• Aucun résultat trouvé

Diffusions et récurrences des vagues de guérillas en Amérique latine

ANALYSER LA VIOLENCE RÉVOLUTIONNAIRE ET LA POSSIBILITÉ DE SA RÉSORPTION NÉGOCIÉE

CHAPITRE 1 : LES GUÉRILLAS AUX PRISMES DES INSURRECTIONS RÉVOLUTIONNAIRES, DE LA

1) Diffusions et récurrences des vagues de guérillas en Amérique latine

Dans les histoires sur les guérillas latino-américaines contemporaines, il est habituel de distinguer entre deux vagues de mouvements révolutionnaires armés en Amérique latine depuis les années quarante104. Toutes deux se structurent sur des théories et des pratiques insurrectionnelles distinctes, et prennent pour référents ce qui est considéré comme deux cas d’échecs de la voie électorale et deux exemples de triomphe du modèle révolutionnaire. Toutes deux émergent dans des contextes internationaux de tension entre les deux superpuissances. Toutes deux s’accompagnent, enfin, d’une réponse, ou d’une action préventive, de type réactionnaire, le plus souvent de la part des militaires, dans presque tous les pays latino-américains, ce qui permet de les comprendre dans des vagues plus larges de changement de régimes, avec des phénomènes de diffusion ou contagion105.

103 Il n’existe ainsi pratiquement pas d’études comparées de la guérilla latino-américaine dans une perspective

sociologique ou anthropologique. Le retour critique de Gilles Bataillon sur la contribution de Pascal Fontaine au Livre noir du communisme pose des orientations de recherche sur ce que pourrait être une analyse comparée en sociologie et en anthropologie des guérillas latino-américaines, même si le sujet dont traite l’auteur est plus large puisqu’il s’interroge à la fois sur les expériences de lutte armée et sur celles des régimes révolutionnaires cubain et nicaraguayen. Cf. BATAILLON (Gilles), « Réflexion sur l’histoire du communisme en Amérique Latine », Communisme, 59-60, 1999, p.61-80.

104 Il y a une unanimité académique pour reconnaître la validité de cette terminologie et de la classification

conséquente. Bien qu’elle soit construite sur des modèles dominants qui englobent des situations spécifiques (le cas colombien ne cadrant que partiellement, de même que la guérilla du Sentier lumineux au Pérou) et ne prenne pas en compte des mouvements plus récents (comme la guérilla néo-zapatiste au Mexique depuis 1994, ou, dans une orientation idéologique opposée, l’ensemble des mouvements de la contra au Nicaragua, qui utilisèrent les techniques de la guérilla contre le gouvernement sandiniste), elle est utilisée ici pour sa clarté descriptive. Pour une discussion sur le terme, cf. WICKHAM-CROWLEY (Timothy), Guerillas and revolution in Latin America. op. cit., p.209-230.

105 Olivier Dabène montre bien comment ces deux vagues participent de phénomènes d’interdépendance politique, la

première étant à l’origine dans les années soixante d’une « contagion autoritaire » dans dix pays différents, qu’il s’agisse de réactions militaires à l’existence de guérillas ou de coups d’état préventifs, (cf. DABENE (Olivier), La région Amérique latine. Paris : Presses de Sciences Po, 1997, 378 p., en particulier le chapitre 5) alors que la deuxième, au moins en ce qui concerne l’Amérique centrale, s’inscrit dans une crise plus large qu’elle contribue à

La première vague, pendant les années soixante, se développe autour des thèses de Ernesto Che Guevara sur la création des foyers insurrectionnels, selon la doctrine dite du « foquisme ». Ayant comme référence l’échec de l’expérience réformiste de la présidence de Jacobo Arbenz au Guatemala en 1954, suite à une intervention militaire soutenue par les États-Unis, cette première vague se cristallise sur le succès de la guérilla castriste qui, après un peu plus de deux ans de combats militaires (novembre 1956 – janvier 1959), rentre victorieuse à La Havane.

