussi bien l’efficience statique que l’efficience dynamique en termes d’innovation. D’une part, en facilitant la diffusion des innovations et la division internationale du travail (Arora et Gambardella, 1990), les transferts de technologie se présentent comme un facteur d’efficience statique (Lévêque et Ménière, 2006). De l’autre, à travers, par exemple, les contrats de licence le détenteur de la technologie s’approprie une partie des profits générés par l’efficience statique de la technologie qu’il transfère, et qui renforce à son tour son incitation à l’innovation. Les transferts de technologie favorisent le rapprochement entre firmes opérant dans différents domaines de la technologie via la diffusion de nouvelles méthodes, techniques, équipements et leur intégration dans le processus de l’innovation. Ainsi, l’industrie pharmaceutique profite du développement et de la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication ainsi que du progrès dans les domaines de l’électronique (nouveaux équipements techniques plus sophistiqués susceptibles de faciliter, accélérer et améliorer la qualité et la précision des expériences et essais pharmacologiques). Une technologie est, en effet, d’autant plus diffusée à une

plus large échelle sectorielle et géographique qu’elle est efficiente et porteuse de solutions à des problèmes particuliers (Lévêque et Ménière, 2006).

En dépit de leur essor, les stratégies de développement externe sont complémentaires à l’investissement dans les ressources internes (Rosenberg, 1990), nécessaire pour que la firme puisse assimiler et absorber la connaissance, les informations, le savoir-faire, … acquis en externe (Antonelli, 2005 ; Laperche, 2007 ; 2008).

Les capacités d’absorption : une variable déterminante des transferts de technologies Le concept des capacités d’absorption a été développé par Cohen et Levinthal (1989, p.569) qui le définissent comme étant la capacité d’une firme d’identifier, d’assimiler et d’exploiter une connaissance externe en vue de l’appliquer pour des fins commerciales. Cette capacité d’absorption de la firme, qui constitue une sorte d’apprentissage, désigne, dans une grande mesure, sa capacité de création de la connaissance et diffère du learning-by-doing qui est un processus automatique à travers lequel la firme acquiert une expérience plus avancée et réalise plus efficacement des activités qu’elle réalise déjà (Spence, 1981, Libermann, 1984). Dans le modèle de Cohen et Levinthal (1989), les investissements internes en R&D sont la variable centrale qui explique les capacités d’absorption de la firme. Celles-ci sont positivement corrélées avec les efforts et la diversité de la R&D interne. En effet, les auteurs démontrent que la diversité permet à la firme d’avoir une vision multidimensionnelle (variée) et donc d’effectuer de nouvelles associations et de nouvelles liaisons. Le développement de ces capacités d’absorption est un processus cumulatif qui s’apparente à une situation « extrême » de dépendance de sentier64.

Dans un prolongement du modèle de Cohen et Levinthal (1989), Zahra et Georges (2002) approfondissent le concept des capacités d’absorption en le définissant comme étant l’ensemble des routines65

et processus organisationnels à travers lesquels une firme acquiert, assimile, transforme et exploite la connaissance en vue de produire une

64 Une théorie qui suggère que l’ensemble des décisions prises dans le passé influencent les décisions qui seront prises dans le futur .

65 La notion de routine se définit comme « une capacité exécutée lors d'une mise en œuvre répétée et dans

un contexte particulier, apprise par l'organisation pour faire face à des pressions sélectives », ce qui

désigne « des capacités à mettre en œuvre des réponses appropriées dans un environnement singulier ». Contrairement à ce que l’on peut croire, les routines n’est pas incompatible avec ;’innovation, dans la mesure où elles sont évolutives (Lazaric, 2010).

capacité organisationnelle dynamique. Sur la base de cette définition, Zahra et Georges (2002) distinguent entre les capacités d’absorption potentielles et les capacités d’absorption réalisées. Les capacités d’absorption potentielles réfèrent à l’acquisition et à l’assimilation de la connaissance créée par des acteurs externes i.e. la capacité d’identifier une connaissance externe utile et la capacité de l’analyser, l’interpréter et la comprendre. Elles désignent donc la réceptivité de la firme (Seaton et Cordey-Hayes, 1993). Tandis que les capacités d’absorption réalisées entendent aussi bien l’aptitude de la firme à combiner et intégrer la nouvelle connaissance acquise en externe avec la connaissance existante (dont elle dispose) que son aptitude à exploiter (appliquer) la nouvelle connaissance acquise en externe en vue de l’utiliser dans le processus de production de la valeur.

