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Penser un processus de la paix par-delà la fin du conflit armé

ANALYSER LA VIOLENCE RÉVOLUTIONNAIRE ET LA POSSIBILITÉ DE SA RÉSORPTION NÉGOCIÉE

CHAPITRE 1 : LES GUÉRILLAS AUX PRISMES DES INSURRECTIONS RÉVOLUTIONNAIRES, DE LA

2) Penser un processus de la paix par-delà la fin du conflit armé

L’idée qu’une analyse centrée exclusivement sur le processus de négociation en tant que tel est insuffisante pour comprendre l’ensemble du processus, est confirmée par le fait qu’il existe bien une difficulté particulière dans la résolution des conflits internes. En ignorant l’argument de l’impossibilité de trouver un arrangement négocié dans le cas de conflits armés, du fait de la nature des enjeux179, les études quantitativistes sur la fin des guerres civiles ont montré qu’il existe une proportion significative de conflits internes résolus par la négociation, mais que contrairement aux conflits entre États, le fait d’aboutir à un règlement négocié ne signifie pas forcément une fin effective du conflit armé.

177 CHILD (Jack), The Central America peace process 1983-1991, sheathing swords, building confidence.

Boulder : Rienner, 1992, 200 p.

178 La recherche la plus systématique sur la comparaison des processus de paix en Amérique latine, le « Project on

Comparative Peace Processes » a été menée par le Woodrow Wilson International Center entre 1995 et 1999, sous la coordination de Cynthia Arnson. Il a fait l’objet de plusieurs conférences dans les pays concernés, puis d’une conférence finale à Washington en 1999. Les actes de la conférence tenue à Bogotá ont été publiés in Procesos de paz y negociación en Colombia. Bogotá : Uniandes, FESCOL, W. Wilson International Center for scholars, 1996, 75 p. La recherche menée au Pérou a été publiée in BASOMBRIO IGLESIAS (Carlos), La paz, valor y precio. Lima : Instituto de Defensa Legal, 1996, 226 p. Les actes de la conférence finale ont été publiés in ARNSON (Cynthia), Comparative peace processes in Latin America. Washington, Stanford : W. Wilson Center Press, Stanford University Press, 1999, 493 p. Les importants apports de ces recherches sont discutés dans le chapitre 2.

179 ZARTMAN (William), « The unfinished agenda : negotiating internal conflicts », p.20-34, in LICKLIDER (Roy)

À titre d’exemple de ce genre de réflexions, Barbara Walter180 identifie à partir de la démarche quantitativiste proposée par David Singer, l’existence de 41 guerres civiles dans le monde entre 1940 et 1990. Dans 17 cas, des négociations visant à résoudre le conflit ont été commencées, dont au moins 13 ont conduit à la signature d’un accord. Mais elle montre que seuls huit d’entre eux ont abouti à la résolution effective du conflit interne par la négociation, la Colombie (1948-58), le Liban (1958 puis 1975-76), le Yémen (1962-70), le Soudan (1963-70), la République dominicaine (1965), le Zimbabwe (1972-79) et le Nicaragua (1981-89)181.

Un constat encore plus négatif peut être fait sur la situation de l’après guerre froide : comme cela a été déjà évoqué, de nombreux conflits internes se sont poursuivis après la signature d’un accord entre les parties. Si le cas rwandais apparaît comme le plus symptomatique, puisque l’accord de 1993 a été suivi par le massacre de près d’un million de personnes, il n’est pas le seul. 31 des 38 accords de paix formalisés dans le cas de conflits armés internes entre 1988 et 1998 n’auraient pas duré au-delà de trois ans182. En prenant comme facteurs de réussite le fait que l’accord conduise à la fin de l’affrontement armé, même après le retrait des garants internationaux de la médiation, George Downs et Stephen Stedman considèrent que les accords signés en Namibie (1989), au Mozambique (1992) et dans les trois pays centraméricains ont effectivement conduit à une paix durable. Par contre les accords au Liban (1990), au Liberia (1990), au Cambodge (1991) et en Bosnie (1995) n’ont conduit qu’à un

180 WALTER (Barbara), « Designing transitions from civil wars », International Security, 24, 1, été 1999, p.127-155

et WALTER (Barbara), « The critical barrier to civil war settlement », International Organization, 51, 3, été 1997, p.335-64.