La victoire de Fidel Castro et de ses compagnons d’armes va constituer à la fois le référent politique et idéologique et le soutien logistique au développement de guérillas dans le reste du continent106. De 1960 à 1967, les dirigeants cubains vont formaliser une doctrine révolutionnaire dans une série de livres et d’articles, dont le plus connu est sans doute La guerra de guerrillas dans lequel Ernesto Che Guevara résume ses conceptions de la lutte révolutionnaire107. Conçu à la fois comme une doctrine révolutionnaire et comme un véritable manuel d’action insurrectionnelle, l’ouvrage s’inscrit dans une volonté de rompre avec les

perturber (cf. DABENE (Olivier), « Invention et rémanence d’une crise : leçons d’Amérique centrale », Revue Française de Science Politique, 42, 4, août 1992, p.555-581.)

106 S’il serait erroné de voir dans l’ensemble des insurrections qui se développent en Amérique latine le résultat

direct d’une politique expansionniste du nouveau pouvoir révolutionnaire de La Havane, il n’en demeure pas moins que l’expérience cubaine constitue un cadre absolu de référence, au point qu’elle va créer une importante ligne de fracture au sein de la gauche latino-américaine. Sur le rôle de Cuba, cf. CASTAÑEDA (Jorge), La utopía desarmada. op. cit., et en particulier le chapitre 3 « El crisol cubano » qui, tout en modérant les effets réels de cette influence, en montre les fonctionnements : la conclusion de ce chapitre est éloquente « Cuba n’a pas fait la révolution en Amérique latine. Toutes ses tentatives de forcer une situation ont échoué lamentablement. De même là où il existait des conditions favaorables et que Cuba n’a pas aidé, il ne s’est pas passé grand chose. Néanmoins, là où il y a eu une conjonction entre une situation favorable et un appui de Cuba, la révolution a vaincu, ou du moins s’est approchée de la victoire », ibid., p.106.

107 La première édition en espagnol de l’ouvrage a lieu à Cuba en mars 1960 (l’édition en espagnol consultée ici est

celle disponible sur le site Marxist Internet Archive www.mia.org). L’ouvrage connaît une rapide diffusion de par le monde, la première édition en français ayant lieu en 1962 (GUEVARA (Ernesto), La guerre de guérilla. Paris : Maspero, 1962, 208 p.). Dans la démarche de ce chapitre, seule est présentée ici une synthèse de la doctrine présentée dans l’ouvrage. Celle-ci connaît une évolution progressive, dans des publications postérieures, à la fois par l’interprétation qu’en a donné Régis Debray, et par l’évolution rapide du régime. Il convient de signaler que la production de cette théorie a un double but, fournir une doctrine à une révolution alors que la lutte révolutionnaire s’est faite sans référent idéologique précis et dès lors proposer un cadre aux guérillas des autres pays latino-américains afin de reproduire ce succès. Le lien entre la doctrine proposée par Ernesto Che Guevara, puis par Régis Debray, et la réalité historique qu’ils prétendent décrire est analysée plus loin.

conceptions qui avaient cours jusque-là au sein de la gauche latino-américaine, et en particulier dans les partis communistes.

L’idée dominante alors était que les pays latino-américains étaient dans une situation de semi-féodalisme, et que par conséquent les partis révolutionnaires devaient soutenir les bourgeoisies nationales dans leur effort de constitution d’un capitalisme national, la lutte pour le socialisme venant dans une deuxième étape à partir des contradictions structurelles du développement capitaliste. À cette conception des « conditions objectives » de la révolution, les dirigeants cubains opposent le primat des « conditions subjectives », où le rôle de la guérilla est particulièrement survalorisé108. En effet, l’analyse repose sur le rôle primordial d’une avant-garde qui par son action armée en milieu rural devient le facteur catalyseur d’une situation insurrectionnelle qui se propage progressivement. Et c’est dans cette insurrection, en lien avec les masses paysannes, que se forge l’idéologie de la révolution. La guérilla est dès lors à la fois le centre politique et militaire d’une révolution qui peut se réaliser sans besoin d’un parti politique ou d’un mouvement social préexistant, et sans besoin d’un cadre idéologique préconçu.

