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Quand les insurrections aboutissent à des conflits internes prolongés

ANALYSER LA VIOLENCE RÉVOLUTIONNAIRE ET LA POSSIBILITÉ DE SA RÉSORPTION NÉGOCIÉE

CHAPITRE 1 : LES GUÉRILLAS AUX PRISMES DES INSURRECTIONS RÉVOLUTIONNAIRES, DE LA

2) Quand les insurrections aboutissent à des conflits internes prolongés

Analyser les raisons pour lesquelles les guérillas ont émergé puis ont échoué dans leur entreprise de prendre le pouvoir par les armes constitue une étape nécessaire pour comprendre les processus de paix au Salvador et en Colombie. Mais le constat est insuffisant. Car la particularité des guérillas dans ces pays ne réside pas tant dans l’échec de l’insurrection initiale que dans l’évolution de cet échec vers un conflit prolongé. Aucune des guérillas de la première vague n’a survécu à la réaction militaire. La guérilla guatémaltèque a été extrêmement affaiblie après la répression militaire. Le Sentier lumineux au Pérou et, dans des circonstances différentes, les mouvements de la contra au Nicaragua constituent les autres cas de prolongation du conflit, tous deux interrompus au tournant des années 1990, l’un par la répression militaire, l’autre par la fin du régime contre lesquels ils s’érigeaient.

Cette prolongation dans le temps oblige dès lors à poser autrement la question de la consolidation dans le temps de la guérilla. Il ne s’agit plus de s’interroger sur la capacité d’un groupe à trouver des armes, organiser des réseaux de soutien, incorporer de nouveaux membres, bénéficier d’un appui paysan, pendant les quelques mois qui séparent l’insurrection armée de la victoire finale. Il est nécessaire de prolonger ce questionnement sur une durée de plusieurs

139 Ibid.

140 CHERNICK (Mark), « Negociated settlement to armed conflict : lessons from the colombian peace process », op.

années, alors même que la conception de la lutte révolutionnaire reposait sur la perspective d’une victoire rapide141, et que celle-ci non seulement n’existe pas mais en plus apparaît comme fort improbable. Les facteurs qui expliquent la consolidation des guérillas ne concernent plus désormais le seul moment de leur croissance, mais doivent être évalués à l’aune de toute la durée du conflit pour comprendre ces insurrections prolongées ou chroniques.

Cette situation oblige à s’interroger sur deux aspects peu ou pas traités jusque-là, le premier étant celui d’analyser les raisons qui ont permis le prolongement dans un temps prolongé d’une insurrection révolutionnaire qui n’était pas censée durer, le deuxième celui des effets sur la guérilla de cette continuité. Car ce sont bien ces facteurs qui vont permettre de comprendre l’étape postérieure dans les deux cas analysés, celui de la négociation.

Or, comme cela a déjà été souligné en introduction, rares sont les travaux qui approfondissent de manière comparée l’ensemble des situations d’insurrections prolongées en Amérique latine. Comme il a déjà été montré, les travaux de comparaison de Timothy Wickham-Crowley sont ici utiles, mais seulement parce qu’ils réfléchissent aux insurrections prolongées comme des lectures en négatif des révolutions triomphantes. Avec des perspectives différentes, Alain Rouquié et Gilles Bataillon proposent deux analyses comparées approfondies des trois cas centraméricains142, mais où le caractère prolongé de l’insurrection au Salvador est comparé à des situations de triomphe révolutionnaire (Nicaragua) ou d’échec de l’insurrection (Guatemala) et non à d’autres cas d’insurrections prolongées. Cynthia McClintock rapproche les cas

141 Les déviations dans la diffusion des modèles de la victoire des guérillas à Cuba et au Nicaragua ont été déjà

présentées. L’idée d’une victoire rapide fait pleinement partie de cette mythologie, alimentée par l’exemple cubain, où la lutte de guérilla dure pourtant 26 mois. Au Nicaragua, les aléas de la lutte révolutionnaire permettent toutes les interprétations. Créé en 1961, le FSLN survit difficilement à ses deux premiers échecs de foyers insurrectionnels. Ce n’est qu’à partir de 1973-74 qu’il retrouve un certain dynamisme militaire. Divisé en trois tendances en 1976, il se réunifie en décembre 1978, pour rentrer victorieux à Managua en juin 1979. Pour les guérillas de la deuxième vague, l’introduction des doctrines sur la « guerre populaire prolongée » va limiter cette impatience de la victoire, qui va être remplacée par une conception de la victoire imminente, comme en témoigne au Salvador l’appellation de l’insurrection de janvier 1981, cette « offensive finale » qui va finalement durer 11 ans.