181 Le fait d’avoir choisi les critères définis par David Singer comme « guerres internes » et de considérer les

négociations comme des situations où « les groupes en confrontation se rencontrent lors de négociations face à face pour discuter de problèmes susceptibles de résoudre le conflit » fait que les cas ici identifiés ne concordent que partiellement avec les situations évoquées précédemment dans ce chapitre, où prime la résolution politique et l’intégration de mouvements révolutionnaires dans la vie politique légale, comme c’est le cas au Venezuela avec un niveau faible d’affrontement armé, et d’une certaine façon, mais dans un niveau d’affrontement beaucoup plus élevé, la Colombie au tournant des années 1990. Par ailleurs, comme cela est développé plus en avant, l’auteur évoque comme cas de résolution réussie, pour la période postérieure à 1990, le Salvador, le Cambodge et la Bosnie, mais pas le Guatemala.

182 DARBY (John), RAE (James), « Peace processes from 1988-98 : changing patterns », Ethnic studies report, 17,

succès relatif. Enfin, le Sri Lanka (1987), l’Angola (1991 puis 1994), la Somalie (1993) et le Sierra Leone (1996) sont considérés comme autant de cas qui s’ajoutent à l’exemple rwandais où un accord de paix n’a pas permis de mettre fin à l’affrontement183.

Une étude prenant en compte une remobilisation totale ou partielle des anciens insurgés, ou une prise du pouvoir par les armes de l’une des parties, devrait conduire à réévaluer certains cas qualifiés comme des succès, complets ou relatifs, comme des échecs. Le coup militaire au Cambodge en 1997, la tutelle exercée par la Syrie sur le gouvernement libanais dès 1992, le contrôle conservé par les militaires au Guatemala après 1996, ou enfin les remobilisations sporadiques au Nicaragua depuis 1989 apparaissent autant de cas inaboutis.

Certains auteurs n’hésitent pas à qualifier d’échecs même les cas généralement considérés comme les plus aboutis (à l’image du Mozambique ou du Salvador), où malgré l’absence de reprise du conflit armé et le relativement bon fonctionnement des institutions politiques depuis la signature de la paix, la dégradation de la situation sociale et la continuité de la violence politique et sociale porte à s’interroger sur le degré réel de pacification184.

À partir de ce constat, les recherches sur la résolution des conflits internes vont dépasser une étude qui se borne exclusivement à la mise en lumière des conditions de réussite d’une négociation, où la signature de l’accord est perçue comme la réussite du processus, pour montrer dans quelles conditions la solution négociée d’un conflit armé interne conduit effectivement à une paix durable.

183 DOWNS (George), STEDMAN (Stephen J.), « Evaluation issues in peace implementation », p.43-69, in

STEDMAN (Stephen), ROTHCHILD (Donald), COUSENS (Elizabeth), Ending civil wars, the implementation of peace agreements. Boulder : Lynne Riener, 2002, 729 p. Les auteurs ont privilégié, dans le choix de leurs cas, ceux qui relèvent de fin de guerres civiles où des acteurs internationaux jouent un rôle important dans la recherche d’une résolution. Ils n’ont pas inclus, par ailleurs, les cas où la mise en œuvre des accords de paix étaient en cours au moment de l’élaboration de leurs travaux (Timor, Irlande du Nord, Kosovo, Congo).

184 Ce dernier type d’analyse montre que la construction de la paix s’accompagne de l’imposition d’un modèle

politique et économique, la démocratie libérale et l’économie de marché, qui laisse augurer une augmentation des inégalités socio-économiques et donc une insécurité grandissante. Pour un exemple, où seule la Namibie est considérée comme un succès, cf. PARIS (Roland), « Peacebuilding and the limits of liberal internationalism », International Security, 22, 2, automne 1997, p.54-89.