Cette production doctrinaire s’accompagne du volontarisme politique du régime cubain. Les tensions croissantes avec Washington et le rapprochement conséquent avec Moscou conduisent rapidement La Havane à adopter une politique étrangère favorable au bloc de l’Est, ce qui se traduit, entre autres choses, par un isolement diplomatique en Amérique. Pourtant la crise des missiles et la détente qui s’en suit place le nouveau régime dans une situation de porte-à-faux. Pendant quelques années, Cuba va développer une politique étrangère relativement autonome qui se traduit par l’appui aux guérillas des autres pays d’Amérique latine. D’abord

108 Les réticences de Karl Marx vis-à-vis des méthodes des partisans de Michel Bakounine lors de la Ie

Internationale, celles de Lénine à l’égard des socialistes révolutionnaires lors de la révolution russe, puis de communistes de gauche en 1918-20 ont nourri une profonde méfiance, dans la doctrine marxiste, à l’égard des conceptions fondées sur la capacité de dynamisation du processus par la seule volonté de l’acteur révolutionnaire, qui, selon la formule de Freidrich Engels, ont « érigé l’impatience en fondement de la conviction théorique » (article paru le 26 juin 1874 dans Der Volksstaat).

discret, cet appui va être rendu public en février 1962 lors de la « Seconde déclaration de La Havane », réponse emphatique et volontariste de Fidel Castro à l’isolement diplomatique de Cuba qui prétend faire de la cordillère des Andes la nouvelle Sierra Maestra. La réalité est bien plus modeste, puisque les foyers insurrectionnels directement appuyés par Cuba, en Argentine en 1963, au Pérou en 1964, en Bolivie en 1966-67, échouent quasi immédiatement. La conférence de la Tricontinentale en janvier 1966 puis la création en août 1967 de la Organización

Latino-Americana de Solidaridad (OLAS), branche latino-américaine d’une internationale des

mouvements insurrectionnels, constituent en réalité les chants du cygne des velléités cubaines de structurer la diffusion de mouvements révolutionnaires, tant ces organisations demeurent des coquilles vides109.

Mais l’exemple cubain agit surtout comme référence pour des groupes de guérilla qui émergent à ce moment-là. Des mouvements se développent, en suivant en partie le modèle « foquiste » en milieu rural, au Guatemala (1962-67), Mexique, Venezuela (1961-69) et Colombie (1962-73) pour y créer les conditions favorables à la révolution110. Ces expériences durent généralement peu longtemps et s’avèrent partout des échecs qui conduisirent à la mort de nombreux combattants et à la disparition conséquente des organisations. Pour la plupart isolées du reste des mouvements de gauche tant elles croyaient en un succès rapide de l’avant-garde

109 Le régime cubain va effectivement aider par la suite de nombreuses guérillas latino-américaines, en offrant un

appui logistique, financier, en servant de camp d’entraînement ou de sanctuaire, voire en contribuant à unifier différentes organisations. Après l’échec des premiers foyers, l’aide cubaine vers les organisations latino-américaines se fait plus discrète, La Havane dirigeant vers l’Afrique australe ces efforts militaires. Avec l’émergence de guérillas en Amérique centrale, Cuba retrouve sa vocation d’exportatrice de la révolution. Mais, comme le souligne Jorge Castañeda, l’aide cubaine est orientée plus en fonction de proximités personnelles qu’idéologiques, certaines organisations comme le ERP salvadorien ou le M-19 colombien ayant reçu beaucoup plus d’aide que d’autres, pourtant officiellement « guévaristes ». Cf. CASTAÑEDA (Jorge), La utopía desarmada. op. cit., p.78

110 La plupart de ces mouvements de guérilla se développent pourtant indépendamment du soutien cubain, voire du

modèle guévariste. Au Guatemala et au Colombie, des groupes d’inspiration guévariste apparaissent bien mais s’ajoutent à d’autres déjà existants, parfois comme des scissions. Ils ne comptent pas sur une aide significative de la part de La Havane. Le seul cas où il est possible de parler d’une véritable diffusion du modèle foquiste et d’un appui réel de Cuba est la guérilla vénézuélienne, où la situation est complètement à l’opposé de celle de Cuba, puisque le Venezuela est le seul pays, avec la Colombie, où le Parti communiste appelle à la lutte armée, et où la guérilla affronte un régime démocratique.

armée, regroupant un nombre limité de combattants, elles ont eu très peu de liens avec le monde rural dans lequel elles ont agit.

