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ÉMERGENCE ET ÉVOLUTION HISTORIQUES DE DEUX LUTTES RÉVOLUTIONNAIRES INACHEVÉES

ANALYSER LA VIOLENCE RÉVOLUTIONNAIRE ET LA POSSIBILITÉ DE SA RÉSORPTION NÉGOCIÉE

CHAPITRE 3 ÉMERGENCE ET ÉVOLUTION HISTORIQUES DE DEUX LUTTES RÉVOLUTIONNAIRES INACHEVÉES

Le Salvador et la Colombie ont connu tous deux des mouvements de guérillas liés aux deux vagues révolutionnaires décrites dans le premier chapitre. Mais comme dans chacun des pays, l’émergence et l’évolution des mouvements de guérilla se sont inscrites dans des histoires nationales spécifiques. Ce sont les rencontres du contexte national et local avec les dynamiques continentales, voire mondiales, qui permettent d’expliquer la continuité ou non dans le temps du mouvement de guérilla, l’évolution éventuelle de ses buts, de ses perceptions et de ses modalités d’action.

Il ne s’agit pas de faire ici une histoire politique des mouvements de guérilla dans chacun des deux pays, ce travail ayant déjà été réalisé, au moins en partie, tant en Colombie322 qu’au Salvador323. Au-delà de l’émergence de groupes de guérilla, l’intention de la réflexion est plutôt de comprendre comment l’échec de l’insurrection initiale et l’installation dans un conflit armé appelé à se prolonger modifie progressivement la relation entre les guérillas et l’État. Le conflit passe progressivement d’une confrontation localisée où, malgré la rhétorique idéologique d’une prise du pouvoir, le contenu politique porté par les guérillas est généralement faible, à une relation qui conjugue capacité militaire et dialogue politique, à travers laquelle la guérilla entend montrer, par son action armée, l’illégitimité politique du gouvernement en place.

322 Voir les travaux de Eduardo Pizarro et de William Ramirez Tobón, en particulier PIZARRO (Eduardo), « La

guerrilla revolucionaria en Colombia », p.391-413, in SANCHEZ (Gonzalo), PEÑARANDA (Ricardo), Pasado y presente de la violencia en Colombia. Bogotá : CEREC, 1986, 413 p. ; PIZARRO (Eduardo), « La insurgencia armada, raices y perspectivas », p.411-444, in LEAL BUITRAGO (Francisco), ZAMOSC (León), Al filo del caos : crisis política en la Colombia de los años 80. Bogotá : IEPRI, Tercer Mundo, 1990, 514 p. ; PIZARRO (Eduardo), « Elementos para una sociología de la guerrilla en Colombia », Análisis Político. 12, janvier 1991, p.7-22 ; PIZARRO (Eduardo), Insurgencia sin revolución. op. cit. et RAMIREZ TOBON (William), Estado, violencia y democracia. Bogotá : Tercer Mundo, IEPRI, 1990, 286 p.

Ce chapitre, premier moment de la comparaison entre les deux cas, est consacré à l’analyse de l’établissement et de l’évolution du rapport entre les gouvernements d’une part et les mouvements révolutionnaires de l’autre, dans lequel les données politiques et militaires sont intrinsèquement liées. La compréhension de ce processus doit permettre de saisir réellement la portée des conflits dans les deux pays, leur prégnance dans les sociétés politiques et leur éventuelle évolution postérieure vers une négociation.

L’insurrection colombienne semble ainsi très localisée et, malgré son étonnante survie dans le temps, comparée aux expériences dans les autres pays, incapable jusqu’aux années soixante-dix de se placer en véritable contestataire de la légitimité de l’État, tant ses réussites sont liées à des contextes locaux et ruraux très spécifiques. Le cas salvadorien apparaît totalement opposé, puisque l’insurrection surgit d’emblée comme une alternative à des institutions considérées comme entachées d’illégitimité et devant être remplacées. Or ces deux contextes originaux dans lesquels les insurrections ignorent les institutions existantes, et où toute négociation est impossible, évoluent vers une confrontation sur le même terrain. Les guérillas colombiennes, par l’apparition de nouveaux acteurs et la rénovation de ses pratiques, à la fin des années soixante-dix, s’adressent désormais directement à l’État, et veulent apparaître comme l’opposition la plus radicale. De son côté, le FMLN, après avoir cherché à mobiliser de larges secteurs sociaux dans des grèves et des manifestations de protestation, cherchant à la fois des revendications concrètes et un changement des structures sociales, se lance dans la guerre en se concevant comme un contre-État.

Ce premier moment, initié par l’émergence de mouvements révolutionnaires faisant le choix de l’insurrection armée, s’achève dans les deux cas lorsque le conflit entre guérillas et État acquière à la fois une dimension militaire et politique marquée, l’intensité de l’affrontement armé servant de support à une lutte politique à la fois sur les modalités des règlements du conflit et sur la nature même des institutions politiques. Dans les deux cas, ces premières expériences

apparaissent liées à des événements traumatiques et fondateurs, moments d’intense violence politique dont les conséquences marquent le devenir des mouvements révolutionnaires et le régime politique qui s’y constitue. De la Violencia colombienne à l’élection de Belisario Betancur à la présidence en 1982, le régime du Frente Nacional et son prolongement constituent le scénario de l’affrontement entre les guérillas colombiennes et l’État. Entre la Matanza de 1932 au Salvador et le coup d’État militaire d’octobre 1979, prolongé par l’insurrection générale de janvier 1981, l’accord exclusif entre armée et oligarchie terrienne, dont l’anticommunisme est un des ciments majeurs, marque les formes de l’affrontement entre le FMLN et l’État.

A. C

OLOMBIE

: D

ES AUTODEFENSES RURALES AUX GUERILLAS IDEOLOGIQUES DES ANNEES SOIXANTE

-

DIX

:

LA PROGRESSIVE APPARITION DE L

’É

TAT COMME ENNEMI

Bien que le recours à la violence soit fréquent dans une histoire politique marquée par l’affrontement bipartisan, les guérillas, comme mouvements armés recherchant la mise en place d’un pouvoir révolutionnaire, n’apparaissent que tardivement dans l’histoire politique colombienne. Il est nécessaire de comprendre les modalités de leur apparition et les facteurs de leur continuité dans un contexte historique particulier pour saisir à quel point elles s’inscrivent d’abord dans des conflictualités locales et tardent à s’affirmer face à un État central qu’il s’agit de renverser.