Contrairement à la négociation en tant que telle, ce n’est pas tant la volonté des parties qui est en cause dans la faible fréquence des négociations réussies, puisque dans bien des situations, des dialogues ont été commencés, aboutissant souvent à la signature de traités, et la fin du conflit n’a pas été une réalité pour autant. S’il existe de nombreuses raisons qui permettent d’expliquer l’échec d’une négociation (pas de réelle volonté de négociation, perspective d’une victoire militaire, difficulté à se partager les gains éventuels d’un accord, revendications maximalistes), elles ne permettent pas de comprendre pourquoi les négociations abouties ne conduisent pas à une paix véritable. Certains auteurs ont mis l’accent sur le fait que la diversité et l’hétérogénéité des acteurs en présence dans un conflit interne pouvaient augmenter très fortement la possibilité que des acteurs ne se sentent pas réellement engagés par les résolutions accordées dans une négociation185. Mais cet aspect relève davantage des caractéristiques de la négociation en tant que telle que des difficultés de la mise en œuvre des accords.

Un des points les plus sensibles de l’application d’accords de paix signés concerne la phase de la démobilisation. L’accord de paix établit que le rapport de forme politique et militaire a aboutit à une égalité de fait entre les signataires. La mise en œuvre de ses dispositions ne doit pas modifier cet équilibre, et doit se réaliser sans que l’une des parties prenne un ascendant sur l’autre et interprète à son profit les dispositions accordées. La période est particulièrement sensible pour le groupe insurgé en voie de démobilisation. Pendant cette période particulière, le dilemme de la sécurité se trouve renversé, puisqu’un groupe armé doit remettre ses armes, et démobiliser ses combattants, sans que l’État puisse encore lui garantir pleinement sa sécurité. En effet, plus un groupe est démobilisé, plus il se sent vulnérable, et plus il est réactif aux éventuelles distorsions à l’accord, donc davantage susceptible d’en commettre lui-même.

185 Un des aspects les plus développés dans les analyses des négociations des conflits internes repose sur le

comportement loyal ou non et la volonté réelle des acteurs. Pour un exemple de cette démarche, cf. STEDMAN (Stephen), « Spoiler problems in peace process », International security. 22, 2, Automne 1997, p.5-53.

Fen Osler Hampson a été l’un des premiers à s’interroger sur ce qui vient après la signature de la paix pour montrer les difficultés de la mise en œuvre des dispositions négociées dans l’accord de paix, et à souligner qu’il doit exister des garanties suffisantes pour que les dispositions négociées soient effectivement réalisées186. De ce fait, il préconise une importante intervention internationale, seule garant effectif de la mise en œuvre des modalités négociées dans l’accord de paix.

Dans une approche semblable, Barbara Walker prolonge cette réflexion en insistant sur les garanties de sécurité nécessaires187. En effet, les étapes les plus difficiles de la négociation d’un accord ne résident pas dans la discussion sur les revendications des parties, ou sur les questions qui ont conduit à l’affrontement. L’aspect le plus difficile de la négociation, et de l’application des termes de l’accord, consiste à définir des garanties crédibles par les parties pour assurer la mise en œuvre des termes de l’accord, et tout particulièrement des conditions de la démilitarisation et de la démobilisation. Elle met l’accent à la fois sur la nécessité d’une importante présence militaire d’un tiers et sur des aspects plus institutionnels, comme la mise en place de structures nouvelles et neutres garantissant l’expression politique des deux camps.

Pour ces auteurs, l’analyse est conçue comme un prolongement dans le temps de l’étude de la négociation qui doit se pencher sur les dynamiques propres à la mise en œuvre, et les difficultés spécifiques qui surgissent à ce moment-là. Cette étape est bien évidemment nécessaire. Néanmoins, ces premiers travaux reproduisent les mêmes travers que les études de la négociation, en se centrant sur le cadre de négociation, son résultat (les accords) et ses effets (leur mise en œuvre). De ce fait, à l’image des analyses sur les négociations, ces recherches relèguent à un second niveau l’importance de la prise en compte des contextes locaux dans

186 HAMPSON (Fen Osler), Nurturing peace, Why peace settlemeent succeed or fail. Washington : US Institute of

Peace Press, 1996, 287 p.

187 WALTER (Barbara), « Designing transitions from civil wars », op. cit. et WALTER (Barbara), « The critical

lesquels se déroulent négociations et mise en œuvre des accords. Cette volonté de formalisation conduit paradoxalement à des recommandations de caractère à la fois pratique et trop général.