salvadoriens et péruviens143. Eduardo Pizarro, dans son étude comparée sur les guérillas latino-américaines, souligne effectivement l’importance de l’analyse des raisons et des effets de la prolongation du conflit, bien que sur cet aspect précis, l’accent de sa réflexion porte essentiellement sur l’élucidation du problématique cas colombien144.

Pour comprendre la réussite de certaines guérillas à prolonger leur action armée, la plupart de ces études se concentrent sur la continuation dans le temps des facteurs déjà énoncés pour expliquer l’émergence d’une guérilla, et en particulier les questions de la force militaire et surtout celles du soutien paysan, voire de l’appui urbain dans les quartiers marginalisés. Mais analyser ces phénomènes sur une perspective temporelle plus longue oblige à une étude beaucoup plus précise de deux aspects particuliers, l’évolution interne de la guérilla et les modalités d’interaction entre les guérillas et les communautés rurales, et plus largement les sociétés politiques, où les premières agissent.

Comme le montre Gilles Bataillon, il existe peu de travaux dans les cas cubains et nicaraguayens qui s’interrogent sur l’action au jour le jour au sein des guérillas, ainsi que sur « les rapports, multiples et changeants, entretenus par les organisations armées avec les populations des zones où elles opèrent » et donc en retour sur « l’investigation des motifs qui conduiront les populations confrontées à la présence des guérillas, à les appuyer, à les tolérer comme un moindre mal, ou au contraire à collaborer avec les forces de l’ordre ». Ces questions obligent à une double démarche, d’une part comprendre les guérillas et leur environnement, de

142 ROUQUIÉ (Alain), Guerres et paix en Amérique centrale. Paris : Le Seuil, 1992, 413 p. et BATAILLON

(Gilles), Violence et politique en Amérique centrale ; essai sur la mise en place de la guerre civile au Nicaragua et des affrontements armés au Guatemala et au Salvador. Thèse en Sociologie, Paris : EHESS, 1996

143 McCLINTOCK (Cynthia), Revolutionary movements in Latin America, op. cit. Malgré un titre assez général, il

s’agit d’une étude comparée du FMLN salvadorien et du Sentier lumineux péruvien.

144 Alors que la démarche comparative est très riche à la fois pour l’émergence de la guérilla et pour les possibilités

d’une négociation en vue d’un processus de paix, l’aspect proprement dit d’analyse de la prolongation de l’insurrection révolutionnaire dans le temps est essentiellement vue au regard d’une confrontation entre la théorie existante et le cas colombien. Cf. PIZARRO (Eduardo), Insurgencia sin revolución. op. cit. et particulièrement les chapitres

l’autre « donner à voir et comprendre comment ces différents acteurs se sont pensés et ont rendu compte de leur action comme du monde dans lequel elles prenaient place »145.

Cette approche s’inspire de la sociologie et de l’anthropologie, en rapprochant histoires de vie et reconstitution des contextes locaux. Elle a été appliquée par Carlos Iván Degregori pour comprendre non seulement la prolongation dans le temps du Sentier lumineux, mais également les raisons de son affaiblissement dans ses zones d’action146. Yvon Le Bot mène une recherche similaire, centrée sur le lien entre guérillas et communautés indigènes, principalement au Guatemala, mais également de façon comparée dans d’autres pays d’Amérique latine147.