Si les capacités d’absorption sont un concept fréquemment mentionné dans la littérature économique, sa mesure semble moins évidente (Silva, 2009). Dans un des rares travaux sur cette question, Zahra et Georges (2002) proposent une série d’indicateurs qui identifient des éléments contribuant dans le développement des capacités d’absorption, à savoir :

i) Les capacités d’acquisition de la connaissance : mesurées conjointement par le nombre d’années d’expérience du département de R&D et par les dépenses de R&D ;

ii) Les capacités d’assimilation : mesurées par le nombre de citations de brevets et de publications scientifiques de la firme ;

iii) Les capacités de transformation : mesurées par le nombre de nouveaux produits et le nombre de nouveaux projets de recherche initiés ;

iv) Les capacités d’exploitation : mesurées par le nombre de brevets, le nombre de nouveaux produits, la durée du cycle de développement de produits.

La principale critique que nous pouvons apporter à cette configuration, c’est qu’elle n’intègre pas les ressources humaines qui incorporent pourtant la connaissance, les technologies, le savoir, le savoir-faire d’une entreprise (Silva, 2009). En effet, d’autres variables comme la structure organisationnelle de la firme, les interactions externes, le capital social, l’intégration des fournisseurs et des clients, etc. sont aussi importantes

dans le développement des capacités d’absorption de la firme. Dans ce sens, le concept des capacités d’absorption traduit l’imbrication différents concepts de la théorie évolutionniste, telles que l’organisation industrielle, l’économie industrielle, la resource-based view de la firme, l’économie de la connaissance, les capacités dynamiques.

Les théories de la créativité, qui représentent un cadre conceptuel de référence de la relation entre les ressources humaines et l’innovation, identifient d’autres facteurs qui contribuent dans la construction des capacités d’absorption et qui se divisent en facteurs internes et externes.

i) Les facteurs internes comprennent la connaissance et les compétences apportées par l’entrepreneur et les employés (ingénieurs, chercheurs, techniciens, etc.) et qu’ils ont acquises tout au long de leur parcours académique et professionnel. Il s’agit donc de ressources humaines qui peuvent être enrichies aussi bien en valeur (qualification) à travers les programme de formation continue qu’à la fois en valeur et en volume et ce à travers l’intégration de nouvelles compétences humaines qualifiées (ce qui se traduit par un transfert de technologie via la mobilité de personnel).

De même, le learning-by-doing constitue un facteur interne qui contribue au développement des capacités d’absorption. Cet effet d’apprentissage se réalise via l’implication des employés dans la R&D comme activité formellement organisée (Cohen et Levinthal, 1989) et/ou comme activité informellement liée à la production, à la résolution de problèmes techniques ponctuels, à l’expérimentation (Romijn et Albaladejo, 2002). Dans cette approche évolutionniste, la variable ressources humaines revêt un caractère dynamique et se transforme donc d’un stock en « capital humain ». Des ressources humaines ayant un haut niveau d’éducation accroissent le stock de connaissance de la firme tant d’une façon formelle (via les compétences dont elles disposent et la technologie qu’elles maîtrisent) que d’une façon informelle (via leurs relations informelles avec des ressources humaines externes à la firme et à compétences équivalentes) (Mangematin et Nesta, 1999).