La lutte d’Ernesto Che Guevara et de quelques-uns de ses compagnons en Bolivie, alors que pratiquement toutes les autres expériences avaient déjà échoué, et leur incapacité à construire un foyer insurrectionnel dans la région de Ñancahuazú, constituent l’apogée symbolique, avec la capture et exécution d’Ernesto Che Guevara en octobre 1967, de toutes les limites de cette modalité de la lutte révolutionnaire. Cette impasse avait déjà été annoncée par la mort du prêtre Camilo Torres en février 1966, dans un combat anodin, quelques semaines à peine après son incorporation dans la guérilla colombienne111. Cet échec est confirmé au niveau international par l’alignement de Cuba sur les positions de l’Union soviétique à partir de l’écrasement du Printemps de Prague, et la fin d’une politique étrangère autonome, d’une part, et de l’autre, le rétablissement de relations diplomatiques entre Cuba et de nombreux pays latino-américains, en échange de la fin du soutien aux guérillas qui s’y développent. Dans de nombreux pays, l’échec des guérillas s’accompagne de coups d’État militaires dont la justification repose sur l’écrasement, ou la prévention, de l’émergence de foyers insurrectionnels112.

Des variantes urbaines se développent sur le même modèle stratégique dans les pays du Cône Sud. Elles ne parviennent pourtant qu’à une dimension d’exemple au Brésil face à un régime militaire (avec en particulier l’Ejército de Liberación Nacional de Carlos Marighella113).

111 Moins médiatisée, sa mort eut pourtant un impact en Amérique latine similaire à celle de Ernesto Che Guevara,

voire plus importante. Contrairement à ce dernier, combattant de toujours de la révolution socialiste, Camilo Torres avait cherché d’abord à créer un mouvement politique légal, et du fait de son engagement comme prêtre, avait une influence beaucoup plus large que celle du médecin argentin.

112 Comme cela été déjà été signalé dans la note 105, entre mars 1962 et juin 1966 se produisent des renversements

des pouvoirs en place (civils ou militaires) par des militaires dans neuf pays de la région (dans l’ordre chronologique, Argentine, Pérou, Guatemala, Équateur, République Dominicaine, Honduras, Brésil et Bolivie) ; partout le changement de pouvoir est réalisé au nom de la lutte contre le danger représenté par la diffusion des guérillas, contrairement aux coups intervenus dans les années cinquante.

113 La guérilla brésilienne compte d’autres organisations. La figure de Carlos Marighella est néanmoins la plus

connue, non pas par le développement des actions armées de son organisation, mais par le fait qu’il est l’auteur d’un manuel de la guérilla urbaine, texte de référence pour les expériences du Cône sud qui acquière une importance symbolique comparable à l’ouvrage d’Ernesto Che Guevara.

En Argentine, elles mobilisent un nombre important de combattants, et contribuent de façon beaucoup plus significative à ébranler un régime en crise, qui connaît les derniers soubresauts du péronisme. Mais le relatif succès des guérillas est dû davantage à la mobilisation d’une frange radicalisée des jeunesses péronistes au sein des Montoneros qu’à la vision plus classiquement insurrectionnelle de l’Ejército Revolucionario del Pueblo. Le seul véritable exemple du développement important d’une guérilla sur le modèle insurrectionnel prôné par Ernesto Che Guevara est celui des Tupamaros en Uruguay. Mais sur les deux rives du Rio de la Plata, la réaction militaire ne se fait pas attendre et l’armée écrase ces guérillas en même temps qu’elle s’installe durablement au pouvoir, respectivement à partir de 1972 en Uruguay et en 1976 en Argentine. Au Chili, le Movimiento de Izquierda Revolucionaria entreprend quelques actions armées de peu d’envergure avant 1970, puis s’inscrit dans une dynamique différente en se concevant comme l’aile la plus radicale du gouvernement d’Unité Populaire de Salvador Allende entre 1970 et 1973.

Malgré la multiplication des organisations, cette première vague de guérillas concerne finalement peu de combattants, hormis les cas argentins et uruguayens. Outre la visibilité de l’épopée d’Ernesto Che Guevara, largement relayée à l’étranger, sa forte symbolique est due à la rapidité de la victoire des troupes de Fidel Castro face à un régime en pleine déliquescence, et à sa volonté d’étendre la révolution en Amérique latine, dans un moment où les relations entre les deux super-puissances étaient plutôt à la détente. L’échec de toutes les expériences, hormis le cas cubain, et le contre-exemple de l’expérience chilienne contribuent au début de la décennie soixante-dix à remettre en cause les visions alors dominantes au sein de la gauche latino-américaine selon lesquelles la seule voie pour parvenir au pouvoir était la lutte armée114.