Dans les deux cas considérés ici, ce type d’approche est néanmoins très peu fréquent. En Colombie, rares sont les travaux qui cherchent à comprendre l’évolution des pratiques des acteurs qui ont recours aux armes, du sens qu’ils donnent à leur action et de leurs interactions avec les populations avec lesquelles ils sont en contact. Comme le fait remarquer Jesús Antonio Bejarano, « la littérature sur les origines du conflit abonde. Le contexte des luttes paysannes qui a donné lieu au surgissement des mouvements armés, l’histoire des organisations, la biographie de leurs principaux acteurs, le processus politique et les différentes phases des organisations comme de leurs revendications ont été abondamment étudies. Par contre, il y a peu d’études sur les stratégies d’expansion politique et militaire, les formes de la configuration interne des guérillas et les processus d’agrégation ou de désagrégation »148. Cette situation est sans doute

145 Cf. BATAILLON (Gilles), « Réflexion sur l’histoire du communisme en Amérique Latine », op. cit., p.74. À

partir de ces réflexions, l’auteur plaide pour une « histoire à ras le sol » des expériences de guérillas. Il a surtout appliqué ce genre de démarche à l’étude de l’engagement des Miskitos dans la guérilla de la contra au Nicaragua

146 Les recherches déjà citées sur le Sentier lumineux au Pérou s’appuient sur cette double approche ; cf. en

particulier DEGREGORI (Carlos Iván), Qué difícil es ser Dios. op. cit., et DEGREGORI (Carlos Iván), El surgimiento de Sendero Luminoso. op. cit., sur le développement de Sentier lumineux et DEGREGORI (Carlos Iván), Las rondas campesinas y la derrota de Sendero Luminoso. op. cit., sur sa défaite.

147 Pour le Guatemala, cf. LE BOT (Yvon), La guerre en pays maya. op. cit., pour l’étude comparée avec les autres

pays, cf. LE BOT (Yvon), Violence de la modernité en Amérique latine. Paris : Karthala, 1994, 291 p.

148 Cf. BEJARANO (Jesús Antonio), Una Agenda para la paz. Bogotá : Tercer Mundo, 1995, p. 16-17. Le travail de

Christian Gros sur les relations entre la guérilla et leur environnement constitue une exception (GROS (Christian), « Les paysans des cordillères andines face aux mouvements de guérilla et à la drogue : victimes ou acteurs ? », Tiers Monde, 32, 128, octobre 1991, p.811-830), de même que les travaux sociologiques réalisés à l’occasion de la

explicable par les orientations prises par la sociologie colombienne sur la violence149. Dans le cas du Salvador, cette approche est quasiment absente. Dans un conflit où la question de l’importance du soutien paysan a été si présente, il est curieux de constater que le nombre d’études portant sur les dynamiques des relations entre la guérilla et les communautés rurales sont assez peu nombreuses, au regard de la très importante littérature qui existe sur le conflit. Les rares études existantes portent sur la nature et l’évolution de ces liens, soit juste avant le début du conflit interne150, soit à la fin151, plus rarement sur l’ensemble de la période152.

Cette perspective permet également de comprendre les effets du prolongement du conflit pour les guérillas elles-mêmes. Les guérillas se conçoivent comme des acteurs politiques qui, au nom d’un projet de transformation radicale de la société, assument le choix du recours à la violence politique, par une forme d’action insurrectionnelle conduisant vers une situation révolutionnaire dont le but est la prise du pouvoir. Cela oblige à penser ce recours à la violence comme un choix temporaire, modifiable par l’acteur politique qui y a recours, soit parce que sa demande est satisfaite, soit parce qu’il est parvenu au pouvoir, soit, enfin, parce que les circonstances qui l’ont conduit à faire ce choix ont été modifiées, et ne justifient plus cet usage.

démobilisation des guérillas, et en particulier sur l’EPL (cf. URIBE (María Victoria), Ni canto de gloria ni canto fúnebre, el regreso del EPL a la vida civil. Bogotá : CINEP, 1994, 59 p.).

149 Dans un bilan critique sur les études en Colombie sur la violence, Daniel Pécaut montre combien ces analyses ont

su montrer le caractère protéiforme et complexe des différentes formes de violences, mais que paradoxalement les choix théoriques et méthodologiques ont privilégié une lecture institutionnelle de l’action du gouvernement et de certains acteurs (en particulier les guérillas) et négligé une sociologie des interactions stratégiques entre les différents acteurs de la violence. Cf. PÉCAUT (Daniel), « La contribución del IEPRI a los estudios sobre la violencia en Colombia », Análisis Político, 34, mai 1998, p.72-88.