Une partie de ces limitations va être levée par l’intégration de ces études dans le cadre plus large de l’analyse du « peace-building ». Le très fort engagement des Nations unies et de ses agences spécialisées, du moins dans les années 1990, ainsi que de très nombreuses organisations non gouvernementales, dans les médiations internationales qui ont conduit à des résolutions négociées de conflits armés internes a favorisé le développement d’une vaste littérature sur le « peace-building ». Du fait de la proximité avec les agences nationales ou internationales qui ont financé ces recherches, et de la participation d’anciens responsables aux recherches et aux réflexions188, ces études sont, à l’image de celles consacrées aux négociations et à la mise en œuvre des accords, fortement marquées par l’identification des conditions pour la réussite d’une intervention, et en particulier sur le rôle de la communauté internationale. Néanmoins, elles ont intégré une analyse des contextes politiques et sociaux dans lesquels elles se déroulent : la résolution du conflit armé ne passe pas simplement par la fin de la guerre, donc par la démobilisation des combattants, mais également par la résolution d’un certain nombre des problèmes qui avaient été à l’origine du conflit ou qui avaient favorisé son prolongement dans le temps, c’est-à-dire la démilitarisation de la société et la démocratisation des institutions. Or, dans bien des cas, ces règlements négociés ont lieu dans des pays qui n’ont généralement pas ou peu connu au préalable la conjonction de la démocratie et de la paix189.

La disjonction relevée précédemment sur les études des négociations entre analyses qui font prévaloir les cadres de la négociation et celles qui sont centrées sur l’importance des

188 SOTO (Alvaro de), CASTILLO (Graciana del), « Obtacles to peacebuilding », Foreign Policy, 94, printemps

1994, p.69-83.

189 Il ne saurait être question ici de résumer l’ensemble des débats académiques sur le « peace-building ». Pour des

travaux sur le rôle de la communauté internationale, cf. BALL (Nicole), Making peace work. Washington : ODC, 1996, 121 p. ; sur la mise en place d’institutions après la signature de la paix, KUMAR (Khrishna), Rebuilding societies after civil war. Boulder : Lynne Rienner, 1997, 329 p. et KUMAR (Khrishna), Postconflict elections,

contextes dans lequel se déroulent ces négociations se retrouve également dans les analyses sur le « peace-building ». Une première approche a consisté, en effet, à évaluer les difficultés techniques, logistiques, financières et organisationnelles de la mission qui intervenait et les effets de ces dysfonctionnements sur la construction de la paix. Cette orientation de la recherche l’a rapprochée des travaux existants sur le fonctionnement de l’ONU, en définissant en quelque sorte les tâches assumées par une mission internationale en fonction de la Charte des Nations unies, mais également de l’évolution des pratiques de fonctionnement de cette institution. De ce fait, les opérations de construction de la paix auraient un certain nombre de tâches à accomplir, indépendamment de la situation sur laquelle elles interviennent, et la difficulté de la paix serait liée aux différents problèmes surgis dans l’élaboration de chacune de ces tâches190.

Une deuxième orientation a cherché à dépasser cette vision unilatérale, et s’est concentrée davantage sur l’analyse des causes du conflit, et donc sur l’identification des problèmes sur lesquels l’intervention internationale devait porter ses priorités, afin de conduire à des changements structurels (par exemple, en favorisant le pluralisme politique, le renforcement de la justice, voire des réformes économiques). Plus monographique dans son esprit, cette approche a également conduit à penser la pluralité des situations et à éviter une conception figée de l’intervention internationale. Mais en se centrant exclusivement sur les causes du conflit, elle a eu pour conséquence de sous-estimer les évolutions politiques et sociales pendant la période de l’affrontement armé, ainsi que les dynamiques surgies dans le cadre de leur résolution.

En dépassant ces deux approches initiales, les travaux les plus récents sur le «

peace-building » proposent une démarche qui consiste à revenir sur l’objectif original, la consolidation

democratization and international assistance. Boulder : Lynne Rienner, 1998, 265 p. Pour une synthèse récente, cf. COUSENS (Elizabeth), KUMAR (Chetan), Peace-building as politics. Boulder : Lynne Rieder, 2001, 247 p.