114 Pour un texte significatif de cette évolution, cf. DEBRAY (Régis), La critique des armes. Paris : Seuil, 1974,

Une deuxième vague de guérillas s’amorce en Amérique latine à la fin des années soixante-dix. La fin tragique de l’expérience de l’Unité Populaire au Chili en septembre 1973 sert ici de repoussoir pour des organisations dont certaines avaient participé à la lutte électorale et qui font désormais le choix des armes. Celles-ci établissent deux constats : le premier, externe, l’échec de la voie légale du fait d’une réaction militaire, le second, plus interne à la gauche, la nécessité pour les groupes révolutionnaires les plus radicaux de contrôler davantage leurs alliés, fut-ce par les armes. Comme vingt ans plus tôt, le contexte international de l’orientation de la politique de Washington vers l’Amérique latine et des relations entre les deux grandes puissances n’y est pas étranger, puisque le Président Carter a entamé une politique moins conciliante envers certains pouvoirs militaires de l’Amérique centrale et des Caraïbes, et que par ailleurs, la reprise de la guerre froide à partir de la crise iranienne et de l’invasion de l’Afghanistan attise les tensions dans la région et permet à Cuba de jouer à nouveau un rôle de promoteur de la révolution.

Le succès des sandinistes à Managua en juillet 1979, et l’implantation d’un régime socialiste, moins orthodoxe que Cuba, montre une alternative aux autres mouvements. Moins étendue géographiquement, cette deuxième vague voit néanmoins se développer des mouvements beaucoup plus structurés et mieux organisés que la première. Elle concerne principalement l’Amérique centrale (Nicaragua 1960-79, Guatemala 96, Salvador 1970-92), et dans des dynamiques différentes, la Colombie et le Pérou (1979-98). Chacun de ces nouveaux mouvements rejette les impasses de l’interprétation donnée de l’exemple castriste.

Dans les trois pays d’Amérique centrale, l’échec de l’expérience des foyers insurrectionnels est analysé. L’unité se fait progressivement dans la lutte armée, au moins au niveau des structures de direction, entre des organisations qui maintiennent des conceptions « insurrectionnalistes », d’autres qui défendent des visions inspirées des expériences chinoises et vietnamiennes, et prônent, à partir des pensées du général Vô Nguyên Giap, une « guerre

populaire prolongée », et, enfin, des groupes plus pragmatiques, ouverts à la recherche d’alliances avec les partis non révolutionnaires. Les différents groupes de guérilla dérivent de partis politiques ou de mouvements sociaux, ou, lorsque ce n’est pas le cas, vont faire en sorte de construire une véritable base sociale. De ce fait, certains secteurs de l’Église catholique, voire, au Guatemala, des communautés indiennes, participent directement dans des mouvements révolutionnaires qui reprennent très largement leurs références et leurs revendications. Cette deuxième vague est également plus proche des courants politiques existant dans les pays, et parvient, avec plus ou moins de succès, à construire des fronts d’opposition au régime en place, où participent des partis et des personnalités non révolutionnaires.

De ce fait, les guérillas deviennent de véritables mouvements armés, importants en nombre, bien équipés, véritablement coordonnés entre eux, structurés aux partis politiques d’opposition, aux syndicats, aux organisations de masse, et parviennent à mettre en échec des régimes autoritaires. Le succès au Nicaragua en 1979 ne se répète néanmoins pas ailleurs. La répression militaire féroce menée au Guatemala, en particulier sous la présidence du général Efraín Rios Montt (mars 1982 – août 1983), puis de façon moins messianique mais tout aussi efficace, par son successeur le général Oscar Humberto Mejía Victores (août 1983 – décembre 1985), prend de surprise la guérilla et parvient à l’affaiblir considérablement. La constitution de gardes paysannes, encadrées par l’armée, et une politique contre-insurrectionnelle qui combine persécution des indiens et politiques sociales (« fusiles y frijoles ») mine les bases paysannes