150 Les trois travaux les plus significatifs sur cette période sont CABARRUS (Carlos Rafael), Génesis de una

revolución. Mexico : CIESAS, Casa Chata, 1983, 411 p., KINCAID (Douglas), « Peasants into rebels : community and class in rural El Salvador », Comparative Studies in Society and History, juillet 1987, p.466-494 et PEARCE (Jenny), Promised land, peasant rebellion in Chalatenango. Londres : Latin American Bureau, 1986, 320 p.).

151 Pour un travail sur la fin du conflit, cf. BINFORD (Leigh), « Grassroots development in conflict zones of

northeastern El Salvador », Latin American Perspectives, 24, 2, mars 1997, p.56-79.

152 Le seul travail sur l’ensemble de la période est WOOD (Elisabeth), Insurgent collective action and civil war in El

Salvador. Cambridge : Cambridge University Press, 2003, 320 p. où l’auteure analyse les raisons de l’engagement au sein du FMLN de jeunes paysans, dans un contexte dans lequel cette participation pouvait conduire à des situations de prises de risques personnels considérables.

Cette vision d’une violence instrumentale, très présente dans la sociologie de la mobilisation des ressources, est nécessaire pour comprendre le recours à la violence. Mais elle doit néanmoins être abordée avec précaution. La violence est loin, en effet, de constituer une ressource comme les autres. Les auteurs qui se sont intéressés au recours à la violence politique dans les sociétés occidentales en viennent même à considérer que la violence, transgression totale de l’ordre politique et social existant, ne peut être considérée comme une ressource à la disposition d’acteurs politiques qui agissent dans ce cadre. Les acteurs qui ont recours à la violence se situeraient par eux-mêmes hors de la communauté politique, ce qui conduit à pouvoir les qualifier d’« anti-mouvements sociaux »153.

Comme cela a déjà été indiqué en introduction, le caractère non totalement institutionnalisé des sociétés étudiées ici permet de lever en partie ce type d’arguments. La violence est aussi présente que la volonté de construire un ordre dans les sociétés politiques, elle n’en est pas antithétique. Son usage n’est néanmoins pas neutre. Il convient néanmoins de s’interroger sur la manière dont la violence participe à modifier l’identité de l’acteur politique qui l’emploie, tant dans son organisation interne que dans sa relation à l’autorité politique, par un changement radical du contexte. Même si elle est constituée sur un but politique précis, une organisation armée est par nature différente d’un parti politique, d’un syndicat, d’une association : le recours à la violence, parce qu’il s’accompagne d’une action clandestine, illégale, cloisonnée, parce qu’il renforce les hiérarchies et les formes d’obéissances internes, parce qu’il opère une distance croissante entre l’organisation et son environnement, peut conduire à pousser

153 Inscrit dans la tradition tourainienne de l’analyse des mouvements sociaux, Michel Wieviorka propose

l’appellation d’« anti-mouvements sociaux » pour décrire les mouvements terroristes d’extrême gauche en Italie et en France. L’anti-mouvement social inverse les trois principes fondamentaux d’un mouvement social (l’identité ne se réfère plus à une construction sociale mais à un ensemble abstrait, l’opposition totale transforme l’adversaire en ennemi, la totalité n’est plus un cadre partagé dans lequel l’historicité est disputée, puisqu’il s’agit d’en revendiquer une autre), et les fusionnent au lieu de les intégrer. L’anti-mouvement peut exister sans violence, ou avec un recours ponctuel à celle-ci, parfois de nature terroriste. Mais les mouvements terroristes en tant que tels apparaissent comme une forme extrême et décomposée d’anti-mouvement social. Cf. WIEVIORKA (Michel), « Violence sociale et

au maximum la tendance, qui existe dans toute institution sociale, à faire prévaloir la logique de fonctionnement de l’organisation sur l’objectif politique et social poursuivi.

Cette interrogation est d’autant plus pertinente lorsque la violence se prolonge dans le temps, puisqu’elle conduit à une institutionnalisation forte de l’organisation armée, à une pérennisation de ses pratiques, voire à une professionnalisation de ses membres, autant de facteurs qui peuvent contribuer à l’éloigner de l’objectif politique initial. Les pratiques de terreur deviennent de plus en plus fréquentes au fur et à mesure que le conflit s’inscrit dans la durée : contre l’ennemi tout d’abord (exécutions hors du combat, massacres de civils soupçonnés d’aider l’autre camp, enlèvements, etc.), mais également dans les zones de présence (recrutement forcé, encadrement de la population civile dans des buts militaires, prédation de ressources rares, entre autres), voire au sein même de l’organisation (purges internes, liquidations). Dans des cas extrêmes, l’organisation armée peut n’avoir plus d’autre finalité que sa propre reproduction dans la guerre, et dégénérer en ce que certains auteurs ont qualifié de « corps social guerrier »154.