En effet, les ressources humaines hautement qualifiées (en fonction de leur niveau d’études) d’une firme sont considérées comme le principal circuit de flux entrants et

sortants de connaissance et de savoir-faire, étant donné le niveau élevé de connaissance et de savoir qui y sont incorporés – « connaissance tacite » (Hatch et Dyer, 2004) – et qui implique qu’elles sont les mieux disposées d’identifier, d’apprécier et de saisir les opportunités en matière de nouvelle connaissance externe (Carter, 1989). La qualification et les compétences des ressources humaines influencent les capacités d’apprentissage, et donc, la performance technologique et d’innovation de la firme (Hatch et Dyer, 2004, p.1173) et qui influence à son tour sa performance économique.

ii) Les facteurs externes qui contribuent dans le développement des capacités d’absorption se rapportent aux interactions avec les fournisseurs, les clients (Håkansson, 1989), les agences publiques d’assistance, les associations d’appui à l’industrie, etc. Ces acteurs peuvent fournir des ressources internes manquantes dont la firme ne dispose pas mais qui sont importantes pour développer ses capacités d’absorption et d’innovation.

Ainsi, les interactions avec les acteurs externes peuvent avoir lieu dans l’objectif de collecter des informations scientifiques et techniques et de marché comme dans l’objectif d’obtenir différents inputs nécessaire pour le processus d’apprentissage interne, tels que les programmes de formation du personnel, l’acquisition de biens intermédiaires, le recours à des services de consulting, etc. (Freeman, 1995 ; Dodgson, 1993). L’importance et l’accessibilité des ressources externes sont aussi tributaires du degré de réseautage de la firme avec d’autres firmes et institutions, et qui dépend à son tour de leur proximité géographique (Uzunidis et Boutillier, 2010).

Certains économistes (Guir et Crener, 1984) nuancent le rôle des capacités d’absorption dans les transferts de technologie sophistiquées, notamment via les IDE. L’idée qu’ils soutiennent est que le différentiel en termes d’avancement technologique peut au contraire être un moyen de raccourcir le décalage et d’accélérer les capacités des firmes réceptrices de maîtriser ces technologies. Mais, toujours est-il que la maîtrise d’une technologie nouvelle par une firme (comme à une échelle plus globale par une industrie ou un pays) demeure tributaire de l’existence et de la qualité d’une structure

technologique interne (locale) capable de l’assimiler, de l’intégrer et de l’exploiter (Meyer et Qu, 1995).

Ainsi dans une étude menée sur un échantillon de pays à différents niveaux de développement, Acharya et Keller (2007) montrent que le volume des transferts de technologie est positivement corrélé avec les capacités d’absorption des pays hôtes, mesurées par le niveau de l’éducation locale et les investissements en R&D.

L’exemple des FMN en est révélateur : dans les PED à faibles capacités d’absorption, les technologies nouvelles et sophistiquées demeurent centralisées dans les maison- mères (Smith, 2001), tandis que dans les pays émergents, notamment d’Asie (Inde, Chine), de nombreux laboratoires pharmaceutiques y délocalisent des centres de R&D tout en ayant recours à des compétences humaines locales auxquelles ils transfèrent connaissance, techniques, informations, etc. (Hamdouch et Feng, 2010).

Les capacités d’absorption sont d’autant plus profitables pour la firme en termes de performance d’innovation et de performance économique qu’elle est capable de protéger, de s’approprier ou de valoriser (par l’exploitation ou par la vente) les savoirs, la connaissance, la technologie qu’elle a pu acquérir dans le cadre du processus d’apprentissage.

Le développement des capacités d’absorption incombe ainsi aux stratégies de constitution du capital-savoir de la firme, qui constitue à son tour, une source de création de la valeur, aussi bien par sa transmission à d’autres entreprises via les biens et services que la firme vend, que par son utilisation interne dans le développement du processus de production.

La protection du capital-savoir est alors cruciale pour l’entreprise afin de minimiser les effets négatifs de la diffusion (à travers le transfert et/ou l’utilisation de ce capital) des informations, connaissance et savoir clefs qui le composent. C’est dans ce sens que le brevet, entre autres, semble jouer un rôle important dans la protection du capital-savoir. Mais s’agit-il d’un rôle positif dans l’incitation à l’innovation ? C’est à cette question que la section suivante tente de répondre en ciblant le cas de l’industrie pharmaceutique.

2.2-

BREVETABILITE, TRANSFERTS DE TECHNOLOGIES

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