190 Ainsi, pour un exemple des analyses mettant en avant les obstacles à la mise en œuvre (les « barriers to

implementation »), où les difficultés sont liées aux problèmes des organismes internationaux chargées de cette tâche, ou de leurs relations avec les acteurs internes, cf. STEDMAN (Stephen), ROTSCHILD (Donald), « Peace operations, from short-term to long-term commitment », International Peacekeeping, 3,2, été 1996, p.17-35.

de la paix, et non pas seulement sur l’arrêt des hostilités, et à garder comme priorité dans l’analyse la dimension politique du conflit et de sa résolution, même si les dispositions de l’accord paraissent d’ordre technique ou logistique. Il est effectivement nécessaire de comprendre les spécificités du moment de la mise en œuvre, en identifiant les thèmes récurrents dans les accords de résolution de conflits internes (démobilisation et démilitarisation, définition de priorités économiques, organisation des premières élections pluralistes, question des Droits de l’Homme, retour des réfugiés, construction de nouvelles institutions civiles de sécurité et de nouvelles autorités locales). Mais c’est pour suggérer, au regard de la difficulté de chaque cas, le type de mesures et de dispositifs qu’il convient d’appliquer191.

Mais, pour chacun des thèmes identifiés, la priorité d’ensemble pour parvenir à la paix doit être « la construction ou le renforcement des mécanismes d’autorité, et éventuellement de légitimation, pour résoudre les conflits internes sans violence »192, c’est-à-dire l’acceptation par tous des normes, des règles, des institutions qui permettent que les conflits inhérents à toute société puissent être réglés de manière pacifique. Il n’y a plus de tâches à accomplir, définies a

priori, mais une réflexion sur la nature avant tout politique, à la fois du conflit et de sa résolution

qui permet d’identifier quels sont pour chaque cas les domaines qui doivent faire prioritairement l’objet d’une reconstruction. Il est nécessaire pour cela de concevoir le moment de l’application des accords, c’est-à-dire celui de la construction de la paix, comme un processus dynamique.

L’application des réflexions sur le « peace-building » aux cas latino-américains apparaît d’autant plus utile que l’intervention des Nations unies au Salvador a longtemps été considérée comme exemplaire de ce type d’actions193 et que l’éventualité du recours à une intervention

191 STEDMAN (Stephen), ROTHCHILD (Donald), COUSENS (Elizabeth), Ending civil wars, the implementation

of peace agreements. Boulder : Lynne Riener, 2002, 729 p.

192 COUSENS (Elizabeth), « Introduction », p.4, in COUSENS (Elizabeth), KUMAR (Chetan), Peace-building as

politics. op. cit.

193 Pour des analyses sur les leçons tirées de l’intervention de l’ONU au Salvador dans une perspective comparée

multilatérale fait partie d’une rhétorique fréquente dans le cas colombien, aussi bien au sein de la société colombienne que parmi les organismes multilatéraux. Cette approche ne doit pas conduire à un faux parallélisme sur la nature des conflits que ces mécanismes prétendent résoudre. En Amérique centrale, et plus encore en Colombie, les institutions politiques de type représentatif existaient avant la guerre, même si leur fonctionnement démocratique était partiel et laissait à désirer et si elles n’exerçaient pas de véritable emprise sur l’ensemble du territoire. Les insurrections révolutionnaires se sont bien construites contre ces institutions centrales. Mais le conflit armé n’a pas signifié l’interruption de leur fonctionnement, voire leur destruction. L’enjeu de leur rénovation a été au contraire prégnant pendant tout le conflit armé, et central pendant leur résolution.

La résolution du conflit n’y est dès lors pas conçue, soit par la société elle-même, soit par la communauté internationale, et tout particulièrement par les États-Unis, comme la construction d’institutions nouvelles face à l’écroulement ou à la faillite des sources d’autorité politique légitime194. Il s’agit plutôt de la restauration d’institutions politiques par leur rénovation, pour permettre le déroulement d’une vie politique pacifiée, affirmation nouvelle de l’unicité d’un État déjà existant vis-à-vis de la société. C’est d’ailleurs cette modalité institutionnelle qui a conduit certains auteurs à identifier une différence qualitative entre les cas centraméricains et les autres cas de résolutions de conflits internes. Si, dans les cas centraméricains, les Nations unies ont réussi, dans la négociation, à développer une stratégie de construction progressive de la confiance entre les parties qui a permis d’aboutir à des accords, c’est bien parce qu’il existait un