Mais, du fait des processus politiques qui sont étudiés dans ce travail, c’est-à-dire l’évolution d’acteurs politiques ayant fait dans un contexte donné le choix de la violence politique puis ayant remis en question ce choix lors de négociation portant sur leur participation à une scène institutionnelle pacifiée et réformée, il est fait l’hypothèse que les organisations politiques étudiées, le FMLN et les groupes de guérilla colombiens, ne cessent pas de l’être parce qu’elles choisissent de recourir à l’action violente. Dans les deux cas étudiés, des mouvements politiques et sociaux révolutionnaires plus ou moins structurés et développés décident de recourir

terrorisme », Sociologie du Travail, 4, 1986, p.443-457 et WIEVIORKA (Michel), Sociétés et terrorismes. op. cit., en particulier les p.13-34.

154 Le qualificatif de « corps social guerrier » a été appliqué en particulier à la RENAMO au Mozambique, et dans

une moindre mesure à l’UNITA en Angola, entre autres par Christian Geffray ou Christine Messiant pour rendre compte de l’évolution d’une organisation armée. Au Mozambique, la RENAMO avait été initialement financée et encadrée par une aide internationale qui la concevait comme une guérilla anti-communiste opposée au régime de Maputo. Abandonnée par ses supports internationaux, et livrée à elle-même, l’organisation a survécu par l’action armée, vivant de la terreur, du recrutement forcé et de l’imposition de tributs, en étant isolée des populations qu’elle

à un moment donné à la violence politique, en se transformant en guérillas ; il est évident que cette lutte armée qui se prolonge va contribuer à les modifier en profondeur, tant dans leur fonctionnement interne que dans leurs relations avec leur environnement. Pourtant cette évolution ne se fait pas au détriment de leur but politique, puisque la lutte armée conduit à une impasse militaire où aucun acteur n’a pu détruire l’autre, et ces groupes négocient avec les gouvernements en place leur intégration dans la vie politique légale, deviennent des partis politiques, et participent aux élections et aux institutions réformées qu’ils ont contribuées à établir.

S’il est indispensable d’analyser la signification du recours à la violence politique, c’est avant tout parce qu’il a constitué un moment extrêmement important dans l’évolution des acteurs politiques étudiés. Comme le propose depuis maintenant près de deux décennies la sociologie colombienne de la Violencia155, et comme le confirme plus récemment l’analyse de Philippe Bourgois sur le cas salvadorien156, il est nécessaire de reconnaître que les logiques de la violence sont multiples, et que le fait d’analyser les raisons sociales, économiques ou politiques pour lesquelles à un moment donné des acteurs sociaux ont recours à la violence armée doit s’accompagner de l’étude des effets de cette pratique, pendant et après le conflit, pour ceux qui en sont les acteurs. Mais il est fait l’hypothèse que pour les guérillas objets de cette étude, le recours à la violence n’a pas été l’occasion d’une dénaturation totale de leur identité d’acteurs politiques, réaffirmée au premier plan par leur participation à la vie politique institutionnalisée.

contrôlait. Cf. pour le Mozambique, GEFFRAY (Christian), La cause des armes au Mozambique. op. cit. et, pour l’Angola, MESSIANT (Christine), « Angola les voies de l’ethnicisation et de la décomposition », op. cit.

155 Malgré les limites de cette démarche, soulignées en note 148, c’est sans doute là un des apports principaux de la

sociologie de la violence telle qu’elle est pratiquée en Colombie.

156 BOURGOIS (Philippe), « La violence en temps de guerre et en temps de paix. Leçons de l’après-guerre froide »,

C. D

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ANALYSE DES NEGOCIATIONS DE RESOLUTION DE CONFLITS AU

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LES AVATARS DES ETUDES DE LA PAIX

Les insurrections prolongées au Salvador et en Colombie ont abouti, après une longue